La commission « NSAE et Évangile » a lu un texte important de Jean-Marie Kohler. La foi chrétienne au défi des mutations contemporaines
Ce long texte [1] commence par une introduction qui situe la problématique « Quelle place pour la foi chrétienne dans les changements culturels que nous vivons » intelligence artificielle et robotique, nanosciences et nanotechnologies, physique quantique et astrophysique, conquête de l’espace, biologie et médecine, sciences humaines, etc., fulgurantes avancées de la technoscience, qui rendent les croyances obsolètes.
Une large part de ce qui était croyable et porteur de sens hier ne l’est plus, sous sa forme ancienne, dans l’environnement culturel présent. Les récits et les pratiques qui, portant la vie, ont témoigné de la vérité dans le passé, peuvent s’avérer vides de signification, ou même contre-vérités pas la suite.
Et sur les réactions des Églises et autres mouvances chrétiennes face à elles.
Parmi celles-ci, il y a surtout les postures identitaires qui méconnaissent l’ampleur de ces mutations qui en ont peur, et qui exaltent la valeur unique et déclarée immuable de l’héritage chrétien avec la volonté de le restaurer dans ses modalités anciennes.
Mais il y a aussi une autre option.
Elle consiste à se projeter dans une perspective interreligieuse, ou interconvictionnelle inédite, résolument laïque parfois, à la faveur d’un bond spirituel et éthique, par dessus des croyances devenues obsolètes.
Le christianisme doit faire preuve de créativité pour être en mesure de témoigner aujourd’hui de façon crédible de l’essentiel du message de la foi chrétienne. Un défi colossal et redoutable, qui dépasse de loin les initiatives ne touchant que la pédagogie religieuse, l’aménagement des ministères ou les modalités des célébrations liturgiques
1ere partie
L’auteur propose alors de s’interroger sur la nature de la religiosité par un détour historique et anthropologique, « Métamorphoses de la divinité au fil de l’histoire, perte du pouvoir de la religion, et idéologies mortes »
L’aspiration des hommes vers un au-delà des contraintes et des limites de leur existence immédiate est aussi vieille que l’humanité et, en son fond, elle n’a guère changé à travers l’espace et le temps.
Face aux angoisses causées par la maladie et la mort, par les aléas de l’accès aux ressources vitales, et par les multiples violences de la nature et des sociétés, les humains ressentent un besoin instinctif de sécurité, et un désir de plénitude, voire d’immortalité. Seules de supposées forces surnaturelles, variables selon les époques et les lieux, leur ont semblé capables, jusqu’à l’époque moderne, de vraiment les protéger au quotidien et d’assurer leur survie.
Pressenti en Mésopotamie et en Égypte dès avant l’époque biblique, le modèle patriarcal et royal de la divinité a trouvé son aboutissement dans la figure d’un Dieu unique et tout puissant, relayé sur terre par des instances politico-religieuses déléguées.
Cette figure a commencé à vaciller dès l’aube de la modernité, qui se passe de ses promesses et ses remèdes pour régler ses problèmes.
Pourtant, l’iconographie, les liturgies et les théologies officielles illustrent et entretiennent jusqu’à présent ce rapport entre le religieux et le politique, célébration de la puissance, décorum et gestuelle, code lexical, gestion des cultes par les catégories spécialisées, pratiques cérémonielles sacralisant la soumission à un ordre dominant.
Que cette foi se soit incarnée dans la société en calquant les formes politiques de la royauté profane était sociologiquement quasi inévitable, mais cet emprunt n’a pas réduit Dieu à n’être qu’une icône du pouvoir aux yeux des croyants, n’a pas restreint la chrétienté à ses seules dimensions politiques, et n’a pas empêché le christianisme de transmettre les valeurs de la subversion évangélique.
