L’Église catholique peut-elle se réformer ?
Par Robert Ageneau
En juin 2019, Robert Dumont et moi-même, nous sommes allés à la résidence jésuite de la rue de Grenelle pour rencontrer Joseph Moingt et pour déjeuner avec lui. C’était un an avant son départ. Nous l’avons informé en particulier de la rencontre prévue le 5 octobre 2019, organisée autour de la question « Quel christianisme pour l’avenir ? ». Sa pensée théologique devait y faire l’objet d’une communication par Jean-Pol Gallez, un jeune théologien laïc belge, l’un des promoteurs de son œuvre. Avant de nous quitter à la fin du repas, il nous a déclaré d’une voix forte : « Je ne crois pas que l’Église catholique soit capable de se réformer. » Venant d’un théologien d’envergure qui a connu beaucoup d’engagements sur le terrain, cette phrase ne nous a pas quittés. Pouvons-nous reposer la question : l’Église catholique peut-elle se réformer ?
Depuis les années 1970, il est admis que le catholicisme est une réalité éclatée. Aux yeux des « troisièmes hommes » qui ont quitté la pratique dominicale et pensent davantage par eux-mêmes en matière de foi, de spiritualité et de morale, l’Église catholique institutionnelle apparaît comme une organisation principalement centrée sur le culte et sa doctrine dogmatique. Au cours des deux derniers mois de l’année 2020, nous l’avons vu, quand des catholiques bruyants réclamaient la messe et que les médias répercutaient l’image d’un catholicisme cultuel, d’essence d’abord religieuse. Nous savons bien que cela ne reflète pas la réalité, mais n’empêche. L’Église catholique apparaît toujours comme une monarchie. D’autres diront une théocratie. Des évêques au pape, la désignation des responsables se fait par le haut sans le moindre processus électoral, en l’absence de toute culture démocratique. Au cours des années 1910, Alfred Loisy écrivait dans une correspondance avec le jeune et brillant intellectuel René Duchamp de Lageneste, qui perdra la vie dans les tranchées de la guerre de 1914-1918 : « Les catholiques ont fait du pape un Dieu. » [1]
Dans cette conception sacralisée, beaucoup de catholiques conservent un comportement enfantin par rapport au pape. Bien des prêtres, des théologiens, des journalistes catholiques n’arrêtent pas de dire à propos d’une orientation ou d’un problème à résoudre : « Comme l’a dit le pape François. » Cette situation de l’Église catholique a des causes qui relèvent, d’une part de facteurs d’ordre disciplinaire ou statutaire, et d’autre part de sa doctrine, disons de sa culture théologique.
L’historien Jean Delumeau, décédé en janvier 2020, écrit dans son livre L’Avenir de Dieu : « Les catholiques ont besoin que leur Église ne s’entête plus dans des affirmations et des attitudes devenues insoutenables dans notre temps… N’est-il pas tout bonnement contraire au bon sens que des questions concernant la vie sexuelle des fidèles soient prises par des pouvoirs ecclésiastiques composés uniquement de célibataires ? Et si cette interrogation est recevable, le gouvernement de l’Église romaine doit être profondément repensé et reconstruit, mais encore être plus attentif que par le passé aux souhaits et aux aspirations des fidèles. » [2]
Dans un entretien avec Laurence Devillairs, paru dans les Études de janvier 2004, le même Jean Delumeau ne parlait de « […] rien d’autre que d’une organisation ecclésiale dans laquelle les fidèles auraient plus de poids. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles je ne m’oppose pas à l’idée qu’il y ait des prêtres mariés auxquels une mission de sacerdoce, même provisoire, pourrait être confiée. Ainsi on pourrait être chargé d’une communauté de fidèles pendant par exemple cinq, six ou sept ans et passer la main ensuite à un autre responsable. »[3]
Ces propos de Jean Delumeau datent des années 2000 et 2010. Les blocages sont toujours là. C’est la nature cléricale de l’Église catholique qui est en question, gouvernée qu’elle est par un pape célibataire, des évêques, eux aussi célibataires, triés sur le volet par les nonces pour maintenir le système en place, avec ses prêtres formés à part du monde réel et ordonnés à vie, ses religieux et religieuses montrés en idéal de vie. Quand on voit encore en 2021 l’assurance et le comportement d’un certain nombre d’évêques français, qui se laissent appeler monseigneur, se coiffent d’une mitre moyenâgeuse, portent une grosse croix sur leur poitrine et parlent souvent d’en haut, y a-t-il vraiment l’espoir d’une réelle évolution ? [4]
Notes :
[1] Correspondances entre Loisy et de Lageneste recueillie par Pierre Leroy et Élisabeth Schelle. Papiers Loisy, Tome XII, NAF 15645, FF 343-364. En projet d’édition chez Karthala.
