Gauches, écologistes, néolibéraux, droites extrêmes : quelle force politique dominera l’Europe de demain ?
Par Ivan du Roy (Basta !)
Et si on prenait un peu de hauteur avec les débats et sondages franco-français sur les élections européennes ? Les intentions de vote exprimées dans chaque pays de l’Union européenne commencent à dessiner les contours du Parlement européen de demain. Et des rapports de forces à l’œuvre parmi les près de 400 millions d’électrices et d’électeurs, entre celles et ceux qui aspirent à davantage de politiques sociales, environnementales, à plus d’égalité fiscale, et, au contraire, à ceux qui privilégient le business à tout prix ou – parfois les mêmes – qui préfèrent montrer du doigt les migrants. État des lieux en attendant l’expression concrète des citoyens à l’issue du scrutin, qui se déroule le 26 mai en France.
Ils seront 751 députés à siéger au Parlement européen, puis 705 quand les Britanniques auront quitté l’Union. Les nouvelles alliances qui se formeront suite au scrutin du 26 mai auront des conséquences sur les politiques européennes, économiques, sociales, écologiques ou vis-à-vis des migrants. Quel rapport de force surgira de ses élections ? D’après les derniers sondages réalisés dans chacun des États membres, les deux forces politiques traditionnelles – les conservateurs du Parti populaire européen (PPE, dont LR en France) et les sociaux-démocrates (avec ce qui restera du PS français) – devraient demeurer prédominants même s’ils perdront entre 30 et 50 députés chacun, selon les estimations du site d’analyse politique Europe Elects [1].
Les députés français en voie de disparition chez les sociaux-démocrates européens
Les projections attribuent environ 180 sièges aux conservateurs et 150 aux sociaux-démocrates. Les élus français rattachés à ces deux familles politiques y perdront cependant de leur influence. La France est pourtant la deuxième pourvoyeuse d’eurodéputés, dont le nombre pour chaque pays dépend du poids démographique : 96 sièges sont ainsi attribués à l’Allemagne, 74 à la France, 73 à l’Italie et au Royaume-Uni, 54 à l’Espagne, etc. [2] Mais la droite classique, et la gauche sociale-démocrate encore davantage, se sont effondrées électoralement en France.
Au sein du PPE, les élus LR, qui ne réunissent que 12 % des intentions de vote, pèseront donc bien moins que leurs homologues allemands, deux fois plus nombreux, ou polonais, et autant que les Hongrois du parti de Viktor Orban – si ces derniers ne rejoignent pas un groupe d’extrême droite. La Hongrie ne possède que 21 sièges, mais le Fidesz, le parti ultraconservateur, est crédité de plus de la moitié des suffrages.
Au sein du groupe social-démocrate, la deuxième force politique en Europe, les députés PS-Place publique feront, au mieux, de la figuration. Si la liste emmenée par Raphaël Glucksmann atteint le seuil fatidique des 5 %, elle pourra prétendre à une poignée de sièges. Les socialistes français y seront donc soit inexistants, soit très affaiblis face au Labour britannique (quatre fois plus nombreux, selon les derniers sondages), aux socialistes allemands ou espagnols qui devraient chacun compter au moins trois fois plus de sièges que leurs camarades français. Une fois le Brexit finalisé, le groupe social-démocrate se réduira encore davantage avec le départ d’une vingtaine d’élus britanniques. Ils pourraient aussi perdre l’appui de la quinzaine d’élus du Parti démocrate italien, désormais tenté par une alliance avec le groupe libéral et de centre-droit dont feront partie les élus LREM.
La gauche radicale inexistante en Europe de l’Est, légère progression des écologistes
Selon ces projections, la gauche radicale européenne et les écologistes tiennent bon, et pourraient même gagner quelques sièges. La Gauche unie devrait faire élire une cinquantaine de députés, grâce à Podemos en Espagne, Die Linke en Allemagne et la liste France insoumise emmenée par Manon Aubry en France – chacune de ses listes étant créditées de plus ou moins 10 %. Grâce aussi aux probables bons scores de Syriza, du Premier ministre Alexis Tsipras en Grèce (créditée de 25 %), du « Bloc de gauche » portugais (17 %) ou du Sinn Féin irlandais (18 %). La gauche radicale a cependant été totalement balayée en Italie et reste quasi inexistante en Europe de l’Est. Sauf surprise, le Parti communiste français ne sera plus représenté au parlement : selon les sondages actuels, la liste de Ian Brossat demeure en-deça de la barre des 5 % nécessaires pour obtenir des sièges – comme celle de Benoît Hamon (Générations).
