Par José Arregi (Pays Basque-Espagne), Tony Brun (É.-U.), Gerardo González (Chili), José María Vigil (Panama) et Santiago Villamayor (Espagne)
À la mémoire de Roger Lenaers
Introduction
Aujourd’hui, de nombreux chrétiens sont mal à l’aise avec le contenu de leur foi. Ils ont le sentiment de répondre à une vision du monde prémoderne dépassée qui provoque une désaffection croissante. Un phénomène similaire se produit également dans d’autres traditions religieuses ou humanistes et en général dans la culture de nombreux pays. Et nous nous retrouvons ainsi avec une humanité déconcertée en transit vers de nouvelles interprétations de la réalité et un espoir planétaire unitaire, post-séculier et post-théiste.
Cette confusion est due en premier lieu aux nouveaux modèles épistémologiques, pluralistes et relatifs qui remettent en cause l’existence d’une vérité absolue, qui admettent de multiples langages et procédures, qu’ils soient empiriques, exhaustifs ou symboliques, mais qui en tout cas sont dialogiques et autocritiques ; ils s’éloignent du dogmatisme et de la subjectivité issus de l’autorité et des prétendues révélations. Ces nouveaux modèles placent la religion face au besoin de revoir ses présupposés épistémologiques et ses figures symboliques. Et ça ne se fait pas assez.
De ces nouveaux modèles épistémologiques découle une nouvelle ontologie. Une interprétation de la réalité comme un ensemble complexe et unitaire de matière, d’énergie, de vie et de conscience, basée sur une vision holistique non dualiste, où la « matière dynamique » qui s’autoconfigure est la source d’émergences qualitatives successives, la matrice génératrice de tout ce qui existe. Cette interprétation s’oppose au dualisme matière-esprit et constitue un sérieux recul à l’image traditionnelle du Dieu créateur, esprit pur, omnipotent et prévoyant.
Les religions sont des constructions sociales et telles qu’elles se sont construites, elles peuvent être déconstruites. Ce ne sont pas des créations éternelles et immuables d’une entité suprême, Dieu, extérieure au monde. Ainsi, par rapport au christianisme, il nous semble que la Bible n’est plus le commencement et le fondement de l’histoire, le récit par excellence, et encore moins exclusif. Le Mystère du Salut est une grande métaphore et l’Histoire Sacrée une histoire particulière remise en cause par la science. La révélation comme vérité première et supérieure ne tient pas. Il n’y a pas de Dieu antérieur séparé du monde ou d’esprits purs en dehors de la réalité créatrice ; ni un Fils de Dieu venu nous racheter de la mort et du mal, fruits du péché héréditaire.
Un autre christianisme est possible et nécessaire. Il faut libérer la divinité de son identification à une Entité Suprême dominante, Jésus de sa sacralisation comme Fils unique de Dieu, incarné dans un Juif de l’espèce Homo Sapiens, et l’Église du système cognitif obsolète qui l’emprisonne et de sa structure hiérarchique découle largement de l’image d’un Dieu unique et tout-puissant. Il faut converger dans une pratique laïque de libération autour des droits de l’homme et de la justice écologique inspirée par Jésus de Nazareth et éventuellement dans d’autres prophéties et spiritualités.
Construire un récit universel qui s’appuie sur les modèles scientifiques les plus éprouvés, par exemple la théorie de la grande histoire, et incorpore l’inspiration et l’encouragement des métaphores et des symboles religieux ; un récit à la fois universel, particulier et provisoire.
Dans de nombreuses villes d’Europe et d’Amérique latine, aux États-Unis et au Canada, en Australie et dans d’autres pays, des groupes à fort potentiel d’innovation ont émergé. Ils ressentent ce changement de paradigme comme un tremblement de terre dévastateur qui leur cause d’abord la perplexité, puis le soulagement, et enfin un regain de courage. Nous aimerions vous accompagner dans ce transit et c’est pourquoi nous vous invitons à cette large consultation [1].
1- La modernité tardive, post-religionnelle et post-séculaire
Le monde subit une profonde mutation, une métamorphose globale ; nous sommes dans l’œil du cyclone d’un nouveau temps axial semblable à celui du VIe siècle avant notre ère. Les idées, les coutumes, les relations, la géopolitique, la technoscience, etc., constituent un contexte très différent de celui issu des convictions les plus profondes du christianisme. L’image traditionnelle dominante de Dieu a changé et son existence a été largement remise en question depuis des années ; la science remplace les grandes réponses religieuses ; les questions du mal et de la mort, de l’origine et de la fin de la vie sont vécues de manière non mythologique, et l’aspiration commune est généralement orientée vers la libération, l’autonomie et un bien-être intégral et universel ici-bas.
