Il ne s’agit pas d’éthique, mais de la façon dont nous imaginons Dieu
Par Tom Roberts
« J’ouvre les débats en tant que théologien et prêtre noir et gay. »
C’était la première phrase de l’intervention du Frère Bryan Massingale, le 4 juillet, lors de la conférence du 50e anniversaire de DignityUSA, un groupe qui se décrit lui-même comme « Célébrant la plénitude et la sainteté des catholiques LGBTQI ». DignityUSA a également organisé une réunion de quatre jours du réseau mondial de catholiques arc-en-ciel avant la conférence.
Comme d’autres, j’ai d’abord perçu son discours comme un coming out public. Mais comme Massingale, professeur d’éthique théologique et sociale à la Fordham University, l’a expliqué dans un échange de courriels et une conversation téléphonique, ce n’était pas vraiment le cas.
« Je ne l’ai pas fait parce que je ressentais le besoin d’une grande annonce », écrit-il dans un courrier électronique. « Comme je l’ai dit dans ma communication, le titre n’est pas “Le prêtre fait son coming out.” […] Pendant de nombreuses années, j’ai été clair et honnête à propos de ma sexualité envers ceux que j’aime et qui m’aiment. Mon orientation n’est pas non plus une grande nouvelle pour beaucoup d’autres personnes qui me connaissent de plus loin. »
Quelle que soit son intention, cet érudit et auteur distingué a su attirer notre attention. Son histoire personnelle de prise de conscience croissante et de découverte de soi est remplie de la fureur et de l’angoisse de quelqu’un qui répond à un appel à une vocation qui, dès le départ, l’invite simultanément à engager un profond désir de Dieu tout en le préparant à un rejet inévitable au cœur de son humanité.
Le titre de la communication de Massingale était « Le défi de l’idolâtrie pour un ministre LGBTQI », ce qui est la clé du sens profond de son message. Qu’est-ce que l’idolâtrie a à voir avec ça ? Rien moins que c’est Dieu qui a à voir avec ça – et c’est tout.
C’est lors d’une retraite ignatienne en 1982, juste avant son ordination en tant que diacre, alors qu’il méditait sur le premier récit de la création dans la Genèse, qu’il remarqua qu’« une fois la création terminée, il n’y avait pas un seul Noir ni aucun homosexuel. En regardant l’humanité, toutes les personnes créées à l’image de Dieu, aucune ne me ressemblait ni n’aimait comme moi. Rien dans la création ne me reflétait. » Ou du moins rien dans des années d’éducation catholique n’avait éclairé son imagination et sa compréhension de lui-même et de Dieu. « Ma propre prière a révélé que je n’y croyais pas. Je ne croyais pas que Dieu pouvait être imagé en tant que Noir. Ou en tant que gay. Et certainement pas en tant que les deux simultanément. »
Le cœur de son analyse mérite d’être cité en détail (les italiques sont de Massingale) :
« Le principal défi auquel nous sommes confrontés en tant que personnes sexuellement minorisées n’est pas un problème d’éthique sexuelle. Nous avons tendance à penser, et on nous dit, que nos problèmes dans l’Église et la société proviennent de notre non-conformité au code moral de l’Église.
Mais l’Église a une solution à ce problème. Si vous péchez, vous pouvez vous confesser. Vous recevez le pardon et l’absolution. … Notre problème le plus profond – celui qui nous cause le plus de douleur, d’aliénation et d’autoéloignement de soi – est que nous avons entendu une fausse histoire à propos de Dieu et que nous avons reçu de fausses images de Dieu. C’est ça notre problème.
Derrière toutes les luttes que nous rencontrons dans le monde et les histoires que nous avons entendues tout au long de cette assemblée – des histoires de destitution de paroisses, d’ostracisme de nos familles et, en général, d’être mal accueillis – derrière toutes ces expériences, c’est une histoire que le catholicisme narre de lui-même.
Au cœur de cette histoire, il y a qu’être catholique, c’est être normal. “Catholique” = “hétéro”. Le catholicisme officiel raconte une histoire où seuls les personnes hétérosexuelles, l’amour hétérosexuel, l’intimité hétérosexuelle, les familles hétérosexuelles – seuls ceux-là, peuvent refléter sans ambiguïté le Divin. Seuls ceux-là sont vraiment sacrés. Vraiment saints. Seuls ceux-là méritent d’être acceptés et respectés sans réserve. Toutes les autres personnes et expressions d’amour, de vie de famille, d’intimité et d’identité sexuelle ne sont sacrées (le cas échéant) que par tolérance ou exception.
En réalité, on nous dit que nous sommes des “pensés après coup” dans l’histoire de la création et non dans le plan original. En d’autres termes, nous sommes “les enfants d’un moindre dieu”. … Oui, nous devons certainement repenser l’éthique sexuelle officielle de notre Église. Mais plus encore, nous devons repenser Dieu. »
Imaginons, ceux d’entre nous qui ne sont pas accablés par un Dieu aussi limité, à quoi ressemblerait notre vie si notre acceptation dans la communauté catholique dépendait de la tolérance d’autres êtres humains plutôt que de la prise en charge de l’amour sans réserve de Dieu pour nous. Imaginez si l’image de Dieu avancée par les chefs religieux excluait un élément de votre identité humaine qui est intrinsèque à qui l’on est.
La religieuse bénédictine Joan Chittister, en parlant de l’évolution de sa pensée sur Dieu, dit que ce que nous croyons à propos de Dieu – comment nous imaginons Dieu – « colore tout ce que nous faisons au nom de Dieu. Cela façonne tout ce que nous pensons des autres. » Elle note que, en effet, la croyance en Dieu n’est pas l’important : c’est une réalité qui s’est produite continuellement au cours de l’histoire. « C’est la sorte de Dieu dans lequel nous choisissons de croire qui, en fin de compte, fait toute la différence. »
On comprend que les femmes fournissent certaines des nouvelles idées les plus profondes pour réinventer le dieu du christianisme catholique, issu d’une formulation séculaire fondée sur une culture essentiellement masculine, célibataire et secrète.
Dans son livre, Quest for the Living God (En quête du dieu vivant), la sœur de Saint Joseph, Elizabeth Johnson, écrit que la lutte pour comprendre Dieu de nouvelles manières a émergé au cours des dernières décennies en raison de divers événements et de diverses forces – comme essayer de comprendre le mal de l’Holocauste, un éventail de problèmes de justice sociale et « de la rencontre du christianisme avec le bien et la vérité dans les traditions religieuses du monde ». Ce qui était autrefois un territoire établi, le monarque (toujours un homme) dont la relation avec les humains était une série de transactions et de décompte du bien et du mal dans un bilan cosmique, est à nouveau étudié et reconstruit.
« Par idolâtrie », a déclaré Massingale, « je veux dire la conviction omniprésente que les personnes, les amours et les relations hétérosexuels, sont des standards, des normes, les seuls universels et véritablement catholiques ». Que seuls ceux-ci peuvent servir de médiateurs au Divin et porter la sainteté. Qu’on ne peut imaginer Dieu que comme normal. »
Cela déplace le débat sur un nouveau terrain. Massingale passe de la question « À quelle éthique adhérez-vous ? » à « Qui est le Dieu en lequel vous croyez ? »
Traduction : Lucienne Gouguenheim
Illustration : https://www.dignityusa.org/news/challenge-idolatry-lgbti-ministry
Les réflexions des deux religieuses théologiennes, à la fin du texte, me semblent capitales et sont en lien étroit avec la recherche de Nous Sommes Aussi l’Eglise, sur la manière de concevoir Dieu aujourd’hui.
Annie Grazon