Risques et chances du synode pour l’Amazonie
Par Víctor Codina
Le Synode des évêques pour l’Amazonie aura lieu du 6 au 27 octobre 2019 à Rome. Ce texte en analyse les enjeux. L’auteur, Víctor Codina, est un théologien jésuite catalan. Il a habité en Bolivie de 1982 à 2018, où il a enseigné la théologie et la pastorale populaire [1]. Cet article a été publié le 14 juin 2019 sur le site Amerindia.
François a convoqué pour octobre 2019 un synode sur l’Amazonie, synode qui est plein de risques et de chances.
Les risques
La première difficulté vient de ce que beaucoup de gens, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de l’Église, ne savent pas ce que signifie un synode, ne savent pas ce qu’est l’Amazonie, et n’ont pas entendu dire il y avait un synode sur l’Amazonie.
Un synode est une réunion d’évêques, convoquée par le pape à Rome pour traiter d’une question d’intérêt. Aujourd’hui le synode est : « Amazonie : nouveaux chemins pour l’Église et pour une Écologie intégrale ».
L’Amazonie : c’est un vaste territoire de 7 millions et demi de kilomètres carrés, de quelque 33 millions d’habitants, dont quelque 3 millions d’Indiens et d’afrodescendants qui vivent dans la forêt, sur les rives du fleuve Amazone et dans des villes comme Manaos et Leticia. L’Amazonie appartient à neuf pays : la Bolivie, le Pérou, l’Équateur, la Colombie, le Venezuela, la Guyane, le Suriname, la Guyane française et surtout le Brésil. Il existe plus de 380 peuples ou nationalités différentes, en plus des quelque 140 peuples indiens en isolement volontaire (PIAV [2]) ; on parle en Amazonie quelque 240 langues.
Un autre risque est de penser qu’il s’agit d’un problème purement territorial et local qui n’intéresse pas le reste de l’humanité, alors que l’Amazonie est l’une des plus grandes réserves de biodiversité (30 à 50 % de la faune et de la flore du monde), d’eau douce et de forêt (30 %) de la planète. C’est le grand poumon américain et mondial.
Un autre risque est d’ignorer le fait que de nombreux peuples d’Amazonie vivent sous le joug de l’exploitation minière (illégale et légale), des multinationales du secteur pétrolier, de l’exploitation forestière, des monocultures, des mégaprojets hydrauliques, des produits agrochimiques toxiques, etc., qui provoquent la destruction de l’habitat et le changement climatique, détruisent la biodiversité ; il y a le trafic de drogue, la présence de groupes armés, les attaques contre la culture et l’identité autochtones : de nombreux Indiens ont été expulsés de leurs territoires, vivent dans la périphérie des villes, sont victimes de persécutions et beaucoup ont été assassinés.
Un autre grand risque pour le Synode est que les gouvernements qui concèdent ces territoires à des multinationales pour des gains économiques importants, se sentent menacés par le Synode et lancent des campagnes contre lui : « il ne faut pas exagérer le changement climatique, il faut promouvoir le développement et le progrès, il ne faut pas être utopique, ni prétendre revenir au monde de la forêt et des cavernes, l’Église ne comprend ni la science ni l’économie », etc.
Un autre risque est que, à l’occasion du synode, les campagnes contre François s’intensifient : communiste et hérétique, naïf, tiers-mondiste et, avant de conseiller les autres, qu’il commence par réformer l’Église souillée par les abus sexuels.
Un autre risque est de considérer les peuples amazoniens uniquement comme des pauvres, socialement et économiquement, sans tenir compte de l’immense richesse de leurs langues, de leurs cultures et de leur spiritualité, avec leur sagesse millénaire antérieure au christianisme. Ils sont une alternative au monde moderne qui détruit la terre et menace l’avenir de notre maison commune. Ils ne sont pas simplement pauvres, ils sont autres, ils sont différents.
Un autre risque est de ne pas reconnaître la présence de l’Église en Amazonie qui, depuis 500 ans, avec ses lumières et ses ombres, avec le travail important de missionnaires, de religieuses et des femmes, a évangélisé et maintient vivante la foi de ces peuples. Ces peuples exigent maintenant que soit dépassée toute mentalité coloniale, qu’émerge une Église à visage amazonien et qu’augmente le nombre de ministères ordonnés pour pouvoir assister pastoralement des populations très dispersées.
Comme le synode essaiera sans doute de ne pas laisser les communautés catholiques d’Amazonie perpétuellement sans l’eucharistie et proposera de nouvelles formes de ministres ordonnés, il existe un risque de créer une tension ecclésiale entre les groupes plus traditionnels et ceux qui sont plus ouverts à ces nouveaux besoins et cherchent hardiment de nouveaux chemins pour l’Église.
Et il y a aussi le risque que les médias se détournent des questions écologiques, toujours conflictuelles, pour se concentrer sur la problématique intraecclésiale de l’ordination des hommes mariés et du ministère des femmes. (Quelque chose de similaire s’est passé lors du synode sur la famille, lorsque les médias se sont concentrés sur la possibilité de la communion pour des divorcés remariés, laissant de côté tout le reste de la problématique familiale.
