Crise et situation inédite au Pérou autour de l’affaire Salinas
Lundi 8 avril au soir, le journaliste péruvien Pedro Salinas, accusé par l’archevêque de Piura, Jose Antonio Eguren Anselmi, d’un délit de diffamation aggravée lié à un scandale d’abus en cours, a été reconnu coupable et condamné à payer environ 21 500 € en sus d’un peine de prison d’un an avec aménagement.
Salinas et sa collègue journaliste Paola Ugaz, également poursuivie par Eguren Anselmi, ont coécrit en 2015 un livre intitulé Half Monks, Half Soldiers (mi-moines, mi-soldats), qui détaille les années d’abus sexuels, psychologiques et physiques au sein de l’organisation catholique controversée, originaire du Pérou, Sodalitium Christianae Vitae (SCV). Son fondateur, le laïc Luis Fernando Figari, a été accusé de violences physiques, psychologiques et sexuelles. En 2017, le Vatican lui a interdit d’entretenir de nouveaux contacts avec des membres du groupe.
La plainte contre Salinas portait sur la publication d’une série d’articles et d’interviews publiés début 2018, faisant le parallèle entre Eguren Anselmi et l’évêque chilien Juan Barros, qui a fini par démissionner de son poste dans le diocèse d’Osorno suite à l’accusation d’avoir contribué à dissimuler les abus de son ami de longue date le célèbre prédateur Fernando Karadima. Salinas avait également accusé Eguren Anselmi, lui-même membre du SCV, d’avoir participé à un scandale de trafic de terres à Piura, ce que l’archevêque a nié.
Paola Ugaz a été inculpée pour son rôle dans une série documentaire d’Al-Jezira qu’elle a contribué à produire, dans laquelle Eguren Anselmi est mentionné dans le cadre du scandale du trafic de terres. Elle est également poursuivie en justice pour sa couverture du cas de Salinas et pour une série de tweets qu’elle a envoyés avant la visite du pape François au Pérou en janvier 2018, dans lesquels elle a décrit les relations d’Eguren Anselmi avec le SCV, affirmant qu’il était au courant des viols du fondateur et n’avait rien fait.
Les accusations de diffamation présumées de Salinas et d’Ugaz ont eu lieu à Lima, mais elles sont jugées à Piura. Ugaz mène actuellement une bataille juridique pour que son affaire soit transférée à Lima et attend un appel après le rejet de sa première demande.
Situation tout à fait inhabituelle, dès le lendemain 10 avril, les évêques du Pérou se désolidarisent d’Eguren Anselmi et apportent leur soutien à Salinas, comme on peut le lire dans l’article reproduit ci-après.
Informations tirées des articles :
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Un journaliste surpris par le soutien des évêques après un procès controversé
Par Junno Arocho Esteves,
Après qu’un tribunal se soit prononcé en faveur du procès en diffamation d’un archevêque contre lui, le journaliste péruvien Pedro Salinas s’est dit « agréablement surpris » par le message de soutien des évêques du pays.
Le 8 avril, l’archevêque péruvien de Piura, José Eguren Anselmi, a eu gain de cause, mais les évêques du pays ont pris leurs distances et ont déclaré que l’Église avait besoin de l’aide de journalistes et de survivants de violences sexuelles commises par le clergé pour surmonter la crise actuelle.
« Le Saint-Père a loué et remercié le monde des journalistes qui, par leurs enquêtes, contribuent à dénoncer les abus, à punir les coupables et à porter assistance aux victimes. Le pape a souligné que l’Église avait besoin de leur aide pour lutter contre ce fléau » a déclaré la conférence des évêques péruviens dans un communiqué le 10 avril.
Dans un message adressé au Catholic News Service le 11 avril, Salinas s’est dit surpris par le message des évêques « parce qu’il est sans précédent ».
« Nous savons maintenant que quelqu’un (Eguren) va à l’encontre des directives actuelles établies par le pape François », a déclaré Salinas à CNS. « En termes de football, on pourrait dire que l’archevêque de Sodalitium, José Antonio Eguren de Piura, a été découvert en position de hors-jeu », a-t-il ajouté. « Un hors-jeu impardonnable, si vous voulez mon avis. »
Salinas et sa collègue journaliste Paola Ugaz ont coécrit un livre intitulé « Mitad Monjes, Mitad Soldados » (mi-moines, mi-soldats), qui détaille les violences psychologiques et sexuelles, ainsi que les pratiques de châtiments corporels et les exercices extrêmes que les jeunes de Sodalitium Christianae Vitae ont été forcés de supporter.
Le journaliste péruvien a lui-même subi des violences physiques et psychologiques de la part de Luis Fernando Figari, fondateur du mouvement catholique Sodalitium, en 1971.
Eguren, membre reconnu de l’organisation depuis 1981, a intenté une action en justice après que Salinas ait écrit un article en 2018 accusant le prélat d’avoir eu connaissance de cet abus.
Perdant le procès intenté par l’archevêque, Salinas a été condamné à une peine d’un an avec sursis, à une amende de 212 500 $ et à 120 jours de service communautaire. La peine complète ne sera pas rendue publique avant le 22 avril, mais Salinas a déjà annoncé qu’il fera appel.
Cependant, Eguren a publié sa propre déclaration le 10 avril, affirmant qu’avant de faire une déclaration, la conférence des évêques péruviens devait faire preuve de prudence et « attendre que le texte intégral de la condamnation » soit publié.
Évoquant l’action en justice contre « un journaliste qui cherchait à révéler la vérité sur les agissements de Sodalitium », les évêques péruviens se sont ralliés à l’appel lancé par le pape François à « accorder la priorité à la compréhension et à l’attention des victimes de toutes les formes de type de complicité. »
« Nous réitérons notre solidarité et notre proximité avec les victimes, leurs familles et leurs défenseurs », ont déclaré les évêques.
Source : https://www.ncronline.org/news/accountability/journalist-surprised-bishops-support-after-controversial-lawsuit
Traduction : Lucienne Gouguenheim
Illustration : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Pedro_Salinas_Chacaltana.jpg
Lire : Déclaration du réseau de laïcs et laïques du Chili
Lire :COMMUNIQUE DE ECA (Ending ClergyAbuse)
Lire : COMMUNIQUÉ DE NSAE