La religion perd alors son humus et entre en concurrence avec d’autres propositions de valeurs qui gagnent du terrain. De plus, dans le cas du christianisme, le pluralisme et la mondialisation le placent comme une simple religion parmi d’autres. Les positions conservatrices en politique et en morale accroissent le déséquilibre du contenu religieux, qui reste comme quelque chose de magique, d’étrange et de contraire à la libération et trouvent dans l’ancien christianisme la légitimation de son modèle oppressif de société et de personne. Enfin, une nouvelle espèce humaine semble s’annoncer grâce à l’infobiotechnologie, celle d’êtres humains génétiquement ou robotiquement modifiés (transhumanisme) ou nouveaux êtres posthumains.
L’expérience religieuse « formidable et fascinante » d’un autre temps, bâtie sur le déroulement du monde, cède aujourd’hui la place à une transcendance plus séculière fondée sur la vénération, l’amour et l’engagement pour la libération universelle. Ce que nous appelions jadis « surnaturel » ne l’est pas, mais nous l’identifions plutôt à l’attitude de gratuité qui caractérise la profondeur humaine.
2. Le nouveau paradigme épistémologique
La conception de la vérité a changé. Les théories épistémologiques actuelles, assumant la complexité et la perspective constructiviste de la connaissance, sont plus ouvertes et moins prétentieuses qu’aux siècles passés. Du positivisme extrême nous sommes passés à une conception empirique plus douce. Pour les épistémologues les plus récents, il n’est pas nécessaire que les énoncés scientifiques soient strictement vérifiables ou confirmés par des expériences scientifiques, il suffit qu’ils soient plausibles, c’est-à-dire qu’ils puissent être soumis à la réfutation. La connaissance progresse en rejetant l’erreur plus qu’en affirmant la certitude et en remplaçant les paradigmes qui n’expliquent pas adéquatement les faits.
Cette évolution épistémologique dans le domaine de la connaissance considéré comme strictement scientifique, la méthode mathématico-vérificatrice positive, peut servir de fil conducteur à l’analyse du religieux que l’on connaît aujourd’hui. La conception de la croyance n’est plus dogmatique et s’interprète davantage en termes de récit, de symbole ou de métaphore. Les sciences humaines et sociales (psychologie, sociologie, histoire…), pour être rigoureuses, utilisent des méthodes scientifiques ou du moins ne doivent pas être en contradiction avec des données scientifiques. La philosophie ne peut pas non plus ignorer ou contredire les résultats des sciences. Et les spiritualités ou les religions prennent en compte leur caractère de construction sociale et symbolique avec des fonctions portant moins sur l’explication et plus sur les attitudes.
Les manifestations humaines symboliques (de nature éthique, esthétique, « sapientielle ») sont reconnues comme des voies d’accès à la connaissance réelle, mais elles doivent être cohérentes avec les données scientifiques, bien qu’elles ne puissent être soumises aux critères de vérification-falsification des sciences positives.
Au-delà de la somme des disciplines, la transdisciplinarité ou échange entre équipes, méthodes et programmes de recherche, offre une vision plus complète de la complexité de la réalité. La religion et le christianisme veulent se sentir partie prenante de cet effort transdisciplinaire. Ils ont découvert la grande erreur de confondre la métaphore avec la description réaliste, l’inspiration avec la norme. Ils acceptent enfin les nouvelles théories de l’évolution, de la génétique, de la relativité et de la mécanique quantique, des neurosciences et de l’intelligence artificielle. Il est déjà impossible – et clairement absurde – de penser à des idées permanentes, à des dogmes immuables et indiscutables, à des morales irréformables, à des vérités divinement révélées, à des institutions indéfectibles. Le réductionnisme scientifique et le fondamentalisme religieux se dissolvent simultanément.
