La bataille d’Osorno
Le livre de Régine et Guy Ringwald « La bataille d’Osorno » [1], en relatant les faits au plus près de ce que se vit, démonte le mécanisme qui s’est mis en place : cela ressort clairement de ce qui se passe, et du jeu des acteurs. « Le récit très documenté des crimes et délits de prédateurs très connus dont il est question ici, des hommes estimés, voire vénérés, destinés à monter sur les autels après leur mort, fait mesurer la puissance systémique de l’abus de pouvoir dans l’Église », écrit Jean-Louis Schlegel dans sa préface.
Un prêtre au comportement scandaleux s’est créé un empire dans une paroisse d’un quartier huppé de Santiago. Autour de lui se sont organisés les pouvoirs économique, politique, surtout au temps de Pinochet, ecclésiaux au temps du nonce Sodano (poursuivi avec ses successeurs), en lien avec les influences nord-américaines. Il faudra le courage exceptionnel d’un petit groupe de victimes pour qu’éclate un scandale qui a gravement compromis le crédit de l’Église et ébranlé le Chili. On touche là le fait que le scandale de la pédophilie et des abus dans l’Église catholique n’est que l’aspect le plus visible du pourrissement d’un système de pouvoir et d’un positionnement géopolitique qui l’a conduite à ne plus être audible.
Après s’être enferré dans le soutien à l’évêque qu’il avait nommé, n’écoutant que les hiérarques proches de lui, François « a failli couler aux yeux du monde entier avant de se ressaisir » (Jean-Louis Schlegel), et de reconnaître avoir « commis de graves erreurs ». Mais le problème n’en est pas pour autant résolu.
Alors que le scandale touche l’Église catholique sur tous les continents, à l’heure où les déchirements secouent en profondeur le Vatican [2], il apparaît que de nombreux problèmes pourraient bien s’enchaîner. Les scandales sexuels ne sont pas limités (si l’on ose dire) aux prêtres coincés dans des questions comme le déficit affectif et le célibat imposé. Ils sont aussi le fait d’évêques emportés sur la pente des dissimulations et des fausses solutions, quand ils ne sont pas eux-mêmes directement coupables. Ils touchent la Curie romaine elle-même [3]. Les scandales financiers sont endémiques au Vatican, depuis plus de cinquante ans. Le pape Jean-Paul 1er déjà avait voulu s’y attaquer. Depuis, personne n’a pu y remédier. Ils resurgissent de façon aiguë. Les discours de l’Église n’ont plus aucune prise sur un monde qui lui échappe.
Des questions se posent. Pourquoi est-il devenu presque impossible de trouver au Chili un candidat présentable pour un poste d’évêque ? Pourquoi le pape François semble-t-il avoir un don particulier pour placer mal sa confiance ? Pourquoi, en plus de sept ans, n’a-t-il fait avancer aucune réforme ? Pourquoi l’Église qui a vu partir toutes ses forces vives se réfugie-t-elle dans le culte et les pratiques dont on se demande comment elles peuvent porter le message libérateur de Jésus de Nazareth ? L’exemple du Chili qui concentre les ingrédients de l’échec ouvre à la réflexion sur cette situation.
« La bataille d’Osorno » présente aussi, et surtout, « l’histoire d’un combat engagé et gagné de haute lutte par des laïcs contre l’Église locale, nationale et universelle, puisque le pape François et des cardinaux romains y sont impliqués » (J-L Schlegel). Cela aussi peut donner à penser.
Notes :
[1] « La bataille d’Osorno » par Régine et Guy Ringwald, préface de Jean-Louis Schlegel. Ed. Temps Présent / Golias, 19€.
[2] L’affaire du cardinal Becciu touche au plus haut niveau.
[3] Voir le livre de Frédéric Martel : « Sodoma »
On peut se reporter à :
Crise autour de la nomination de l’évêque d’Osorno au Chili (12 octobre 2015)
Osorno, Karadima : nouveaux commentaire et développements judiciaires (27 octobre 2015)
Les Laïcs d’Osorno demandent un évêque irréprochable (24 mai 2016)
Osorno (Chili) : le refus du Vatican (26 septembre 2016)
Les laïcs d’Osorno rencontrent les évêques (22 novembre 2016)
Difficultés et tensions dans le diocèse d’Osorno (7 janvier 2017)
La Cathédrale d’Osorno occupée par les laïcs (16 janvier 2017)
Soutien au Mouvement des Laics et Laiques d’Osorno (2 février 2017)
Les laïcs d’Osorno (Chili) ne lâchent pas(13 février 2017)
OSORNO : LETTRE OUVERTE AUX ÉVÊQUES CHILIENS RÉUNIS A ROME (25 février 2017)
Osorno : comprendre l’attitude du Pape ? (17 octobre 2017)
Soutien aux laïcs d’Osorno, une action auprès du Vatican (7 janvier 2018)
Lettre du Père Peter Kliegel (Osorno) à la Conférence des Évêques du Chili. (31 janvier 2018)
Moment crépusculaire pour le « parrain » du Vatican (9 mars 2018)
Chili : Le Pape demande pardon aux fidèles d’Osorno (18 juillet 2018)
Chili : les laïcs montent en puissance (6 août 2018)
Chili : 50 ans après… (19 août 2018)
L’Église dans une impasse ? (26 août 2018)
Chili : la hiérarchie sans réaction (25 novembre 2018)
Chili : première Assemblée du Synode des Laïcs (8 janvier 2019)
Le Chili en synode : les laïcs n’ont plus peur (19 janvier 2019)
Chili : le pape accepte la démission du Cardinal Ezzati (25 mars 2019)
Chili : Le vent tourne à Santiago (15 avril 2019)
Chili : un accord entre l’Église et la justice tourne au fiasco. (22 mai 2019)
Chili : nominations problématiques à Santiago (7 juillet 2019)
Chili : POBLETE – « POLVETE » – Les jésuites à leur tour dans la tourmente. (9 août 2019)
CHILI : le peuple s’est levé (28 octobre 2019)
CHILI : Seconde assemblée synodale des laïcs : les esprits sont ailleurs (18 janvier 2020)
Au Chili, un groupe de survivants condamne le secret entourant les abus dans l’Église catholique (9 août 2020)
Au Chili, les survivants des abus craignent que la crise du COVID ne mette fin aux enquêtes sur les membres du clergé accusés (27 septembre 2020)