Heiner Wilmer : un évêque qui ose – Dialogue à distance avec Drewermann
Par Régine et Guy Ringwald
Heiner Wilmer est un jeune évêque allemand qui ne craint pas de voir les choses en face, mais surtout de le dire. Dans une interview relatée ci-dessous, il traite sans faux-fuyant de la crise des abus de pouvoir (ils « font partie de l’ADN de l’Église catholique ») et abus sexuels. Alors que les évêques allemands se lancent dans un synode incluant les laïcs, il soutient l’initiative, tout en restant conscient que ce ne sera pas facile, pour les évêques, de traiter avec les laïcs des questions brûlantes : pouvoir clérical, morale sexuelle, célibat des prêtres, place des femmes. Mais pour lui, ceux qui ne s’intéressent qu’à la survie de l’Église « ont déjà perdu ».
Lors de ses différentes prises de position, Heiner Wilmer se réfère à la réflexion d’Eugen Drewermann qu’il qualifie de « prophète », l’occasion pour le site « Katholisch.de » d’interroger le théologien qui, dans la période actuelle, se signalait… par son silence.
Petit retour en arrière.
Eugen Drewermann, aujourd’hui âgé de 79 ans, théologien, psychanalyste, enseignait à l’Université de Paderborn. Il avait publié plusieurs ouvrages, traitant l’Écriture sous l’angle de la psychologie des profondeurs. Sa thèse « Les Structures du Mal » (1978) révise la question du péché originel. Il traite aussi des récits de la naissance virginale de Jésus et de sa résurrection : des sujets traités partout aujourd’hui, mais qui, à l’époque, faisaient scandale. En 1989, il publie « Les fonctionnaires de Dieu ». Dans ce livre, il fait une critique fondamentale du statut du prêtre, étudie la question de la chute de son statut social et de la baisse des vocations, notion dont il critique les fondements mêmes, sur une base psychanalytique. Il sera interdit d’enseignement en 1991, puis suspendu de son ministère, et finalement quittera l’Église catholique. Ses thèses avaient alors suscité un grand intérêt par la nouveauté de ses approches, en même temps qu’elles avaient été brutalement rejetées par le Cardinal Ratzinger.
Le site « Katholisch.de » [1] l’a récemment interrogé.
• sur le cléricalisme : « les prêtres devraient être un pont entre le ciel et la terre, au lieu de cela ils commettent d’horribles crimes, le discours autoritaire vertical (du haut vers le bas) ne peut plus fonctionner dans l’Église, la sacralité du prêtre est dépassée. Si un évêque prend ces considérations au sérieux, cela va très loin » ;
• sur l’évêque Heiner Wilmer : il prévoit qu’il n’aura pas la vie facile, lorsqu’il sera confronté aux structures de l’Église. Il ne doit pas se laisser intimider par d’autres évêques. Mais il l’encourage : « c’est un combattant et un homme crédible, et il est encore jeune. Il doit continuer à dire ce qu’il pense et ce qu’il voit » ;
• sur l’abstinence sexuelle imposée aux prêtres : elle conduit à « des pulsions névrotiques qu’on ne peut traiter par des changements d’affectation », ou bien, pour celui qui « développe une sexualité normale, et ressent des sentiments pour une femme ou un homme et les confesse, alors il est expulsé. Cela me semble doublement étrange ».
• sur l’abolition du célibat obligatoire : « c’est urgent ».
Quand on lui demande s’il pense qu’il pourrait se réconcilier au ciel avec l’archevêque Johannes Degenhardt, qui l’avait sanctionné, il fait une réponse loin d’être simpliste.
« Les évêques aussi sont sous la contrainte. Je ne voudrais pas être à leur place une seule journée. Je n’en veux pas à feu l’archevêque Degenhardt. Il a subi des pressions de la part du Cardinal Joseph Ratzinger, et a dû me condamner. Mais cela montre à quel point, il devait être effrayé à ce moment-là. Il n’a jamais lu mes livres, j’en suis sûr. C’est tragique de voir comment la peur peut changer les gens. À mon avis, cela a été vrai aussi pour Ratzinger… il a manqué d’expérience réelle avec les gens. Le problème est que la réflexion n’est jamais remise en cause avec le secours de la psychologie. Tout l’inconscient est refoulé ».