Science et foi
Jusqu’à présent, et dit au sens figuré, « la foi a toujours eu raison » ; or c’est la science qui établit le critère de la vérité commune minimale. Aujourd’hui la raison ouverte est la matrice de l’inspiration croyante. La connaissance n’émane pas de la « Parole de Dieu », et n’est pas non plus absolument certaine. Avant, la science était acceptable dans la mesure où elle s’accordait avec cette Parole révélée. Maintenant, le schéma est quelque peu inversé. La Bible – comme tout texte inspirant – nous offre du sens et de l’espoir, en tant qu’histoire symbolique-poétique qu’elle est, mais elle doit être comprise en cohérence avec l’information scientifique. La science et la foi sont des langages différents : la science peut être enrichie par la foi, mais la foi ne peut pas contredire la science. La Bible n’est pas le commencement et le fondement de la compréhension de la réalité, de la morale et de l’organisation sociale ou politique. Elle ne peut pas non plus être la seule source de spiritualité.
Nous disons plutôt que la Bible n’a pas de raison, mais une âme. Après la démystification de R. Bultmann, la reconnaissance des genres littéraires et les recherches archéologiques, on comprend que la Bible n’est pas tant un livre sacré et clos, normatif et révélateur, Parole de Dieu et vérité absolue, mais plutôt un ensemble de mythes et des histoires à fonction sapientielle, spirituelle et sociopolitique. Aujourd’hui des histoires et des poèmes d’une densité, d’une sublimité et d’un but similaires sont écrits.
Toutes les religions, très différentes dans leurs formes, remplissent des fonctions équivalentes et marchent vers une supraéthique de la compassion. Leur appréciation ne peut plus provenir de la force d’une prétendue inspiration divine, mais de la réponse aux besoins et aux droits humains. Avec Kant on pourrait dire : Croyez et agissez de telle manière que votre foi puisse être considérée comme valable par toute l’humanité.
3. La nouvelle conception de la réalité
Une interprétation non dualiste de la réalité nous semble plus cohérente et conséquente ; ouverte, holistique, émergente et créative, dans laquelle le hasard et la nécessité se rejoignent sans avoir besoin d’un plan préalable, mais montrant grande complexité, beauté et ordre malgré de nombreux revers et échecs. Nous ne partageons pas l’idée qu’il puisse y avoir des êtres spirituels ou des choses dépourvues de toute forme ou support. Les anges et les démons, les objets sacrés, les saints, les miracles, pris comme des existences indépendantes ou des interventions divines, sont des constructions de notre esprit. Des capacités telles que celles de raisonner, d’aimer, d’apprécier la beauté et d’apprécier la justice, que nous avions l’habitude de définir comme des « fruits de l’esprit humain » à partir de la vision du monde traditionnelle, sont des qualités qui ont émergé de la réalité énergétique matérielle ou cosmique dans le processus évolutif.
Émergence et matière créatrice
Le cosmos est un vaste système doté de propriétés « émergentes ». La vie et la conscience sont nées dans un processus d’auto-organisation à partir de la matière ou de l’énergie primordiale. Tout est constitué d’une matière dynamique et créative d’où surgissent successivement de multiples « émergences ». En fin de compte, il n’y a pas de frontières définies entre les domaines du physique, du vivant et du mental.
La matière est quelque chose de primordial qui évolue continuellement, ce n’est plus cette chose statique, sans vie et stérile, décrite par une perception superficielle. Nous cessons de comprendre la matière comme quelque chose de passif, de grossier, aux antipodes de l’esprit ; plus que la masse, c’est de l’activité, de l’énergie, du mouvement. Le dualisme matière-esprit falsifie la réalité.
Le réel est finalement inaccessible à notre connaissance et se présente comme quelque chose d’ouvert et d’énigmatique. L’indétermination de la matière et le nouveau concept de loi physique comme expression de tendances probables empêchent une image intégrale, objective et exacte du monde et une conception réaliste de la connaissance.
4. L’histoire de Jésus de Nazareth
Jésus de Nazareth est une personne comme nous, ni la plus parfaite, ni le rédempteur par son sang d’un péché mythique et héréditaire. L’interprétation en tant que Christ a imprégné son message d’exclusivité et a forcé son imposition. Jésus de Nazareth est une histoire inspirante, une histoire incomplète et une construction religieuse ouverte et symbolique, au-delà du mythe multiple construit par les disciples de la première génération depuis sa vénération comme Prophète des derniers temps, Fils de Dieu ou Messie souffrant, exalté par Dieu, Sagesse ou Logos de Dieu incarné. Et à partir de ce mythe, certains ont tenté de reconstituer leur histoire, leur « vie et leurs miracles », et d’autres ont construit un immense édifice rationnel à partir de cette « filiation divine ». Mais les données originelles sont l’histoire de la foi des disciples de la deuxième génération, le « Jésus de la foi ». Le Christ de l’Église, le dogme christologique, est une construction doctrinale, qui, selon les époques et les époques, a néanmoins su véhiculer l’inspiration de « sainteté » ou de don qui jaillit de Jésus.
