Le « parcours synodal » de l’Allemagne va-t-il changer le monde catholique ?
Par Renardo Schlegelmilch
Tout peut être mis sur la table – les questions de sexualité et de la crise des abus sexuels, l’ordination des femmes et même le célibat. C’est la première fois que les évêques et les laïcs en Allemagne tiennent une conversation en face à face, et c’est une discussion qui pourrait changer l’Église telle qu’elle se présente aujourd’hui. Même le pape François a senti le besoin d’avoir son mot à dire dans la discussion, en publiant une lettre de recommandations qui semble suggérer des limites au dialogue à venir.
Mais soyons clairs, le chemin que les catholiques allemands vont entreprendre n’est pas un synode. Un synode doit être approuvé par le Vatican et suivre des règles strictes établies par la Curie.
Les catholiques allemands se lancent dans ce que l’on appelle un « parcours synodal », mais celui-ci s’annonce potentiellement chaotique et met l’accent sur les sujets que l’Église évite habituellement : pourquoi les femmes ne peuvent-elles pas être ordonnées diacres ou prêtres ? Le célibat obligatoire est-il le meilleur moyen pour un prêtre de vivre au XXIe siècle ? Comment l’Église allemande devrait-elle réagir à la crise des abus ? Selon l’ordre du jour établi par la Conférence épiscopale allemande, tous ces sujets et d’autres feront partie du parcours.
Le style du parcours synodal – c’est-à-dire une conversation entre évêques allemands et laïcs, les mettant sur un pied d’égalité – est sans précédent, selon les dirigeants des laïcs allemands. Ils seront représentés par le Comité central des catholiques allemands (ZdK), la plus haute organisation de laïcs du pays [1]. Tout ce qui sera décidé le sera de manière démocratique et transparente, les deux côtés ayant leur mot à dire, selon Thomas Sternberg, président du ZdK et chef de la délégation des laïcs.
(Martin Rulsch, Wikimedia Commons)
Comment l’Église allemande a-t-elle décidé de cette approche radicale ?
Les dernières nouvelles de la télévision allemande ne donnent pas aux téléspectateurs une impression particulièrement bonne de l’Église catholique. Les révélations de nouveaux scandales sont diffusées presque quotidiennement. L’automne dernier, une étude a révélé plus de 3 000 cas d’abus sexuels en Allemagne au cours des dernières décennies. Le mouvement « Maria 2.0 » a mobilisé des femmes catholiques dans toute l’Allemagne pour une « grève » de la messe, contre le sexisme dans l’Église et l’exclusion des femmes du sacerdoce.
Selon le rapport annuel de la conférence des évêques, le nombre de personnes qui quittent l’Église a augmenté de façon alarmante. En Allemagne, un « impôt ecclésial » des citoyens enregistrés comme catholiques est collecté par le gouvernement et utilisé pour soutenir l’Église et ses œuvres. De nombreux « sortants » disent que le fardeau fiscal fait partie de la raison pour laquelle ils se sont séparés de l’Église, processus administratif en Allemagne, tout comme le divorce ou l’enregistrement d’une nouvelle naissance. Encore plus disent simplement qu’ils ne font plus confiance à l’Église. En 2018, plus de 200 000 Allemands ont officiellement mis fin à leur affiliation à l’Église catholique, ce qui en fait le second record depuis la Seconde Guerre mondiale.
La répétition incessante de mauvaises nouvelles et la précipitation vers la sortie ont forcé les évêques allemands à s’attaquer aux problèmes de l’Église de manière transparente et démocratique.
« D’une certaine manière, la démocratie a toujours fait partie de l’Église. Les cardinaux élisent même le pape », a déclaré M. Sternberg. Il fait partie des représentants qui dialogueront avec les évêques. Ancien homme politique, il est habitué à prendre des décisions de manière démocratique, une pratique qu’il souhaite également pour l’Église. Il a bon espoir en ce prochain chemin synodal que les évêques vont entreprendre. « Nous pouvons nous parler, discuter », a-t-il déclaré. « Ne devrait compter que la force de l’argument. »
Le processus est censé commencer le premier dimanche de l’Avent. Mais plusieurs groupes de travail se sont déjà réunis au cours de l’été pour créer un cadre de travail des discussions. Ils devraient terminer leur travail en septembre.
Un groupe se concentre sur le pouvoir dans l’Église – comment on l’utilise ou on en abuse. Un autre groupe discutera du rôle du célibat dans la vie sacerdotale, en se demandant s’il est toujours approprié au XXIe siècle. Un autre groupe traitera de sexualité et de l’Église catholique. Des enquêtes montrent que les catholiques en Allemagne ne prêtent pas attention au point de vue de l’Église, par exemple en ce qui concerne les relations sexuelles avant le mariage ou l’homosexualité.