Enfin, il revient sur le silence sur les abus sexuels : « il avait été imposé par Jean-Paul II… pour protéger l’Église. Ce n’était pas une erreur des évêques pris individuellement, c’était le style de l’Église ». On s’en doutait un peu, mais là, c’est dit avec l’autorité de la compétence.
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« Seule une nouvelle théologie peut sauver l’Église »
le point de vue d’un évêque allemand.
Heiner Wilmer, évêque du diocèse de Hildesheim dit que l’abus de pouvoir clérical détruit le catholicisme
Christa Pongratz-Lippitt [2], Vienne
Le 25 juin 2019
L’un des évêques allemands les plus récemment nommés a fait ouvrir de grands yeux en appelant à une « nouvelle théologie » comme réponse urgente aux révélations d’abus de pouvoir de la part des clercs.
« Nous n’avons pas encore pleinement pris conscience que la crise de confiance s’abat sur l’édifice de l’Église avec une force brutale », c’est l’avertissement qu’a lancé l’évêque Heiner Wilmer SCI dans une récente interview dans le quotidien allemand « Süddeutsche Zeitung ».
Bien que cet homme de 58 ans ne soit que depuis septembre dernier à la tête du diocèse de Hildesheim dans le nord de l’Allemagne, ce n’est pas la première fois qu’il fait les titres des journaux avec son franc-parler.
Wilmer, qui était le supérieur général de l’ordre mondial missionnaire et enseignant connu sous le nom de « Dehoniens » (Congrégation des Prêtres du Sacré-Cœur de Jésus) avant de devenir évêque, s’est attiré la critique, trois mois seulement après son entrée dans sa nouvelle fonction, lorsqu’il a déclaré au « Kölner Stadt Anzeiger » que l’abus du pouvoir était dans l’ADN de l’Église.
« Je m’attendais à des critiques, mais pas à ce que tant de gens soient si bouleversés. », avouait-il dans cette dernière interview parue le 12 juin dans le « Süddeutsche Zeitung ».
« Ma déclaration (en décembre dernier) a touché un point sensible, certes plus douloureusement que je ne l’avais imaginé. Mais je m’y tiens », dit l’évêque.
L’abus de pouvoir, aussi vieux que les Évangiles, doit être combattu théologiquement.
Il soutenait que l’Église avait oublié que l’abus de pouvoir était aussi vieux que les évangiles, citant plusieurs exemples dans le Nouveau Testament, y compris comment les disciples se disputaient pour savoir qui était le premier parmi eux.
Wilmer a noté que la réaction de l’Église à la crise des abus a été jusqu’à présent d’appliquer la discipline et le droit canon, d’améliorer la prévention et les communications, et de travailler en collaboration avec les autorités judiciaires et étatiques. « C’est une bonne chose, mais nous n’avons pas encore pris le temps de nous attaquer fondamentalement au problème », affirme-t-il.
Selon lui, cela exigera que l’Église se demande ce que signifie cette crise de l’abus de pouvoir, en regard de « la manière dont nous parlons de Dieu, de l’Église et de la manière dont nous annonçons l’Évangile ».
Il avertissait que l’étouffement des abus sexuels cléricaux était la conséquence d’une exaltation excessive de la sacralité de l’Église. Comme la violence sexuelle était perçue comme quelque chose qui souillait la sainteté de l’Église, il fallait la dissimuler.
« Nous devons descendre de là et voir le péché de l’Église, mais aussi nous attaquer au problème sur le plan théologique », ajoute-t-il.
L’Église doit passer de la moralisation à la libération des personnes.