Le titre « Fils de Dieu » est une expression symbolique de l’époque, qu’on ne peut plus interpréter à la lettre. Ce qui est décisif, ce n’est pas tant ce que Jésus aurait dit et fait, s’il est le Messie définitif (« Christ »), attendu, que l’élévation qu’il éveille et l’inconditionnalité qu’il suscite en nous ; ce qui se produit dans la mémoire et à l’intérieur quand on rencontre le dernier. La soi-disant « divinité de Jésus » n’est pas un trait objectif de sa personne. Nous le comprenons comme une métaphore de son humanité radicale et une expression de l’adhésion vitale qui nous anime lorsque nous nous laissons affecter par sa sagesse.
Le message libérateur et les actes charismatiques de Jésus ont donné naissance à un « mouvement » qui l’a confessé comme un prophète martyr exalté par Dieu, constitué comme le Messie ou le Fils de Dieu à venir. Dans les églises de culture grecque, cette confession judéo-chrétienne est devenue une confession de filiation ontologique, dualiste, et c’est dans cette clé que les dogmes christologiques ont été élaborés par la suite. Ce langage et ces significations sont étrangers à la philosophie, à la vision scientifique du monde et à la culture commune d’aujourd’hui.
5. Post-théisme
Une étape décisive dans notre déconstruction/reconstruction est le non-théisme, ou post-théisme ; le dépassement du théisme, c’est-à-dire cesser de penser, d’imaginer, de croire en une Entité Suprême, Dieu, créateur du monde et Cause extérieure ; une Entité « antérieure » ou du moins différente d’elle, image encore en vigueur dans la généralité des croyants, dans la majorité des théologiens et dans la doctrine chrétienne officielle. Cette idée n’est plus concevable ni crédible pour une majorité sociale en général et pour les penseurs en particulier, aussi sensibles soient-ils au mystère le plus profond de la réalité ; son intelligence spirituelle marche dans d’autres directions.
Le théisme est en gestation, naît et grandit à l’âge des métaux, lorsque l’agriculture s’intensifie, la population augmente et les villes se construisent, et dans les villes les temples. Les tâches se spécialisent, la société se complexifie. Les mythes, les lois, les chefs, l’autorité, les fonctionnaires et les guerriers sont nécessaires pour transmettre les ordres du seigneur, les faire respecter et gagner des territoires. La société se hiérarchise, les humains deviennent esclaves les uns des autres… Et les dieux sont nécessaires pour donner cohésion, sécurité et légitimité ultime à une coexistence ordonnée, hiérarchique et soumise.
L’architecture du monde a été reconvertie en deux mondes, « deux étages ». « Les mythes de séparation du ciel et de la terre » – depuis le cinquième millénaire avant notre ère – ont opéré le déchirement de la réalité cosmique, jusqu’alors unie, unitaire, unique, totale (holistique). Elle était confinée au rez-de-chaussée de la réalité matérielle, naturelle, charnelle et sexuelle ; et une réalité strictement spirituelle, immatérielle, non naturelle, non charnelle et non sexuelle, « spirituelle et surnaturelle » montée au ciel. Le dualisme et Theos sont donc des représentations dépassées, et c’est pourquoi nous disons qu’il n’est pas nécessaire d’être théiste ou de développer une existence surnaturelle pour être chrétien, bien que cette image soit encore présente chez la plupart des gens.
Le post-théisme n’est, en soi, ni athée, ni nihiliste, ni matérialiste-réductionniste, ni fermé au sacré ou à la divinité ; il se dissocie simplement de manière critique et consciente d’un « produit évolutif » créé par l’être humain, d’une « fiction utile » dont il s’est servi à un moment donné dans le développement de sa culture et de ses moyens d’infrastructure matérielle.
