Par Joyce Meyer [1]
On a besoin de jeunes théologiennes si l’on veut que les voix des femmes perpétuent l’héritage de celles qui ont commencé à briser les barrières théologiques patriarcales et continuent de contribuer au développement théologique de notre Église catholique !
C’est l’objectif de Women of Wisdom and Action (Femmes de sagesse et d’action), qui a commencé il y a sept ans de la collaboration entre la province américaine de la Fraternité missionnaire Verbum Dei et l’École de théologie jésuite de l’Université de Santa Clara, en particulier pour les religieuses d’Asie. (Le programme est parrainé par la Fondation Conrad N. Hilton, qui finance également Global Sisters Report.)
J’ai eu la chance de participer aux fruits de cette initiative du 14 au 18 janvier à Bangkok. Un colloque intitulé « Sans vision, le peuple périra » a donné aux femmes théologiennes asiatiques la possibilité de partager leurs découvertes théologiques issues de leurs études.
Trente et une sœurs, trois laïcs femmes, un laïc homme et cinq prêtres jésuites venant des États-Unis et de sept pays asiatiques se sont réunis pour garder vivante la vision et la passion suscitées par Women of Wisdom and Action depuis sa création et pour réfléchir au maintien de son dynamisme dans l’avenir.
Pendant quatre jours, les sœurs – douze de Chine, sept d’Inde, quatre du Vietnam, trois du Myanmar, deux des Philippines, une de Taiwan, une de Singapour, une Américaine et deux doctorantes de communautés tribales de l’Inde – ont participé à des ateliers avec d’anciens moniteurs ou enseignants des universités où elles ont étudié. Un groupe de neuf sœurs a discuté des problèmes théologiques soulevés par la direction spirituelle. Les communications reflétaient des recherches, des prières et des études sur des thèmes de l’Ancien et du Nouveau Testament, de l’Église dans le monde et des théologies féministes. Après chaque atelier, des groupes organisés en fonction de l’âge ont permis d’aborder des points de vue importants sur les questions soulevées lors des présentations.
Les discussions ont soulevé des points sur l’importance de nourrir la pensée critique et les aptitudes au questionnement qui maintiennent la théologie en vie et nous ont rappelé à tous que la pensée théologique doit être holistique et contextuelle. Les chercheurs ont également convenu que le dialogue aide à développer la théologie ; des communautés de pensée théologique sont donc nécessaires aujourd’hui.
Il y a eu également un accord sur l’importance de la langue dans le discours théologique. Nous avons discuté sur la façon dont le langage culturel peut créer des récits de nos vies en tant que femmes et, par conséquent, en tant que religieuses, qui influencent à leur tour notre image de Dieu dans les contextes culturels actuels.

(Photo GSR / Joyce Meyer)
Un exemple donné est celui de la culture vietnamienne, où Thi, qui signifie « enceinte », est le deuxième prénom de toutes les femmes, alors que le deuxième prénom de tous les hommes est Van, ce qui signifie « hommes hautement scolarisés ». Un autre exemple du Vietnam mais originaire de Chine est le mot pour désigner les femmes, phu nu, qui signifie « modeste » ou « subordonnée aux hommes ». Les femmes vietnamiennes conservent ces qualificatifs lorsqu’elles entrent dans la vie religieuse, ce qui influence la façon dont elles sont considérées dans l’Église.
Un exemple de récit alternatif, positif, sur les femmes en théologie a été noté dans la réponse à la question “Qui est théologien ?” Plutôt que de céder au discours patriarcal selon lequel seuls les prêtres ou les femmes et les hommes titulaires d’un doctorat en théologie peuvent assumer ce rôle, les femmes titulaires d’un baccalauréat ou d’une maîtrise en théologie peuvent également revendiquer le titre dans les ministères de l’enseignement, du travail social, de l’administration ou autres.
Les ateliers comprenaient des théologiennes théoriques et pratiques. Certaines sont clairement plus attirées par la recherche approfondie et ‘écriture alors que d’autres se sentent appelées à mettre en pratique les perspectives théologiques dans leur vie ministérielle. Les deux apportent une contribution importante à la vie théologique.
Cela était évident dans les documents évoquant des ministères avec des réfugiés et des personnes déplacées qui fuient la violence de la guerre, qui ont suscité un profond sentiment de tristesse chez les présentateurs et les auditeurs. Ils nous ont rappelé que la théologie sans cœur n’est pas holistique.
Les présentatrices féministes ont réfléchi aux souffrances des femmes soumises à des images et des rôles subalternes dans les familles et dans les Églises en Asie ; elles sont souvent objet de violences domestiques et sexuelles qu’elles portent dans la honte pendant des années, sans pouvoir les exprimer ouvertement.