Mgr Wilmer, qui a étudié à l’Université pontificale grégorienne de Rome avant d’obtenir un doctorat en théologie à l’Université de Fribourg, dans son Allemagne natale, a soutenu qu’une image exagérément exaltée de l’Église était l’une des raisons qui avaient conduit à l’effroyable extension de la violence sexuelle qui est maintenant venue au jour.
« Nous étions beaucoup trop intéressés à polir l’image de l’Église, nous n’avons pas su voir l’être humain. Je trouve cela vraiment terrible ! » dit-il.
L’évêque a déploré qu’au cours du siècle dernier, l’Église ait « glissé » dans une manière d’annoncer l’Évangile qui avait conduit les gens à voir simplement une institution centrée sur la morale sexuelle. « Nous avons laissé l’Église se détériorer en une institution morale centrée sur ce qui peut ou ne peut pas se passer sous la couette », dit-il tout en soulignant que le sixième commandement n’est pas le seul commandement.
Wilmer insiste sur le fait que le message de Jésus-Christ n’était « pas avant tout un message moral », mais visait à libérer et à racheter les êtres humains.
Dans l’Évangile de Saint Matthieu, il ne dit pas : « Si vous vous ressaisissez, vous serez la lumière du monde » ou « si vous vous conformez aux règles sexuelles, vous serez le sel de la terre ». Il utilise l’indicatif et non le conditionnel ou l’impératif, et dit : « Vous êtes le sel et la lumière comme vous êtes », dit l’évêque.
Il a souligné que Jésus avait un merveilleux sens de la beauté. « Il a vu une beauté fantastique dans un infirme, et lui a fait sentir cette beauté et relever la tête. »
De la simple survie à la fascination suscitée par l’Évangile
Mgr Wilmer a dit qu’il est crucial pour l’Église de devenir une communauté qui élève les gens. Le plus décisif pour lui, c’est que l’Évangile soit proclamé d’une manière qui fascine les gens. « Nous devons ranimer les braises sous les cendres et commencer par les aspirations des gens à la sécurité et à la paix. Nous devons leur donner la place pour grandir, des possibilités d’épanouissement et assez d’espace pour respirer », dit-il.
Il avertit que ceux qui ne s’intéressent qu’à la survie de l’Église « ont déjà perdu ».
Le responsable le plus récemment nommé à la tête d’un diocèse allemand a également placé ses espoirs dans la procédure synodale qu’a initiée la conférence nationale des évêques. Il sait que l’engagement des laïcs dans les discussions sur le pouvoir clérical, la morale sexuelle de l’Église et le style de vie des prêtres ne serait pas aisé. Mais il a dit aussi qu’il était convaincu que cela s’avérerait un succès.
Le courage d’écouter et de changer
Cependant, il reconnait que cela demandera beaucoup de courage de la part des évêques de marcher « côte à côte » avec les laïcs et de discuter de questions telles que l’ordination sacerdotale, le célibat, et la place des femmes dans l’Église.
Wilmer, qui est prêtre depuis 32 ans, s’est dit « passionnément » engagé dans le célibat. Mais « Il faut le rendre plus rayonnant. » La meilleure façon d’y parvenir, selon lui, était de le rendre volontaire plutôt qu’obligatoire comme c’est le cas aujourd’hui.
En même temps, pour lui, il est crucial que les femmes occupent des postes de direction dans l’Église et se voient confier une plus grande responsabilité.
« Nous ne pouvons plus nous contenter de dire que la question de l’ordination des femmes a été décidée une fois pour toutes, point final », a dit Mgr Wilmer.
Il a conclu en avertissant que si l’Église ne trouve pas un moyen de mettre en pratique ces réformes, elle deviendra marginale.
Notes :
[1] https://www.katholisch.de/aktuelles/aktuelle-artikel/drewermann-bischof-wilmer-soll-sich-nicht-einschuchtern-lassen
https://iviva.org/drewermann-el-obispo-wilmer-no-debe-ser-intimidado/
[2] https://international.la-croix.com/news/german-bishop-says-only-a-new-theology-can-save-the-church/10396