René Frydman : « je ne serais pas là, elles accoucheraient quand même »
Propos recueillis par Caroline Flepp (50-50 magazine)
René Frydman, est spécialiste de la reproduction humaine, à l’initiative des premières naissances obtenues à partir d’ovocytes congelés. Professeur émérite à l’hôpital Foch, il fut membre du comité national d’éthique.
Qu’est-ce qui vous amené à vous intéresser aux questions de la procréation ?
Je suis devenu médecin parce que c’était ce que ma mère voulait. Lorsque j’ai fait médecine, les questions de procréation, d’avortement étaient en discussion, mais je ne voulais pas m’orienter dans ce domaine. Je voulais faire d’autres formes de chirurgie.
J’ai créé, avec Bernard Kouchner, Médecins sans Frontières, en 1971. Je m’occupais alors plutôt de traumatologie, d’urgence. Le hasard a fait que pour mes premières années d’internat je n’avais pas de bons choix de services renommés pour faire de la chirurgie. J’ai travaillé en orthopédie, mais j’ai compris que n’était pas pour moi. Par la suite, j’ai été faire « du mou » par opposition à la chirurgie « du dur » [1] et à l’époque, il n’y avait qu’un service de gynécologie qui fonctionnait comme au Moyen-âge. À Bichat en 1972, il y avait plusieurs femmes par lit, pas de surveillance de l’enfant né prématurément. Pour ma première césarienne, le patron avait fait poser deux mouflets qui étaient trop petits sur un comptoir et il trépignait en disant « appelez-le, appelez-le vite ». J’étais persuadé qu’il parlait du réanimateur alors qu’en fait, il avait fait appeler le curé pour qu’il donne l’extrême onction ! On était après 68 et en décalage total.
Il n’y avait pas de péridurale, il n’y avait pas d’intérêt réel pour l’enfant qui était délaissé et puis il y avait les séquelles et les décès liés à l’IVG, encore illégale.
Il y avait aussi la chirurgie de réparation des trompes qui ne marchait pas. On se trouvait en pleine libération sexuelle, Si une femme avait un problème de trompes, il n’y avait pas de solution, en dehors d’une idée assez géniale de la réimplantation d’ovocytes de Bob Edwards. J’étais allé voir en Angleterre, et cela m’a amené à constituer, avec Jacques Testard et Émile Papiernik, une équipe susceptible de réaliser des fécondations in vitro.
Je suis ensuite allé en Australie pour apprendre, grâce à une belle combine. J’ai dit que j’avais de l’argent pour aller dans ce pays et qu’il me fallait une lettre d’accord et une fois que j’ai eu cette lettre d’accord, j’ai pu trouver l’argent. Une fois sur place nous avons commencé à pratiquer.
Quelles ont été les étapes de votre travail ?
En 1982, il y a la naissance d’Amandine, première naissance par FIV en France et la quatrième naissance dans le monde. Nous étions des équipes de biologistes et de médecins. Après, il y a eu la première naissance après congélation embryonnaire en 1986 et après, les dons d’ovocytes en 1986 ou 1987. En 1991 et 1992, ce sont les premières injections intracytoplasmiques. Ensuite c’est le diagnostic préimplantatoire en 2000/2001. C’était une équipe supersonique.
Je suis nommé au comité national d’éthique en 1984. En 2003 on invente une technique de maturation in vitro pour les femmes qui fabriquent beaucoup trop de follicules.
En 2011, nous avons réalisé la première naissance après congélation d’ovules, ce fut une vraie bataille politique. En France, avant 1991, il était interdit de faire de la congélation.
Entre temps, j’ai été conseiller auprès de trois ministres sur ces questions bioéthiques, tout d’abord de Bernard Kouchner deux fois de suite, puis de Léon Schwartzenberg. J‘ai donc eu un cet énorme avantage de regarder, de faire, de pousser, une grande chance.
Et aujourd’hui, où en êtes-vous dans vos travaux de recherche ?
Aujourd’hui je travaille à l’hôpital Foch de Suresnes, un hôpital privé à but non lucratif. Il y a là un beau centre de recherches. Je suis récemment allé au deuxième congrès international, à Bruxelles, sur la greffe d’utérus. Nous sommes bien avancés en France sur cette question et j’espère que nous pourrons, en 2019, réaliser en France la première greffe d’utérus. Une équipe suédoise a réalisé des greffes d’utérus permettant dix naissances, dont deux aux États-Unis.
J’ai aussi une émission sur France Culture Matière à penser.