La théologie de la libération ne s’est pas embarrassée ni du droit canon ni des injonctions hiérarchiques pour pratiquer l’Évangile sur le terrain en Amérique latine. L’amour vécu par les humbles a toujours prévalu, du point de vue de la foi, sur les folies des puissants ainsi que sur les prétentions des savants. Et dorénavant, l’avenir de la foi chrétienne se jouera sans doute davantage à travers les engagements prophétiques au service des hommes qu’à travers les dogmes et les enjeux idéologiques et politiques qui ont présidé à l’agencement du christianisme de feu la chrétienté.
2e partie
Elle s’intitule « Une présence transcendante au cœur du réel » et elle développe l’idée que l’auteur exprime par ailleurs « Dieu est à chercher encore et encore, toujours plus loin, et sur terre plutôt qu’au ciel ou dans des abstractions intemporelles ».
L’hypothèse du « panenthéisme », Dieu en tout, à ne pas confondre avec « tout est Dieu » explicite une lumineuse intuition ouverte sur l’infini, et ce même si ses présupposés ne permettent pas de résoudre, mieux que les autres théologies le terrible et insondable problème du mal.
Identifiée à l’amour qui fait battre le cœur du monde, la divinité est conçue comme présente dans l’intégralité des éléments qui forment l’univers, jusque dans l’énergie qui constitue la matière, sans s’y dissoudre.
Elle est origine, fondement et finalité de tout ce qui existe, et tout à vocation à s’accomplir en elle.
Dieu est de ce fait lui-même à la merci du monde pour se réaliser pleinement en tant qu’amour, au sein de la création.
Et l’amour, impliquant intrinsèquement le respect de la liberté, la volonté divine ne peut être que prière : humble et ardente espérance, aspiration à un partage absolu de la bienveillance et de la tendresse, du pardon et de la communion.
La foi consiste, dans cette optique, à se fier sans réserve à la vie, qui a sa source dans la divinité, à vivre en Dieu, en essayant de partager sa passion et sa prière pour le monde, et d’incarner la dimension divine de la création.
Cette approche différente de la source originelle de l’être que les hommes appellent Dieu, ou autrement, éclaire d’un jour nouveau la pluralité des chemins sur lesquels les humains peuvent rejoindre la divinité pour transfigurer le monde sous l’égide de la justice et de la bonté.
Respirant l’immensité et assumant les réalités les plus modestes, cette vision ne saurait être rejetée sous prétexte qu’elle n’est pas exposée telle quelle dans la Bible, Jésus n’avait-il pas déjà proposé une conception renouvelée de Dieu en parlant de son Père, papa en araméen, dispensateur et protecteur de toute vie ? Et son existence n’a-t-elle pas abouti, interprétée par l’apôtre Paul, à une doctrine qualifiée de « scandale pour les juifs et folie pour les païens ? »
À quelle parole se fier pour humaniser le monde ?
L’Évangile n’est pas un livre de recettes, mais un horizon, seule compte la portée essentielle des récits, plus spirituelle et éthique que dogmatique. Les Béatitudes, les paraboles et bien d’autres paroles de Jésus demeurent aussi lumineuses qu’au jour où elles furent formulées en Palestine. La croix du Golgotha se tient toujours dressée sur le monde face au mal qu’il faut combattre et quant à l’incroyable récit de la résurrection, il a proclamé une fois pour toutes que la vie et l’amour ne restent prisonniers d’aucun tombeau.
Dans un monde soumis à la puissance aveugle et cynique du capitalisme financiarisé et de ses idolâtries, les plus pressantes exigences de l’Évangile sont des plus pragmatiques. N’ont été retenus que les secours apportés aux malheureux, à l’exclusion de toute considération religieuse (Mt 25, 31-46).
Au plan social, ces exigences commandent de lutter pour la justice, la fraternité et liberté, en renversant la suprématie des puissants qui oppriment les humbles et dévastent la planète, telle est la voie du salut et ce défi rassemble les hommes de bonne volonté, sans préalable de religion.
Note :
[1] Golias Magazine 185 p. 38 La foi chrétienne au défi des mutations contemporaines