C’est un appel à dépasser à la fois le théisme et l’athéisme positiviste conventionnel, à retrouver la maison cosmique commune, à revenir à la nature que nous sommes depuis le vol surnaturel. Le post-théisme ne contraint pas l’expérience du mystère et permet la créativité et l’autonomie spirituelles, parce qu’il n’y a pas la contrainte d’une image imposée et fixe. Il est contraire à l’absolutisme d’une représentation unique. C’est l’équivalent d’un agnosticisme actif. Un « non-savoir » qui fusionne son vide cognitif dans le vide infini, comme un regard profond vers un horizon sans figure, qui, en raison de son imprécision, peut adopter diverses figures inspiratrices et ouvertes. Il marche sur les eaux de la réalité, toujours holistique, sans les séparer.
6. Quelques questions posées au post-théisme
On dit que le post-théisme sape l’ordre social et son fondement principal, mais c’est plutôt la société théocentrique et théocratique constituée avec l’aide de ce Theos, décrit ci-dessus, qui a servi de bannière et de guide à un conservatisme autoritaire qui détruit l’harmonie sociale. D’une part, elle a ralenti les progrès des savoirs laïcs et de l’éducation civique, mais d’autre part, elle les a favorisés, quoique de façon subordonnée à ses fins pastorales.
On objecte que le non-théisme détruit la religiosité populaire. En effet, la critique déconstructive de « Theos » peut provoquer une crise profonde de nombreux imaginaires, convictions et pratiques de la religiosité populaire. Mais ce n’est pas l’objectif direct de notre réflexion post-théiste, et nous ne sommes pas non plus seuls à dicter à qui que ce soit des idées nouvelles, des imaginaires ou des pratiques religieuses ou non religieuses.
Nous croyons cependant que, sans aucune forme de paternalisme, il est de notre responsabilité de proposer, avec respect et honnêteté, des critères théologiques que nous jugeons plus cohérents avec la vision du monde actuelle, afin que les personnes elles-mêmes jugent et choisissent par elles-mêmes afin qu’elles puissent être les protagonistes de leur propre libération intégrale. Le post-théisme retarde-t-il ou diminue-t-il l’engagement libérateur. Nous pensons que non. Le dépassement du théisme traditionnel, encore majoritaire, ne nie ni ne diminue la primauté de la libération intégrale, mais seulement la libère de son épistémologie et de son échafaudage mythique, de plus en plus insoutenable à court et moyen terme. La réflexion post-théiste veut proposer des critères et des instruments théologiques (au sens le plus large) plus cohérents aujourd’hui pour se libérer de toutes les oppressions. La libération exige aussi la libération d’un « Dieu » qui soumet ou légitime la soumission.
La perte de la « relation personnelle avec Dieu » inquiète. Le paradigme post-théiste reconnaît qu’il s’agit d’un anthropomorphisme, une hypothèse erronée semblable à un « ami invisible » à nos côtés ou au-dessus de nous. Il faudrait plutôt parler du caractère suprapersonnel de la réalité ultime, de toute réalité, puisque le concept de « personne » a été généralement compris et continue à être compris comme « un sujet individuel » par opposition à un autre. Cependant, toute réalité est relationnelle. Le post-théisme reconnaît les expériences d’intériorité, les multiples manières de se sentir partie prenante d’une réalité aussi ambiguë que porteuse de beauté et de bonté, objet de gratitude, source d’espoir et de compassion agissante. Il s’appelle comme il s’appelle ou s’exprime tranquillement ou dialogiquement.
D’autres préoccupations renvoient à l’apparence panthéiste du post-théiste. Nous ne disons pas que tout est Dieu, mais que ce qu’on a appelé Dieu est en tout comme un être et non comme une entité supérieure séparée. Et surtout nous continuons à chercher le sens et la place que Jésus occupe dans cette nouvelle vision. Pour le moment nous nous référons à ce qui a été dit au point 4.
Ainsi, en résumant tout ce qui a été dit jusqu’à présent, il nous semble qu’aujourd’hui, pour beaucoup de personnes profondément sincères et engagées, l’éducation est un élément essentiel de la vie.
Pour les chrétiens profondément sincères et engagés, il est non seulement permis, mais aussi impératif, de laisser derrière soi toutes les images théistes de Dieu, allant au-delà de Jésus, fils de son temps.