En fait, je ne m’ennuie pas.
Quels sont les enjeux de la PMA pour vous ?
Les enjeux de la PMA pour moi c’est de bien faire, or on fait mal. Les couples qui veulent des enfants, et qui ne peuvent en avoir naturellement, font appel à la médecine et sur ce plan la médecine est médiocre. Il existe très peu de recherches sur les raisons des problèmes de procréation. On devrait faire des recherches sur la question des polluants, des cigarettes par exemple, au lieu de se livrer à la course technique. 60 % des embryons qui arrivent dans un laboratoire ne vont jamais se développer.
Les questions sur les femmes seules ou pas, pour moi ce n’est pas le problème. En tant que médecin et scientifique je voudrais apporter aux femmes, car ce sont bien elles qui font des enfants, une technique qui ne soit pas déstabilisante, qui ne soit pas dangereuse. On n’a pas encore osé mettre sur pied un protocole de recherche sur l’embryon, sur tous les aspects environnementaux, on n’a pas encore pris la question à bras le corps et donné une réelle information aux femmes, entre autres sur l’âge.
Pensez-vous que la sécurité sociale fasse son travail d’information sur la procréation ?
Je dis souvent que la sécurité sociale envoie aux femmes des informations sur le dépistage du cancer du sein, du cancer du côlon, mais n’envoie pas d’alerte sur l’âge de la procréation. À 30/32 ans il faudrait qu’il y ait des alertes systématiques sur l’impact de l’âge sur la procréation.
Une fois que les femmes sont au courant, elles ont le choix. Soit elles choisissent d’avoir des enfants rapidement ou, si elles veulent attendre, de conserver leurs ovocytes. Elles peuvent aussi choisir de pas avoir d’enfants, c’est la liberté des femmes. En ce qui concerne la contraception ou l’IVG, souvent il faut être à deux pour décider, mais en ce qui concerne la décision de conserver ses ovocytes, c’est un acte personnel, c’est un point fort de l’autonomie des femmes, et c’est en tant que tel qu’il est contesté.
Il faut que l’on prenne le problème à bras le corps pour améliorer l’implantation et pas seulement pour faire des greffes de peau ou autres choses.
Comment pensez-vous que la Fécondation In Vitro (FIV) devrait être financée ?
On a quatre FIV remboursées par la sécurité sociale. Cela marchait très bien, mais les conditions ont changé. Les femmes qui les demandent sont plus âgées et les conditions environnementales sont difficiles. Malgré cela, quand vous leur expliquez qu’il va y avoir 0,3 % de chance, elles disent « c’est remboursé alors je tente. » Je serais pour faire participer tout le monde, avec une toute petite somme, à partir de la deuxième tentative. Avec ce fonds nous pourrions développer la recherche pour comprendre les raisons des échecs. La recherche sur les causes environnementales de l’infertilité est cruciale. Il n’y a pas que la technique. Je pense que si l’on demande de payer pour rien cela ne marche pas, mais si c’est pour participer à la recherche cela change tout.
A votre avis, comme se fait-il qu’il n’y ait pas plus de recherches sur les questions environnementales ?
À l’Inserm, il n’existe pas une grande thématique « recherche sur la reproduction ». Ce n’est pas un thème phare. Il y a un plan cancer, un plan Alzheimer, etc. Il y a toujours un combat idéologique sous-jacent, politique avec des lobbyings comme « laissez-les vivre » qui, dès que l’on parle d’embryon, font un dépôt auprès du Conseil d’État pour bloquer le système.
L’Église catholique a également trouvé depuis le mariage pour tous une raison d’exister. Cela fait 40 ans que je me bats contre ces idées-là. J’ai même été invité au Vatican, mais le pape n’a pas bougé du tout. L’Église catholique arrive à des contradictions incroyables, car elle ne veut pas faire de séparation entre l’acte sexuel et la reproduction. Elle était contre le préservatif, maintenant ça bouge, mais comment peut-elle être encore contre la contraception ? Vous dites aux Catholiques : « vous êtes contre la contraception, alors pourquoi êtes-vous contre la fécondation in vitro ? Comment faire si je suis amoureux d’une femme ménopausée pour avoir des rapports sexuels parce qu’il n’y a pas de reproduction à la clé ? »
Parlez-vous d’adoption aux couples qui échouent dans leurs différentes tentatives pour avoir un enfant biologique ?
