Une lumière dans les ténèbres
Par Nora Carmi [1]
Le doute n’est pas permis : la naissance de Jésus-Christ dans une banale petite ville marqua un tournant dans l’histoire, un « Kairos » qui allait engendrer des changements inimaginables dans le monde. Pour les croyants ayant accepté cette Incarnation comme l’expression de l’amour sans limites de Dieu pour l’humanité, le petit enfant né dans une pauvre mangeoire allait être « une bonne nouvelle, une grande joie pour tout le peuple ». Il allait amener « sur la terre la paix pour les hommes », les êtres humains, tout en rendant « gloire à Dieu au plus haut des cieux », comme annoncé par les anges aux bergers qui veillaient sur leurs troupeaux (Luc 2.10-14).
Pour les Palestiniens de souche nés à Bethléem ou à Beit Sahour où s’est déroulé ce merveilleux événement, l’Incarnation évoque un lieu réel et tangible de leur ville natale. C’est là qu’ils ont leurs racines et leur patrimoine. En même temps, Bethléem et Beit Sahour sont au centre de la foi de tous les croyants, une preuve de la relation de Dieu avec l’humanité tout entière. Les myriades de pèlerins et de touristes qui affluent dans la région, même après des milliers d’années, ces disciples de Jésus, chrétiens de toutes sortes de dénominations, sont peut-être à la recherche de réponses qui pourraient les conduire à un renouvellement de leur foi et à une confirmation de celle-ci. Pour tous cependant, la question essentielle est : « Pourquoi la paix ne règne-t-elle toujours pas sur cette terre d’où le message d’amour a été proclamé au monde entier ? »
Alors même que la situation dans la région devient de plus en plus injuste et intolérable, la petite ville de Bethléem célèbre toujours Noël avec ferveur et piété. Mais ces derniers temps, des décorations plus extravagantes ont fait leur apparition pour la fête : de brillantes lumières électriques, d’énormes arbres en plastique fort coûteux et des dizaines de Pères Noël. Oui, les modes occidentales se sont introduites dans nos vies et nos modestes traditions, mais c’est toujours le vrai sens de Noël qui est célébré dans les chants de chorales internationales et locales et, le soir de Noël, c’est dans la traditionnelle grotte de Bethléem que se tiennent nos cérémonies religieuses. De tous les cadeaux échangés, le plus important et le plus précieux est la naissance mystérieuse et glorieuse de Celui qui allait conduire à la libération et au salut.
Parce que Jésus a connu la vie sous l’occupation romaine, les chrétiens palestiniens de souche font facilement le lien entre eux-mêmes et ce Sauveur, plus particulièrement en cette période où leur désespoir ne cesse de croître en raison des mesures inhumaines de plus en plus nombreuses qui leur sont imposées et qui non seulement les privent de leurs droits fondamentaux humains, nationaux et sociaux, mais encore piétinent leur dignité et nient leur humanité. Des chrétiens, ici et ailleurs, essaient de trouver des réponses à leurs questions dans les Saintes Écritures et sont bouleversés d’y lire que Jésus a pleuré sur Jérusalem parce qu’elle n’avait pas su comment trouver la paix (Luc 19.41- 44). Il lui a annoncé de grands malheurs parce que, disait-il : « Tu n’as pas reconnu le temps où tu as été visitée ». Aujourd’hui comme hier, les êtres humains sont remplis de cette fausse fierté qui leur fait croire qu’ils sont tout-puissants et n’ont pas besoin du Créateur.
Jésus est dépeint comme la lumière : « La lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas comprise » (Jean 1.5). En Jean 8.12, Jésus dit : « Je suis la lumière du monde, celui qui vient à ma suite ne marchera pas dans les ténèbres ; il aura la lumière qui conduit à la vie ». Dans la Première Épître de Jean, on lit encore: « Dieu est lumière, et de ténèbres, il n’y a pas trace en lui. Si nous disons : “Nous sommes en communion avec lui”, tout en marchant dans les ténèbres, nous mentons et nous ne faisons pas la vérité. Mais si nous marchons dans la lumière comme lui-même est dans la lumière, nous sommes en communion les uns avec les autres » (1 Jean 1.5-7). Tous n’ont pas accepté la lumière, et même parmi ceux qui disent qu’ils l’ont acceptée, beaucoup ne vivent pas selon les enseignements de l’amour, de la justice et de la miséricorde qui sont des pierres angulaires dans la plupart des religions.
Pour les croyants de toutes les religions, les religions monothéistes ont choisi d’adorer Dieu, chacune à sa façon mais, dans le principe, il s’agit pour toutes d’agir selon la volonté de Dieu et d’œuvrer pour la gloire de Dieu, qui est reflétée dans la façon dont nous traitons les autres, qu’ils soient amis ou ennemis. Mais les temps modernes ont vu une distanciation par rapport à la religion et à la spiritualité, ce qui a amené extrémisme et fanatisme, racisme et matérialisme, tous dépourvus de valeurs morales et d’éthique. Comment pourrait-il y avoir discipline et harmonie si nous ne nous laissons guider par aucune lumière et si nous nous enfonçons dans des abîmes de ténèbres, de violence et de terreur ? Ne faudrait-il pas que le droit international et les déclarations en faveur des droits humains établissent des règles claires déterminant les responsabilités de chacun ?
Quand je lis en Luc 4.18-19 que Jésus-Christ déclare à Nazareth qu’il est venu « annoncer la bonne nouvelle aux pauvres, proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté », je ne peux que constater que la Déclaration universelle des Droits de l’Homme affirme les mêmes principes et qu’elle pourrait donc constituer le mécanisme de défense et de protection de tous les opprimés. Une lumière de plus dans les ténèbres d’aujourd’hui !
Honnêtement, alors que Noël approche, nous ne pouvons que constater que ce que nous vivons en Palestine/Israël est une expérience décevante. Jusqu’à présent, aucun groupe religieux ou politique, aucun organisme international n’a été en mesure d’assurer la préservation de la création de Dieu sur cette terre qui a promis la paix. Peut-on espérer qu’une lumière brillera enfin dans les ténèbres quand nous reconnaîtrons que nous sommes tous égaux et que nous avons le droit de nous opposer à l’injustice sans pour autant rendre le mal pour le mal ?
Si les gens, les communautés, les gouvernements comprennent que nous refusons de nous laisser abattre par la haine et la déshumanisation de nos frères et sœurs, lorsqu’ils comprendront cela, alors nous ne perdrons pas l’espoir de voir briller une lumière dans les ténèbres, si faible soit-elle. Et alors l’étoile de Bethléem continuera à briller.
Note : [1] Nora Arsenian Carmi est une militante palestinienne d’origine arménienne.
Professionnellement et comme bénévole, elle s’est investie durant de nombreuses années dans des programmes d’émancipation communautaire auprès de groupes de femmes et d’organisations théologiques et caritatives afin d’assurer des droits nationaux légitimes basés sur le droit international et des valeurs qui garantissent la justice et la paix pour tous, au plan local et au plan international. Depuis sa retraite du mouvement Kairos Palestine, Nora poursuit son travail de bénévole dans sa communauté. Elle continue d’écrire, et ses engagements internationaux se situent dans des domaines qui encouragent les participants à trouver des moyens concrets pour parvenir à une paix juste. Parmi ses nombreuses missions bénévoles internationales, elle représente l’État de Palestine dans l’organisation de la Journée Mondiale de Prière.
Source : Kairos Palestine Appel de Noël 2018 https://drive.google.com/file/d/1rBZ5sMuhKsE4-W6aupy4GOKUGnaKHn0P/view