Chili : s’affranchir d’un regard simpliste
Par Régine et Guy Ringwald
Le texte qui suit parle de Mgr Goic. Précisons qu’il ne s’agit pas d’une enquête [1] sur la personne, qu’il n’est pas question de porter appréciation ou jugement, mais de montrer à quel point les mauvaises habitudes pouvaient atteindre tout le monde dans la hiérarchie. Cela n’excuse pas, ce n’est pas le propos, cela signale qu’il s’agit bien d’un problème qui touche la structure.
Plutôt une bonne image
Mgr Alejandro Goic est l’évêque (désormais émérite) de Rancagua [2]. Il avait eu, vis-à-vis de la résistance des laïcs d’Osorno, une attitude positive. Il avait d’ailleurs été évêque d’Osorno. Au moment de la nomination de l’évêque Barros, il avait signé une lettre avec Mgr Chomali (Concepcion) pour déconseiller la nomination de Barros, lettre que celui-ci avait ensuite portée au Pape. Il s’était fait éconduire sèchement. Mgr Goic avait reçu, en 2017, une délégation des laïcs, et avait fait part de leur position à la Conférence des évêques qui n’a pas donné suite. Il avait aussi écrit, en 2013, au Cardinal Ezzati pour lui reprocher le peu de diligence dont il avait fait preuve dans l’affaire Karadima. La lettre a été retrouvée par la police, lors d’une des récentes perquisitions, mais Mgr Ramos, évêque auxiliaire, dit qu’elle n’est jamais parvenue à l’évêché… où pourtant on l’a retrouvée.
Mgr Goic avait fait un parcours fort honorable dans les différents diocèses où il avait exercé la fonction d’évêque. Ayant atteint la limite d’âge (il a maintenant 78 ans), il avait, en temps utile, remis sa démission au Pape qui l’a provisoirement maintenu dans ses fonctions, comme cela se fait assez souvent. Il présidait la commission chargée de la protection des mineurs.
Retour de Rome : « la Familia »
Mgr Goic s’est rendu à Rome avec tous les autres évêques quand le Pape les a convoqués ensemble, après l’enquête Scicluna. Il a été, comme tous, destinataire de la lettre dans laquelle le Pape François dénonçait vertement le comportement de la hiérarchie sur les affaires de pédophilie.
Mais dès son retour de Rome, éclatait publiquement (par la télévision Canal 13) un scandale touchant précisément le diocèse de Rancagua. Un réseau de prêtres et de diacres était dénoncé pour des conduites sexuelles inadéquates : entre eux, mais aussi avec des mineurs. Le réseau s’appelait « la Familia », et était organisé en structure pyramidale.
Elisa Fernandez, ancienne coordinatrice de la pastorale des jeunes, dit avoir alerté à quatre reprises Mgr Goic, et avoir écrit à la conférence des évêques, mais sans suite. Elle a alors piégé un des prêtres du réseau, se faisant passer pour un jeune de 16 ans. Elle a reçu des messages érotiques et une photo. À la télévision, elle a expliqué : « je ne demande pas qu’ils soient des saints, je demande seulement qu’une personne qui vient de me confesser n’envoie pas une photographie de son appareil génital à un jeune de 16 ans ».
Des réactions (malheureusement) dans la « norme ».
Mgr Goic a alors pris la mesure du problème, mais les premières réactions ont été du style qu’on connaît : « j’ai été formé comme pasteur pour servir les gens, pas comme détective ». Quand on lui a parlé du problème, il a demandé « des preuves » (comme le Pape à propos de Mgr Barros).
Puis il s’est ressaisi, suspendant 14 prêtres, démissionnant de la commission de protection des mineurs qu’il présidait, reconnaissant qu’il avait « agi sans l’agilité adéquate ». Il a demandé pardon (comme tout le monde), et a voulu consacrer la fin de son mandat à réparer, notamment auprès des victimes.
Il n’en aura pas le loisir, car le pape a rapidement « accepté sa démission », et nommé à sa place un administrateur apostolique. Qui ? Mgr Fernando Ramos, mais nous allons y revenir.
On comprend tout à fait la réaction du pape dans l’ambiance d’indignation que l’affaire avait soulevée, après l’émission télévisée, qui plus est dans le contexte chilien où toutes ces questions sont tellement brûlantes.
