Les ONG allemandes craignent pour leur avenir après la mise au pas d’ATTAC
Par : Florence Schulz
Un tribunal allemand a retiré le statut d’utilité publique à l’association ATTAC Allemagne. Les groupes de défense de l’environnement craignent désormais d’être les prochains sur la liste.
En février dernier, le tribunal fédéral allemand des finances a pris une décision qui pourrait être lourde de conséquences pour les organisations de la société civile dans le pays. Dans son jugement, le tribunal retire à l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (ATTAC) son statut d’utilité publique.
Depuis, de nombreuses associations et ONG craignent d’être les prochaines sur la liste. Parmi elles, l’association allemande de protection de l’environnement Deutsche Umwelthilfe. Cette organisation a provoqué quelques turbulences politiques, surtout au sein de l’Union chrétienne-démocrate (CDU), à cause de ses actions en justice contre des émissions de CO2 excessives.
« Nous sommes engagés pour le bien commun et nous sentons donc mal à l’aise [dans cette situation]. Quand nous luttons pour que des lois adoptées soient correctement mises en œuvre et que nous engageons des poursuites judiciaires devant un tribunal, nous ne pouvons pas devenir les boucs émissaires des échecs politiques », ont déclaré les représentants de quatre grandes associations lors d’une conférence de presse à Berlin.
Interrogé sur la demande du gouvernement de poursuivre les associations politiquement actives, Michael Müller, de la branche allemande du mouvement international Friends of Nature, a fait référence à une « obligation sociétale » et une « attaque envers la société civile dans son ensemble. »
Le statut d’utilité publique peut s’appliquer à une grande variété d’associations, allant d’organisations de protection des consommateurs, à des ONG politiques, en passant par des agences pour l’environnement ou des associations de carnaval. Ce qui rend ce statut particulièrement attractif est que les organisations peuvent jouir d’une exonération de l’impôt sur les dons. C’est aussi pour cette raison que le statut est vérifié par l’administration fiscale tous les trois ans.
La condition principale pour obtenir le statut d’utilité publique est que l’objectif formulé de l’organisation doit correspondre à l’un des 25 objectifs statutaires définis par le code fiscal allemand. Il peut s’agir, par exemple, de la promotion de la culture, de la science, de l’art ou de l’environnement. Ce dernier point concerne clairement l’organisation environnementale allemande Deutsche Umwelthilfe. L’organisation peut donc agir politiquement et exercer son droit d’intenter une action en justice, tant que ses efforts bénéficient à la protection de l’environnement.
Le cas d’ATTAC est différent selon le tribunal fédéral allemand des finances, car l’organisation a poursuivi des objectifs politiques qui ont dévié du code fiscal allemand. L’association n’a pas le droit de mener une mission « d’éducation politique » si elle veut bénéficier du statut d’utilité publique. Ceci est le travail des partis politiques qui ont été mandatés par le pays, insiste le tribunal.
« Je comprends la décision sceptique du tribunal fiscal fédéral, a déclaré Thomas Eigenthaler, président fédéral de l’union fiscale allemande. Si les partis doivent présenter régulièrement des états financiers dans lesquels ils présentent leurs flux financiers et leurs dons, cela ne s’applique pas aux organisations caritatives », a-t-il fait remarquer.
Il serait donc injuste qu’une ONG bénéficie de ce statut alors qu’elle poursuit les mêmes objectifs qu’un parti politique, a-t-il soutenu. « En ce qui concerne les organismes de bienfaisance, il n’existe aucun mécanisme de contrôle, on ne sait pas d’où viennent les dons et ils profitent de nombreux avantages fiscaux », a souligné Thomas Eigenthaler.
Il a également mis en garde contre l’idée d’octroyer aussi des privilèges fiscaux aux partis politiques, car, selon cette logique, les associations extrémistes et d’extrême droite bénéficieraient également d’exemptions fiscales.
Un agenda politique
Les ONG allemandes voient toutefois ce débat sur le statut d’utilité publique comme une tentative du gouvernement de mettre les mouvements de la société civile sous pression.
« La nécessaire transformation des secteurs de l’énergie, de l’agriculture et du transport est un processus douloureux et nous sentons les coups passer », regrette Florian Schöne, directeur des politiques à l’Alliance allemande pour la préservation de la nature (Deutscher Naturschutzring), une organisation qui regroupe plus de 90 associations autour de la nature, du bien-être animal et de l’environnement.
Nombre d’entre elles soutiennent que le climat politique autour de l’activisme environnemental a changé ces dernières années. Et quand les associations sont limitées dans leur capacité d’agir, cela pose question. « On nous demande : quel est le sens de la protection environnementale en dehors de la démocratie parlementaire ? »
Felix Kolb, directeur de Compact, un mouvement civique faisant campagne pour une politique progressiste, estime que le temps est venu de réformer les lois allemandes sur les organismes à but non lucratif. Il craint lui aussi que son organisation se voie aussi retirer le statut d’utilité publique à cause des campagnes politiques qu’elle organise sur diverses thématiques.
« Les fondations, les associations et les organisations ne peuvent pas être obligées de choisir entre leur travail d’éducation sur des sujets politiques à destination des citoyens et les avantages fiscaux que leur apporte le statut d’utilité publique », explique-t-il. « Aujourd’hui, les sujets environnementaux sont une priorité politique. »
Les organisations sont soutenues dans leur appel par le porte-parole du Parti social-démocrate (SPD) en matière de finances, Lothar Binding.
Suite à la décision du tribunal concernant ATTAC, Lothar Binding a déclaré : les organisations caritatives doivent pouvoir être actives politiquement ». Sinon, « elles seront incapables de poursuivre efficacement leur mission. »
« La décision du tribunal montre que la liste des objectifs d’utilité publique du code fiscal est trop restrictive », a-t-il poursuivi.
Daniela Trochowski, secrétaire aux finances du Land de Brandebourg, partage également ce point de vue : les lois allemandes sur les associations sans but lucratif n’ont pas suivi l’évolution de la société. Il y a vingt ans, les ONG écologistes étaient en mesure de plaider pour la protection de l’environnement de manière apolitique.
« Cependant, la protection de l’environnement est aujourd’hui une question d’une telle priorité politique que les associations sont incapables d’agir si les questions politiques ne sont pas au cœur de leurs activités », a-t-elle affirmé.
Source : https://www.euractiv.fr/section/politique/news/german-charitable-organisations-fighting-for-their-political-rights/
Source originale : https://www.euractiv.de/section/gesundheit-und-verbraucherschutz/news/gemeinnuetzige-verbaende-kaempfen-um-politische-rechte/
Traduction par Marion Candau