Les écologistes devraient compter sur plus d’une cinquantaine de députés. Les verts allemands y seront probablement prédominants (19 %, 18 sièges), devant les écologistes français d’EELV crédités d’une petite dizaine de sièges, suivi par les écolos belges autour de 15 % dans les sondages. Dans les pays baltes, les mouvements écologistes pourraient également réaliser de très bons scores (entre 20 % et 25 %), mais ces petits pays envoient peu de députés au Parlement européen.
Centristes et libéraux se renforcent
Ce sont les partis de centre-droit et « libéraux » qui profitent principalement de cette légère redistribution des cartes. L’alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (Alde) devrait gagner une quarantaine de députés, cumulant un peu plus de 100 sièges. Ce, en partie grâce à la liste LREM en France, avec pour l’instant plus de 20 % d’intentions de votes et au moins autant de sièges au futur parlement. Les macronistes espèrent ainsi former autour d’eux un nouveau groupe centriste, qui prendrait le nom de leur liste, « Renaissance », avec d’anciens partis jusque-là affiliés à la Alde. Ce groupe pourrait être également rejoint par les élus espagnols de Ciudadanos, certains élus du Mouvement italien 5 étoiles ou des transfuges du parti social-démocrate italien. Comme Matteo Salvini, nouveau leader de l’extrême droite en Europe en train de forger une alliance, Emmanuel Macron disposera aussi de « son » groupe au Parlement européen.
Restent les partis d’extrême droite, dont l’influence sur les politiques européennes dans les cinq ans à venir dépendra de leur capacité à s’allier. L’éventail des droites eurosceptiques, souverainistes, nationalistes – souvent xénophobes et néolibérales – comptait 155 représentants lors de cette mandature. Ils se répartissaient en trois groupes : le plus important s’est constitué autour des ultra-conservateurs polonais et britanniques, plutôt eurosceptique, réactionnaire sur les questions sociétales et pro-américain ; le deuxième groupe, avec les nationalistes anglais pro-Brexit, auxquels se sont agrégés d’anciens députés FN, s’est clairement affiché anti-européen et est amené à disparaître ; enfin, celui de l’« Europe des nations et des libertés », avec le FN/RN, la Ligue de Salvini ou le FPÖ autrichien, l’Ukip britannique, rassemble des formations exclusivement d’extrême droite, entretenant des liens avec la Russie de Vladimir Poutine.
La nouvelle alliance des extrêmes droites, troisième force politique en Europe ?
C’est ce groupe parlementaire qui devrait monter en puissance, avec l’alliance que tente de bâtir l’italien Matteo Salvini, fort des 36 % d’intentions de vote en faveur de la Ligue, appuyé par le RN de Marine Le Pen (autour de 20 % dans les sondages) et de l’AfD allemande. Baptisé « Alliance européenne des peuples et des nations », ce groupe pourrait compter entre 80 et 100 députés au sein du futur Parlement. Cette progression ne sera pas forcément due aux résultats dans les urnes, mais plutôt à la capacité de cette nouvelle alliance à attirer toutes les formations d’extrême droite émergentes, des islamophobes du PVV néerlandais aux nostalgiques espagnols de Franco du parti Vox. Les ultraconservateurs Polonais ne devraient pas en faire partie, à cause des positions pro-Poutine de Matteo Salvini et de Marine Le Pen.
Cette nouvelle alliance d’extrême droite pourrait être en mesure de disputer la place de troisième force politique aux centristes. Seront-ils en mesure d’entraîner les groupes conservateurs et libéraux sur des positions encore plus réactionnaires ? Et de briser le compromis historique entre conservateurs, libéraux et sociaux-démocrates, dont le manque d’ambition en matière sociale et environnementale est également critiqué par la gauche radicale et les écologistes ? Ou l’extrême droite demeurera-t-elle marginalisée dans les négociations entre groupes parlementaires ? Au vu des positions prises par ces partis, leur montée en puissance n’augure en tout cas rien de bon pour tous ceux et toutes celles qui aspirent à une Europe plus sociale, plus juste fiscalement, garante des droits des femmes et des libertés, tout en étant pionnière en matière d’écologie.
Notes :
[1] Voir ses analyses ici.
[2] Les tout petits pays, comme le Luxembourg ou Malte, disposent de six sièges minimum.