Un témoignage émouvant
Reflexion y liberacion, publication catholique en ligne, de tonalité progressiste, publiait, le 2 juillet, le témoignage d’un laïc du diocèse de Rancagua, membre de la faculté de théologie de l’Université Catholique. Celui-ci retrace le parcours de Mgr Alejandro Goic pour lui manifester sa reconnaissance. Originaire de Punta Arenas [3], ordonné en 1966 dans la mouvance du Concile, le coup d’État de Pinochet trouve Alejandro Goic vicaire épiscopal de Punta Arenas, où il a fait son possible pour accueillir, recevant lui-même des menaces. Puis, évêque auxiliaire de Concepcion, il a accompagné les familles de disparus, consolidé les communautés de base, demandé la dissolution de l’organisme de répression qui détenait des enfants : le père d’un d’entre eux s’était immolé sur les marches de la cathédrale. À Osorno, il a initié le procès en béatification du premier évêque du lieu, Mgr Valdes, unanimement vénéré. Enfin à Rancagua, outre une présence pastorale active, il a soutenu les revendications des ouvriers de la mine de cuivre d’El Teniente qui demandaient un salaire décent.
Le témoignage se termine ainsi : « je remercie Dieu pour la présence de Don Alejandro Goic à Rancagua… Il faut se souvenir de l’être humain pour ce qu’il est… Il a aussi échoué, il l’a reconnu lors d’une rencontre à laquelle il a convoqué un groupe de laïcs. Sa douleur, sa honte, et sa fatigue étaient évidentes. Mais aujourd’hui, je reconnais que sa fructueuse mission pastorale vaut plus que ses omissions ».
Que conclure ?
Rien justement, sinon se rendre compte qu’un homme qui n’est pas un Karadima, ni un supérieur de séminaire comme Duarte [4], ni un archevêque de Santiago qui couvre Karadima, un homme qui a laissé, tout au long de son chemin, des traces d’une pastorale sincère, a pu suivre les errements qui ont été ceux de la hiérarchie. Sur un problème, les abus sexuels, qui est devenu un cancer qui menace la survie même de l’Institution, il a fait « comme tout le monde » ce qui n’était pas digne de la fonction, ni surtout du message dont l’Église est porteuse. C’est une des dimensions du drame qui se vit actuellement dans l’Église catholique.
Épilogue
Oui, il y a, malheureusement, un épilogue.
Mgr Goic a été vite remplacé par le nouvel administrateur apostolique, Fernando Ramos, qui avait organisé le voyage du Pape, en janvier dernier, la catastrophe que l’on sait, à qui on n’arrivait pas à faire dire, au retour de Rome, que les évêques étaient responsables, et celui qui n’a jamais vu la lettre que la police a retrouvée à l’archevêché. Lors de l’intronisation de ce Monsieur, on avait déplacé du beau monde : le Cardinal Ezzati, archevêque de Santiago, tellement honni qu’il n’a pas pu entonner le Te Deum dans « sa » cathédrale, le jour de la fête nationale, le 18 septembre dernier, car personne ne voulait venir, et le Cardinal Errazuriz, son prédécesseur, qui a couvert Karadima assez longtemps pour que les faits soient prescrits. On reste interdit devant tant de morgue et (sans doute) d’inconscience. Et que dire du choix de Mgr Ramos pour ce poste ? On imagine les sentiments de Mgr Goic. Reste que ses fidèles lui ont manifesté leur sympathie.
Notes :
[1] Ce texte n’a rien d’une enquête, il se base sur ce qui a été publié dans la presse.
[2] Rancagua est à 80 km au sud de Santiago
[3] Punta Arenas est à l’extrême sud du pays, près du détroit de Magellan
[4] Gonzalo Duarte, évêque de Valparaiso, dont le pape a « accepté la démission », est l’objet de poursuites de la part de plusieurs anciens séminaristes. Il est accusé d’avoir, lorsqu’il était supérieur du séminaire, imposé des gestes et conduites inconvenants à des jeunes qui n’en demandaient pas tant…
Source de l’illustration : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Alejandro_Goic.jpg