[2] Jean Delumeau, L’Avenir de Dieu, CNRS éditions, 2015, pp. 205-206.
[3] Jean Delumeau, Op. cit., p. 272. Reprise de l’entretien des Études de janvier 2004.
[4] Dans une émission sur LCI, la veille de Noël 2020, vers le soir, Matthieu Rougé, évêque de Nanterre, était invité avec le président de la Fédération protestante de France, le grand-rabbin de France et un représentant de l’Islam. Les trois derniers étaient en civil. Mathieu Rougé était en clergyman bien affiché avec une grosse croix qui pendait sur sa poitrine. Le contraste était saisissant.
Source : https://www.golias-editions.fr/2021/01/07/leglise-catholique-peut-elle-se-reformer/
Pour aller plus loin : Golias Hebdo n° 654
On peut se reporter aussi à :
https://nsae.fr/2010/01/31/le-%c2%ab-pacte-des-catacombes-%c2%bb/
https://nsae.fr/2012/11/16/le-pacte-des-catacombes/
https://nsae.fr/2019/10/22/un-nouveau-pacte-des-catacombes-pour-la-maison-commune-signe-a-rome/
Le « Pacte des catacombes»
Le 16 novembre 1965, peu avant la clôture de Vatican Il, une quarantaine d’évêques, dont les noms ne sont pas connus, se réunirent dans la Catacombe de St Domitilla et signèrent un pacte concernant la richesse, les pompes et les cérémonies dans l’Eglise catholique. Le 7 décembre 1965, la veille de la clôture officielle du Concile Vatican Il, ils diffusèrent parmi leurs confrères, ce qu’ils appelèrent le « Schéma XIV», allusion aux 13« schémas» préparatoires des grands textes, lignes directrices que la Curie avait distribuées aux « Pères conciliaires» avant les Assemblées délibératives.
Nous, évêques réunis au Concile Vatican; ayant été éclairés sur les déficiences de notre vie de pauvreté selon l’Evangile; encouragés les uns par les autres, dans une démarche où chacun de nous voudrait éviter la singularité et la présomption; unis à tous nos frères dans l’Episcopat; comptant surtout sur la force et la grâce de Notre Seigneur Jésus-Christ, sur la prière des fidèles et des prêtres de nos diocèses respectifs; nous plaçant par la pensée et la prière, devant la Trinité, devant l’Eglise du Christ, devant les prêtres et les fidèles de nos diocèses, dans l’humilité et la conscience de notre faiblesse mais aussi avec toute la détermination et la force dont Dieu veut bien nous donner la grâce, nous nous engageons à ce qui suit:
1) Nous essayerons de vivre selon le mode ordinaire de notre population en ce qui concerne l’habitation, la nourriture, les moyens de locomotion et tout ce qui s’ensuit.
2) Nous renonçons pour toujours à l’apparence et à la réalité de richesse spécialement dans les habits (étoffes riches et couleurs voyantes), les insignes en matière précieuse: ces insignes doivent être en effet évangéliques.