Un document publié par les évêques et le comité des laïcs demande ouvertement si l’Église devrait changer d’avis sur ces questions. « Nous avons perdu la capacité de parler aux gens à ce sujet. L’Église ne comprend pas ce que la sexualité signifie pour l’individu », a déclaré le cardinal Reinhard Marx, président de la Conférence épiscopale allemande en mars, lorsqu’il a annoncé le parcours synodal. « Nous n’avons pas reconnu ce que la théologie ou les sciences humaines ont à dire à ce sujet. »
L’une des préoccupations les plus importantes est la question des femmes dans l’Église. Les femmes catholiques de toute l’Allemagne se sont jointes à la grève Maria 2.0, refusant d’assister à la messe ou de faire du bénévolat dans leurs paroisses pendant une semaine en mai.
Les évêques ont tenté de répondre. La plupart d’entre eux disent qu’il ne sera pas question d’ordination de femmes diacres ou prêtres, mais font valoir que cette barrière ne signifie pas que les femmes ne devraient pas pouvoir occuper des postes de pouvoir dans l’Église. Plusieurs diocèses allemands créent de nouveaux postes de direction générale et financière explicitement ouverts aux femmes et aux laïcs. La conférence des évêques s’est engagée à fixer un quota d’embauche qui réservera 33 % des postes de direction aux femmes dans les années à venir.
L’ordination des femmes pourrait être l’un des principaux points de conflit dans le processus synodal à venir. Le comité de laïcs encourage ouvertement l’ordination des femmes. « Nous demandons depuis longtemps des femmes diacres », a déclaré M. Sternberg. L’ordination des femmes en tant que prêtres relève d’un concile romain officiel, a-t-il dit, mais ordonner des diacres de sexe féminin en Allemagne pourrait se faire aujourd’hui, sans aucune barrière dogmatique ou théologique.
Pour les Allemands, la demande de femmes diacres n’est pas nouvelle. En 1971, l’Allemagne a ouvert un véritable synode pour appliquer les idées de Vatican II. Même à l’époque, les évêques discutaient des femmes diacres et des « viri probati », hommes mariés, d’une foi et d’une vertu fortes qui pourraient être ordonnés prêtres. Les recommandations de ce synode ont été envoyées au Vatican, mais elles n’ont entraîné aucun changement, comme le rappelle M. Sternberg.
Le Vatican suit de près le synode informel de l’Allemagne. Fin juin, le pape François a envoyé une lettre à l’Église allemande. Ne s’adressant pas aux évêques, mais à « tout le peuple de Dieu en Allemagne », il a expliqué son point de vue sur le processus à venir.
M. Sternberg a qualifié l’intervention du pape de « sensationnelle ». Une lettre comme celle-ci n’a été envoyée par aucun Saint-Père depuis la Seconde Guerre mondiale, a-t-il déclaré. « Le pape François nous dit de continuer dans l’esprit de Vatican II », et c’est ce qu’il pense que les catholiques allemands sont sur le point de faire.
Le contenu de la lettre du pape doit cependant être interprété. Le pape François a encouragé le dialogue, mais il a également conseillé aux Allemands de suivre l’Évangile avant tout et de ne pas rompre avec le reste du monde catholique.
C’est précisément ce que craignent certains catholiques en Allemagne quand ils apprennent que le célibat ou l’ordination des femmes fera l’objet d’un débat. « L’Église devrait suivre Jésus, pas « l’air du temps », a averti le cardinal de Cologne, Rainer Maria Woelki, juste après la publication de la lettre du pape.
Le révérend Michael Fuchs, vicaire général du diocèse de Regensburg, demande une toute nouvelle approche pour le chemin synodal. La lettre du pape suggère que l’Église allemande ne continue pas à « poursuivre comme prévu » le parcours synodal, a-t-il déclaré. Il croit que l’Église allemande devrait trouver un processus différent, plus proche de l’Évangile.
Alors, que va-t-il en sortir ?
Tout ce que les évêques et les laïcs décident au cours de ce parcours synodal ne doit pas nécessairement être approuvé par Rome, mais il doit suivre les enseignements catholiques, a indiqué le pape dans sa lettre. Comme il l’a souligné, les résultats du parcours synodal ne seront pas juridiquement contraignants.
En ce qui concerne la mise en œuvre des résultats, ce sera à chaque diocèse et à chaque évêque de choisir, a déclaré M. Sternberg. Ce résultat fait suite au souhait du pape François d’avoir une « Église synodale » qui ne repose pas sur le Vatican pour chaque décision prise.
Mais quoi qu’il en soit, une chose est claire. Avec tout ce qui se passe en Allemagne ces derniers mois – femmes en grève, perte de confiance due au scandale des abus et même la lettre du pape – des catholiques partout en Allemagne suivront ce parcours avec vigilance. Pour certains catholiques, le parcours semble être la dernière chance de regagner la confiance perdue par l’Église ; pour d’autres, cela entraine la séparation possible de l’Église de celle que Jésus a établie et sa soumission aux temps modernes.
Note :
[1] https://www.zdk.de/ueber-uns/unsere-arbeit/synodaler-weg/
Source : https://www.americamagazine.org/faith/2019/08/07/will-germanys-synodal-journey-change-catholic-world
Traduction : Lucienne Gouguenheim