CRITÈRES POUR « RÉPARER » L’ÉGLISE
Par Jorge Costadoat S.J.
La crise actuelle de l’Église est sans précédent. Elle est très profonde. Cela se voit par la douleur, le désarroi, l’indignation et la honte qu’ont causés les abus sexuels du clergé, leurs procédures inadéquates et leurs dissimulations systématiques. Derrière la crise actuelle, il y a aussi une autre crise. Cela fait bien des années que les catholiques vivent à distance et sans communication avec leurs prêtres, et spécialement avec leurs évêques. Ces deux crises nous contraignent à faire des changements décisifs pour que l’Église, en tant que lieu de rencontre et de communauté, puisse continuer à collaborer à la mission de Jésus.
Dans l’avenir immédiat, certains catholiques peuvent chercher des conseils pour les réconforter et les aider à discerner ce qu’il convient de faire en tant que disciples de Jésus. Dans cette optique, je voudrais partager quelques réflexions pour traverser ces moments si difficiles et vous encourager à participer à une reconstruction profonde de l’Église dont beaucoup d’entre nous rêvent et qu’ils espèrent.
Nos racines
- D’un point de vue théologique, nous, chrétiens, nous sommes Jésus pour l’Église, et l’Église pour Jésus. Nous sommes le peuple de Dieu. Nous devons collaborer avec Jésus pour relever l’Église et, d’autre part, en tant que membres de l’Église, nous espérons être réconfortés et guéris par Jésus. La crise actuelle de la foi est aussi une crise de fidélité. On ne peut pas abandonner le bateau. Ce serait comme si on se laissait mutuellement tomber. L’Esprit saint devrait dynamiser la fidélité de l’amour de Dieu pour nous et entre nous.
- La raison d’être de l’Église est de continuer la mission de Jésus. La crise de l’Église est due en grande partie au fait que la hiérarchie ecclésiastique s’est centrée sur elle-même. L’Église ne doit pas exister pour se reproduire et prolonger son existence au fil des siècles. Jésus en a besoin pour que le royaume de Dieu atteigne surtout les personnes qui ont le plus besoin d’amour, de justice, de soins, de consolation et de pardon.
- L’Église appartient à l’éternité. L’Église n’est pas une ONG qui, une fois sa tâche accomplie, ou par manque de fonds, ferme ses bureaux. Nous, chrétiens, croyons que notre appartenance ecclésiale nous permet déjà aujourd’hui de vivre comme si cette vie avait une valeur éternelle. Le mystère de la mort et de la résurrection du Christ dans lequel l’Église a son origine, constitue le creuset dans lequel les chrétiens forgent leur vie. Rien ni personne n’a exempté Jésus des souffrances qui lui furent imposées. Son triomphe pascal ne nous épargnera pas de souffrir ce que nous traversons, mais devrait nous donner la foi et la force de nous battre pour une Église meilleure que ce que nous sommes.
- Nous, les chrétiens, nous ne saurions rien du message de Jésus si l’Église ne nous avait pas transmis l’expérience qu’elle avait de lui, avant et après sa mort. L’Église est l’unique photo que nous avons de Jésus. Cette photo a deux mille ans. Elle est défraichie. Mais grâce à cette Église, vieille et décadente à bien des égards, nous chrétiens jouissons d’une appartenance millénaire. Faire partie d’une grande tradition est une belle chose. Et surtout, cela constitue pour nous un patrimoine d’expériences, d’épreuves et d’erreurs, de connaissances qui ont servi et qui nous sont utiles aujourd’hui pour faire des comparaisons, bref, ce sont de nombreuses tentatives pour être humain à la manière dont Jésus a pu l’être. Cette tradition est pour nous aujourd’hui un critère fondamental pour savoir où aller. Sans tradition la créativité est impossible.
Que faire face à la crise ?
- Fixons les yeux sur Jésus et son Évangile. Il doit prendre soin de nous, de ses frères et sœurs.