Il y a le risque que, dans le synode, on ne parvienne pas intégrer l’écologique avec l’ecclésial, comme s’il s’agissait de deux choses distinctes, alors que tout est intimement lié et que l’Église désire la vie intégrale des communautés amazoniennes, tant dans leur dimension humaine, sociale, culturelle et environnementale que spirituelle et ecclésiale.
On risque de ne pas aborder suffisamment la question de la mission et de l’évangélisation, de ne pas approfondir le dialogue interculturel et interreligieux, de ne pas insister suffisamment sur l’annonce du Royaume que Jésus a promulgué.
Les chances
Mais ce synode est un moment propice à de nombreuses opportunités, non seulement ecclésiales, mais mondiales. Bien qu’il se tienne à Rome, la vaste enquête qui a été menée auprès des peuples amazoniens pour entendre leur voix, la présence d’évêques, de théologiens et de théologiennes de l’Amazonie, ainsi que de groupes d’hommes et de femmes amazoniens, garantissent que la voix de l’Amazonie aura un large écho.
Ce synode est une chance pour que la doctrine de l’encyclique Laudato Si’ de François prenne ancrage dans un lieu emblématique et symbolique qui manifeste ce qui se passe dans de nombreux autres territoires de la planète (Congo, Méso-Amérique, Paraguay, Asie du Sud, etc.), évitant ainsi que l’écologie ne devienne une idéologie abstraite. La réalité est plus importante que l’idée.
C’est une chance pour alerter une fois de plus toute l’humanité sur la gravité du système économique et politique actuel qui engendre la marginalisation et la mort des pauvres et détruit la nature. Et tout cela, après avoir entendu la clameur des victimes de la périphérie.
C’est une chance pour que l’Église fasse entendre sa voix prophétique et proclame devant le monde entier la nécessité d’une conversion écologique, si nous ne voulons pas laisser une planète déserte aux nouvelles générations.
C’est une chance pour revaloriser l’ecclésiologie de l’Église locale implantée sur un territoire, avec des ministres autochtones et une théologie indienne, avec l’audace de chercher de nouvelles voies pour une Église à visage amazonien, avec des communautés adultes dotées des ministres nécessaires à une vie chrétienne authentique, avec la Parole, l’Eucharistie et la Diaconie ou service fraternel, toujours en communion avec l’Église universelle.
C’est une chance pour manifester les relations étroites entre Église et Eucharistie, car sans Eucharistie il n’y a pas d’Église, et on ne peut pas condamner perpétuellement à être privées de l’Eucharistie les très nombreuses communautés dispersées et éloignées.
C’est une chance pour intégrer l’écologique et le pastoral, ces deux dimensions de la vie du peuple. La première tâche du berger est de sauver les brebis des menaces du loup.
C’est une chance pour faire connaître la richesse de la sagesse des peuples autochtones et leur harmonie avec la création, qui constituent une alternative au paradigme technocratique de notre société de consommation et de déchets.
C’est une chance pour approfondir le thème de l’écologie intégrale qui englobe l’économique, le social, le mental, l’environnemental et le spirituel, avec un style de vie différent, « le bien vivre », « vivre avec moins pour être plus heureux », en harmonie avec toute la création.
C’est une chance pour répondre à la demande des nouvelles générations qui s’interrogent sur leur avenir en raison du mode de vie actuel et qui critiquent l’inefficacité réelle des sommets politiques sur l’écologie.
C’est une chance pour approfondir et vivre la dimension de l’Esprit du Seigneur Jésus, lui qui dynamise la vie dans toutes ses dimensions et surprend par la richesse de ses dons et fait de l’Église une communauté polyédrique qui marche en sortie vers le Royaume dans la joie et l’espérance pascale.
Une chance pour reconnaître que tout cela se produit à partir de la périphérie et de la pauvreté des peuples menacés et des victimes, ce qui constitue un signe des temps pour le renouveau et la réforme de l’Église universelle et de la société.
Conclusion
Terminons par un témoignage d’Indiens du diocèse de Guaviare (Colombie), aux frontières du Brésil et du Pérou : « La terre a du sang et elle saigne, des multinationales ont coupé les veines de notre Terre Mère. Nous voulons que notre clameur indienne soit entendue par tout le monde. »
Nous sommes convaincus que ce synode, bien que potentiellement conflictuel à l’intérieur et à l’extérieur de l’Église, sera un moment de grâce et d’espoir pour l’Église et pour la société. C’est pourquoi nous demandons la lumière et la force de l’Esprit Saint créateur.
Notes :
[1] Voir, du même auteur, DIAL 2919 – « AMÉRIQUE LATINE – Un nouvel Exode ?» et 3180 – « AMÉRIQUE LATINE – Le cri de Montesinos, hier et aujourd’hui».
[2] PIAV : Peuples indiens en isolement volontaire – NdT.
Source : http://dial-infos.org/spip.php?article8527
Source (espagnol) : Amerindia, 14 juin 2019
Traduction d’Alain Durand pour Dial
Lire aussi : https://nsae.fr/2019/06/27/amazonie-le-clericalisme-qui-cache-la-foret/