Oui bien sûr. L’idée d’adoption est posée assez rapidement après trois ou quatre échecs de fécondation in vitro. Le processus habituel est le recours à un don d’ovocyte, de sperme, d’embryon ou l’adoption.
Quelle est votre position sur la GPA ?
Ma position est très claire, je peux comprendre qu’un homme, deux hommes peuvent avoir envie d’élever des enfants. Je pense que ce n’est pas forcément simple pour des enfants d’avoir deux pères, mais c’est une autre question, elle n’est pas forcément la principale même si on ne peut pas la nier.
Ce qui me trouble le plus c’est que la GPA passe par le corps des femmes donc la commercialisation de leur corps, l’assujettissement de leurs corps. Le corps des femmes est entré dans le marché. Depuis 5 ans, tout le monde parle de la GPA, mais personne n’a lu les contrats que signent les mères porteuses. Vous n’accepteriez pas le dixième de ce qui est écrit. Il est noté que vous n’avez pas le droit de fumer, pas le droit d’avoir de rapports sexuels, qu’il faut que vous vous couchiez tôt, si l’enfant est anormal vous le gardez, etc. Ces contrats sont affolants. C’est pour moi une aliénation du corps des femmes, un assujettissement et on interview toujours les commanditaires, les maîtres qui disent que l’esclavage c’est bien. Ce sont les maîtres qui parlent.
On ne peut avoir un double discours. Le double discours c’est lorsque vous êtes en face d’un don d’ovocyte, vous avez un patrimoine génétique qui vient d’une autre femme. Et vous lui dites que vous allez porter cet enfant, vous allez lui donner votre épigénétique, vous allez moduler cette génétique, avec votre corps, vos pensées et cet enfant qui va naître sera votre enfant. Si vous mettez le même embryon chez une autre femme, cela ne donnera pas la même chose. Cet enfant vous le portez, vous allez avoir des douleurs, vous allez le prendre dans vos bras. Dans le cadre de la GPA, on dit exactement le contraire. Certes vous allez porter un enfant, mais comme il n’est pas de vous vous pouvez vous en détacher, vous n’aurez aucun affect envers lui. Ce sont deux attitudes qui sont impossibles à réconcilier.
Je ne vois pas la réalisation d’une GPA éthique. Une GPA peut aller jusqu’à 150 000 $. Une médecine comme cela, avec un achat d’enfant, un abandon d’enfant et une femme qui n’a pas de place dans cette histoire, car elle est souvent rejetée, souvent à l’étranger, ce n’est pas possible. Ce qui est étonnant c’est qu’en Angleterre où bien sûr l’offre est inférieure à la demande, le recours à des mères porteuses à l’étranger ne fait qu’augmenter. On s’adresse hypocritement aux Népalaises, aux Indiennes, etc.
Je pense que le droit à l’enfant n’existe pas. On peut être unijambiste et heureux quand même.
Connaissez-vous l’association ARDECOM qui est engagée dans la contraception masculine ?
Oui je connais depuis longtemps le docteur Soufir qui travaille sur la contraception masculine. Objectivement, la contraception masculine ne marche pas. Les méthodes hormonales, à ma connaissance, ne fonctionnent pas, elles ne sont pas suffisamment fiables pour la femme, car elle doit alors s’en remettre à son compagnon et c’est un problème important.
Il n’y a que des essais sur cette question.
Quand j’étais jeune j’avais travaillé sur le chien et je lui avais implanté une toute petite valve que je mettais dans son canal, qui transporte les spermatozoïdes, et on refermait la valve, mais les spermatos ce sont des coquins, ils se glissent partout.
Je ne dis pas qu’il ne faut pas chercher à développer la contraception masculine, mais il me semble que c’est malgré tout la femme qui porte, et c’est la femme qui subit. Je suis pour, mais je suis prudent.
Pourquoi dites-vous « j’aide à accoucher et non j’accouche les femmes » comme de nombreuses/nombreux gynécologues ?
Ce sont les femmes qui accouchent, ce ne sont pas les hommes. C’est intéressant, important de modifier le langage. Il faut dire qui est qui et qui fait quoi, moi j’aide à accoucher. Moi sans les femmes je ne ferais rien ! Et puis, je ne serais pas là, elles accoucheraient quand même.
Notes :
[1] La chirurgie « du mou » désigne toute la pratique chirurgicale autour des tissus mous tels que la graisse, les glandes, la peau ou les muscles. La chirurgie « du dur » désigne quant à elle la chirurgie des os et des cartilages. Les instruments et pratiques utilisés diffèrent selon le type de chirurgie