- Dans les moments de grands bouleversements de la vie, il n’est jamais bon de s’impatienter, de désespérer et de modifier nos choix les plus profonds. C’est alors, plus que jamais, qu’il est nécessaire de garder son calme. Aujourd’hui, il est très important de persévérer.
- La période de crise actuelle nous oblige à nous réunir et à aller de l’avant avec les autres. Cela nous ouvre une possibilité. Nous ne sommes pas seuls. Il est nécessaire de prier les uns avec les autres et les uns pour les autres. Nous devons aussi prendre sous notre responsabilité les plus fragiles : les encourager, les informer clairement en vérité mais sans les alarmer, les aider à faire ce qu’un chrétien doit faire dans les circonstances actuelles. Il est fondamental de se sentir d’Église et de nous en sentir responsables.
- Ne pas conditionner notre appartenance personnelle dans l’Église à l’action de la hiérarchie ecclésiastique. Nous ne devrions pas non plus la faire dépendre des transformations qu’elle doit faire. Les changements nécessaires sont si importants qu’il faudra des années pour qu’ils se produisent, si tant est qu’ils se produisent. En attendant, nous n’avons aucune excuse pour ne pas pratiquer la fraternité entre nous et tenter de rendre le monde plus fraternel.
- Analyser et essayer de comprendre la crise de la relation entre l’institution ecclésiale et les chrétiens. Le problème est suffisamment grave pour penser que nous devrons créer quelque chose de vraiment nouveau.
Critères d’action pour résoudre les problèmes immédiats
- Prier et dialoguer plus que jamais.
- Se mettre à la place des victimes d’abus du clergé. S’identifier à elles. Les accompagner et les aider si possible. Imaginer l’avenir de l’Église de leur point de vue.
- Priez pour ceux qui ont commis des crimes et des abus, et pour les autorités ecclésiastiques insensibles ou dissimulatrices, afin qu’elles assument la responsabilité de ce qui s’est passé, et qu’elles offrent des réparations à leurs victimes le plus rapidement possible.
- Priez pour les autorités de l’Église qui n’ont commis aucun acte illicite et qui s’efforcent actuellement de rendre justice et de réparer les dommages causés ; priez et aidez les prêtres qui sont aussi blessés, indignés et perplexes que l’ensemble des laïcs.
- Faites un examen de conscience. Dans la crise ecclésiale actuelle, il y a eu des péchés de nature très diverse. Il est important d’être conscient et de demander pardon pour la culpabilité que chacun peut avoir dans la situation de l’Église.
Critères pour retrouver le cap perdu
- Retour au mode Jésus. Nous approcher des pauvres et nous identifier à eux : les prisonniers, les toxicomanes, les chômeurs, les enfants abandonnés, les personnes âgées, les personnes dépourvues des biens essentiels. Nous pouvons faire quelque chose pour qu’ils sachent que Dieu les aime.
- Créer de nouvelles communautés, prendre soin de celles qui existent et les renforcer. Les premières communautés chrétiennes peuvent servir de modèle (Ac 2,42-47).
- Créer de nouvelles façons de célébrer la foi. L’eucharistie est la forme la plus accomplie de l’action de grâces à Dieu. Cela n’empêche pas les chrétiens d’inventer de nouvelles célébrations eucharistiques pour lire la Parole, partager le pain et prier ensemble. La participation de tous, – comme le dit le Concile Vatican II – doit être la clé. Aujourd’hui, il est nécessaire d’imaginer de nouvelles formes de rassemblement liturgiques parce qu’il y a de moins en moins de prêtres ou parce que le cléricalisme de beaucoup d’entre eux les rend incapables d’accompagner les communautés.
- Témoigner pourquoi nous sommes chrétiens et pourquoi nous ne cesserons jamais de l’être.
- Soutenir les initiatives des autres dans leurs efforts pour que le royaume de Jésus advienne. Il y a des activités et des groupes organisés par des non-catholiques qui apprécieraient peut-être notre aide.
Source : http://www.reflexionyliberacion.cl/ryl/2018/09/04/criterios-para-reparar-la-iglesia
Traduction par Régine Ringwald