3) Nous ne posséderons ni immeubles, ni meubles ni comptes en banque, etc., en notre propre nom; et s’il faut posséder, nous mettrons tout au nom du diocèse, ou des œuvres sociales ou caritatives.
4) Nous confierons, chaque fois qu’il est possible, la gestion financière et matérielle, dans nos diocèses, à un comité de laïcs compétents et conscients de leur rôle apostolique, en vue d’être moins des administrateurs que des pasteurs et apôtres.
5) Nous refusons d’être appelés oralement ou par écrit des noms et des titres signifiant la grandeur et la puissance (Eminence, Excellence, Monseigneur). Nous préférons être appelés du nom évangélique de Père.
6) Nous éviterons dans notre comportement, nos relations sociales, ce qui peut sembler donner des privilèges, des priorités ou même une préférence quelconque .aux riches et aux puissants (ex. : banquets offerts ou acceptés, classes dans les services religieux).
7) Nous éviterons d’encourager ou de flatter la vanité de quiconque en vue de récompenser ou de solliciter les dons ou pour toute autre raison. Nous inviterons nos fidèles à considérer leurs dons comme une participation normale au culte, à l’apostolat et à l’action sociale.
8) Nous donnerons tout ce qui est nécessaire de notre temps, réflexion, cœur, moyens, etc., au
service apostolique et pastoral des personnes et des groupes laborieux et économiquement faibles et sous-développés, sans que cela nuise aux autres personnes et groupes du diocèse. Nous soutiendrons les laïcs, religieux, diacres ou prêtres que le Seigneur appelle à évangéliser les pauvres et les ouvriers en partageant la vie ouvrière et le travail.
9) Conscients des exigences de la justice et de la charité et de leurs rapports mutuels, nous essayerons de transformer les œuvres de « bienfaisance» en œuvres sociales basées sur la charité et la justice qui tiennent compte de tous et de toutes les exigences, comme un humble service des organismes publics compétents.
10) Nous mettrons tout en œuvre pour que les responsables de notre gouvernement et de nos services publics décident et mettent en application les lois, les structures et les institutions sociales nécessaires à la justice, à l’égalité et au développement harmonisé et total de tout l’homme chez tous les hommes et par là l’avènement d’un autre ordre social, nouveau, digne des fils de l’homme et des fils de Dieu.
11) La collégialité des évêques trouvant sa plus évangélique réalisation dans la prise en charge commune des masses humaines en état de misère physique, culturelle et morale – les 2/3 de l’humanité- nous nous engageons:
– à participer, selon nos moyens, aux investissements urgents des épiscopats des nations pauvres;
– à acquérir ensemble, au plan des organismes internationaux mais en témoignant de l’Evangile, comme le pape Paul VI à l’ONU, la mise en place de structures économiques et culturelles qui ne fabriquent plus de nations prolétaires dans un monde de plus en plus riche, mais qui permettent aux masses pauvres de sortir de leur misère.
12) Nous nous engageons à partager dans la charité pastorale notre vie avec nos frères dans le Christ, prêtres, religieux et laïcs pour que notre ministère soit un vrai service; ainsi:
– nous nous efforcerons de « réviser notre vie» avec eux;
– nous susciterons des collaborateurs pour être davantage des animateurs selon l’Esprit, que des chefs selon le monde;
– nous chercherons à être plus humainement présents, accueillants; – nous nous montrerons ouverts à tous, quelle que soit leur religion;
13) Revenus dans nos diocèses respectifs, nous ferons connaître à nos diocésains notre résolution, les priant de nous aider de leur compréhension, leur concours et leurs prières.
Que Dieu nous aide à être fidèles.
Source : Informations catholiques internationales, 1er janvier 1966
https://www.reseaux-parvis.fr/wp-content/uploads/bsk-pdf-manager/parvis2015_3_concile50_pactecatacombes_97.pdf