7. Le changement de support
Ce nouveau modèle de christianisme implique un retour aux valeurs évangéliques réinterprétées. L’évangile n’est pas tant une identité religieuse concrète supérieure, mais plutôt un appel à des valeurs universelles sur lesquelles la communauté humaine dialogue et s’accorde à partir de ses meilleurs sentiments. Nous ne sommes pas tant devant une conversion morale ou un nouvel apostolat, que devant une nouvelle interprétation du savoir, de la réalité et de la divinité. Beaucoup de religieux pensent que si la religion est perdue, le monde perdra le fondement de la vérité, et surtout de la morale. Mais après la « grande déconstruction » du théisme et de la religion, il reste la vigueur créatrice de la réalité, l’autopoïèse (autoproduction) de l’amour, inspirée par la profondeur de l’être humain et de tout ce qui est. Une espérance sans certitudes et un amour sans condition, comme nous le lisons dans l’histoire de Jésus.
Aujourd’hui, il est presque impossible de continuer avec les « pratiques religieuses » dérivées du théisme. La théologie qui les soutient s’effondre en tant que construction rationnelle. Il est construit sur des métaphores et des croyances mythologiques. Et il cherche une cohérence et une vérité excessives, là où il n’y a qu’une création de sens et de motivation. A la théologie, exorbitante dans son enquête sur Dieu ou sur l’herméneutique de la Révélation, correspond plutôt la spéléologie du cœur humain, une socioanthropologie de la transcendance qui s’ouvre dans la conscience, sans théisme ni athéisme.
Nous devons enfin sortir de notre retard prémoderne. Et faites-le et dites-le sans crainte. Dans les célébrations, quelles qu’elles soient, dans nos communications et nos conversations, nous pouvons faire appel à quelque chose de mieux que des mythes inexpressifs et ritualisés et éviter les moralismes et certaines convictions basées sur les miracles et les chemins de la rédemption. Il s’agit plutôt de montrer l’émerveillement de notre Grande Histoire universelle, créative et ouverte. S’émerveiller devant les innombrables étoiles, particules et neurones, devant la bonne volonté, la valeur du pardon, de la consolation, de la civilité et de l’action pour la justice, de l’harmonie avec la nature et de la compassion pour ceux qui sont dans le besoin ; et ainsi retrouver d’une autre manière les grandes valeurs et les conclusions des traditions religieuses. Et de coopérer sur un pied d’égalité avec tous. Ni la religion d’outre-tombe ni l’insignifiance résignée dans la sécularité. Notre mission est d’être des partenaires dans l’évolution créative, inspirés par Jésus de Nazareth.
Note :
[1] Ce texte est destiné aux participants d’une rencontre organisée par le réseau d’associations espagnoles Redes CristianasSource : VIIe rencontre des réseaux chrétiens des 23 et 24 octobre 2021
Très intéressant, comme toujours avec Arregi.
Néanmoins 3 questions (peut-être dues à une mauvaise compréhension du texte):
-1- ”Enfin, une nouvelle espèce humaine semble s’annoncer grâce à l’infobiotechnologie, celle d’êtres humains génétiquement ou robotiquement modifiés (transhumanisme) ou nouveaux êtres posthumains.”
GC : Cela me fait peur, vu l’égoïsme statistiquement dominant de l’homme (même s’il existe bien sûr des humains plus qu’admirables) –> des super-humains et des exploités sous-développés… !!! Horreur !!!!!
-2- ”Nous ne partageons pas l’idée qu’il puisse y avoir des
êtres spirituels ou des choses dépourvues de toute forme ou support.”
GC : donc à la mort tout disparaît avec le corps. C’est effectivement ce qui paraît le plus rationnel de croire, mais alors il ne restera rien de tout ce qui a été vécu, des lettres de fusillés, de Louise Michel,
de François d’Assise… de Mozart… tout disparaîtra lorsque la terre sera absorbée par le soleil dans quelques milliards d’années…
Alors on butte sur l’absurde, rien n’est consistant, donc la différence entre Hitler et François d’assise la différence entre le gamin juif qui lève les bras et ses bourreaux tout cela est inconsistant ??? !!!
-3- ”Nous ne disons pas que tout est Dieu, mais que ce qu’on a appelé Dieu est en tout comme un être et non comme une entité supérieure séparée.”
GC : si ”Dieu est en tout” alors Dieu est dans le crocodile qui noie et déchiquette la petite antilope ! Je n’en veut pas de ce Dieu ! Le seul Dieu en qui je veux et peut croire est du côté de l’amour du partage de la fraternité et non de la prédation cruelle !