Bien qu’elles aient été bien formées aux techniques de direction spirituelle, les sœurs ont dit que les prêtres, les laïcs et même d’autres sœurs jugent qu’elles assument des rôles réservés aux prêtres.
Cependant, celles qui ont le courage de continuer découvrent que les femmes désireuses de les engager en tant que directrices spirituelles parviennent à dépasser des années de silence atroce sur la honte des abus et commencent une transformation de la façon dont elles se ressentent elles-mêmes.
Un certain nombre de sœurs ont trouvé difficile de revenir dans leurs congrégations après des années d’absence pour des études théologiques. Elles ont partagé ouvertement leurs peurs du rejet, leur incompréhension, leur désorientation et leur impossibilité à s’intégrer à cause de ce qu’elles avaient appris, même si leurs responsables de congrégations les avaient choisis pour aller étudier.
Elles se dont demandé si la théologie les avait responsabilisées ou asservies. Oui, elles ont appris beaucoup de choses nouvelles en étudiant la théologie, mais à leur retour, leurs supérieures et, dans certains cas, les évêques les ont assignées à de lourdes situations de ministère qui les empêchaient de faire les recherches et les écrits nécessaires à notre Église aujourd’hui.
Elles ont dit se sentir désorientées, prises entre le besoin de former de nouvelles sœurs ou d’autres œuvres de leurs congrégations et la nécessité de s’engager dans un travail théologique sérieux. Elles ont dit craindre de perdre les compétences acquises au cours de leurs années d’études et avoir besoin de soutien pour conserver le courage de résister à l’abandon du rêve de l’étude et du discours théologiques.
Ces préoccupations ont conduit à des discussions sur la nécessité de nouer des relations et de constituer des réseaux avec d’autres théologiennes afin de maintenir en vie la passion du travail, le soutien et le défi de continuer à écrire.
Le groupe a passé la dernière journée du colloque à prier et à réfléchir sur l’avenir de cette initiative théologique de femmes asiatiques. Les sept dernières années ont été rendues possibles grâce au financement de fondations et à des dons. Elles se sont demandé comment préserver la passion et le soutien si cela n’était plus possible.

Il y a eu consensus sur l’importance de l’engagement de chacune dans le rêve visionnaire, ainsi que sur la nécessité d’un leadership local, car, comme l’indique le thème du colloque, « sans vision, le peuple périra ». Développer et pérenniser les réseaux régionaux est une solution pratique, mais il faut également créer un organisme international chargé de faciliter la collecte de fonds et la communication entre les régions et d’organiser des rassemblements internationaux tous les quatre ou cinq ans. L’équipe originelle de Women of Wisdom and Action se chargera d’explorer comment ces idées pourront être mises en œuvre.
En fait, deux autres rassemblements de théologiens avaient lieu juste à côté du colloque de Women of Wisdom and Action, un rassemblement pour les membres du Bureau des préoccupations théologiques de la Fédération des conférences épiscopales d’Asie et un autre pour les présidents des Commissions doctrinales des conférences épiscopales d’Asie et une délégation de la Congrégation pour la doctrine de la foi au Vatican.
Le cardinal Luis Ladaria, préfet de la congrégation doctrinale, a prononcé un bref discours au colloque, marqué par la gratitude, la joie et l’encouragement. C’était la seule interaction officielle entre les groupes, mais les chemins se croisaient, en particulier lors des repas et des promenades sur le campus.
De nombreux évêques ont été intrigués par le nombre de sœurs rassemblées pour des travaux théologiques et sont entrés ensuite en conversation avec des sœurs lors des repas et dans les couloirs. Plusieurs avaient déjà été en contact avec des membres de Women of Wisdom and Action au fil des ans – comme le cardinal Charles Bo de Yangon, au Myanmar, président de la Fédération des conférences des évêques d’Asie – et étaient ravis de se revoir. Certains avaient suivi une formation théologique avec des sœurs du colloque ou s’étaient connus dans leur lieu d’origine ou lors de ministères partagés.
Chaque jour, notre programme théologique commençait par de belles liturgies culturelles et des prières. Nous avons apprécié une soirée de danse et de chants culturels. J’ai quitté le colloque remplie de joie et d’optimisme pour l’avenir des femmes en théologie. J’ai rencontré des femmes brillantes et je me suis engagée à prier pour que ce qui a commencé continue à prospérer.
Note :
[1] Joyce Meyer est membre des Sœurs de la Présentation de la Bienheureuse Vierge Marie et assure la liaison entre le GSR et les religieuses à l’extérieur des États-Unis.
Traduction : Lucienne Gouguenheim