Par Luis Badilla
Le bref essai de Benoît XVI sur les abus sexuels dans l’Église, publié hier en plusieurs langues, moins de deux mois après le Sommet mondial épiscopal avec le pape François consacré à la « protection des mineurs » (où elle aurait été une contribution très importante tant par le contenu que par l’opportunité), peut conduire à se poser beaucoup de questions, faire des dizaines d’hypothèses, explorer les circonstances de l’initiative et plus encore. La presse internationale entre autres – observateurs, analystes et experts – a déjà beaucoup écrit sur ces questions.
Selon toute vraisemblance, les questions fondamentales resteront sans réponse, essentiellement à cause du cercle de fer désormais bien connu qui entoure hermétiquement le pape émérite, si hermétique que nous ne pouvons pas distinguer entre ce qui est le fait des membres du cercle, et ce qui concerne réellement le pape émérite. En ce sens, il faut dire que le cercle a souvent remplacé le Pontife émérite. Et il semble que ce soit le cas également aujourd’hui.
Il n’y a aucun intérêt à nous lancer dans cette affaire, car il est clair que la clameur de ces jours perdra progressivement sa pertinence dans la mesure où de nombreux passages, aujourd’hui cachés, seront dévoilés, en particulier ceux qui concernent la diffusion du texte, indications qui mettent en évidence une opération qui a peu à voir avec le sujet que l’on veut, ou qu’on aurait voulu réellement traiter.
Nous voudrions poser, simplement et sans arguments pharaoniques ou savants, une seule question en pensant aux victimes de la pédophilie. Curieusement, dans l’essai de Ratzinger sur 18 pages, le mot de « victime » n’apparaît qu’une fois, alors que ce concept existentiel est très cher à Benoît XVI, notamment parce qu’il a été le premier pape à utiliser cette expression en l’associant à celle de « péché » et de « crime », mais aussi parce qu’il a été le premier pape à recevoir beaucoup de victimes. Il n’est pas crédible que le pape émérite ait laissé ce mot de côté, dans un texte aussi long et approfondi, alors que, comme on le sait, il a toujours été pour lui fondamental et incontournable, précisément parce qu’il est plus qu’un mot ou un concept. Pour Benoît XVI, les victimes sont au centre du problème. Il suffit de lire le paragraphe de la lettre que J. Ratzinger a adressée aux catholiques d’Irlande, il y a neuf ans, et qui s’adresse « aux victimes d’abus et à leurs familles » (1).
Mais ce que je voudrais souligner, c’est quelque chose d’autre tout aussi important : est-ce le moment, à une heure aussi dramatique où l’Église vit la tragédie de la maltraitance sexuelle en son sein, de se scinder en groupes ou en écoles de pensée analytique, sociologique, anthropologique, théologique, ecclésiologique, sur les causes – nombreuses, complexes et désormais connues – d’un crime aussi horrible ?
A quoi cela sert-il ? A qui cela profite-t-il ?
Le crime est combattu. Le péché est combattu. Les crimes et les péchés ne sont pas utilisés à d’autres fins, comme certains analystes et commentateurs de l’essai de Benoît XVI semblent le faire. Sur cette question, certaines personnes proches du pape émérite doivent clarifier quelques comportements installés depuis plusieurs années. Ce serait aussi une vraie loyauté envers le pape François et l’ensemble de l’Église.
Utiliser la tragédie des abus pour des conflits de pouvoir, d’influence, et de carrière est une violence supplémentaire qui se répercute sur les victimes qui alors disparaissent, devenant des objets de négociation anonymes, dans les conflits entre des bandes et des groupes organisés.
D’accord, comme l’aurait écrit le pape émérite, pour vous respecter, même lorsque vous n’êtes pas d’accord en tout point. Cela peut être une bonne contribution à la lutte contre ce fléau. Mais il faut ajouter, avec bon sens, qu’il est regrettable que certains aient voulu utiliser un phénomène aussi dramatique que la pédophilie cléricale pour leurs petits jeux, en se cachant derrière un homme et un prêtre tel que Joseph Ratzinger qui mérite respect et affection sans borne, surtout à l’heure du grand âge et de la maladie grave.
Note
[1] « Aux victimes d’abus et à leurs familles.Vous avez énormément souffert et je suis vraiment désolé. Je sais que rien ne peut effacer le mal que vous avez enduré. Votre confiance a été trahie et votre dignité a été violée. Vous avez été nombreux à constater que lorsque vous avez eu le courage de parler de ce qui vous était arrivé, personne ne vous a écouté. Ceux d’entre vous qui ont été victimes d’abus dans les pensionnats ont dû penser qu’il n’y avait aucun moyen d’échapper à leurs souffrances. Il est compréhensible que vous trouviez difficile de pardonner ou de vous réconcilier avec l’Église. En son nom, j’exprime ouvertement la honte et les remords que nous ressentons tous. En même temps, je vous demande de ne pas perdre espoir. C’est dans la communion de l’Église que nous rencontrons la personne de Jésus-Christ, victime d’injustice et de péché. Comme vous, il porte toujours les blessures de ses souffrances injustes. Il comprend la profondeur de votre douleur et la persistance de ses effets, dans votre vie et dans vos relations avec les autres, y compris vos relations avec l’Église ».
Source : https://ilsismografo.blogspot.com/2019/04/vaticano-la-postilla-della-giornata.html
Illustration : Sergey Gabdurakhmanov [CC BY 2.0 (https://creativecommons.org/licenses/by/2.0)]