Par Sujata Jena

En Inde, les religieuses ont besoin de recevoir une autorisation pour aider les moins privilégiés, les sans voix et sans pouvoir de la société indienne, affirme la sœur Shalini Mulackal, théologienne de renom.
« Les religieuses ne sont pas en position de résister, car leur vie dépend beaucoup de la vie sacramentelle de l’église, qui est entièrement aux mains du clergé ordonné. Les sacrements sont souvent utilisés comme des instruments pour garder les religieuses sous contrôle », a déclaré Sr Shalini Mulackal lors d’un congrès international de femmes à Rome.
L’événement du 3 octobre intitulé « Voices of Faith » [1] a réuni un groupe de personnalités marquantes, femmes, religieuses, évêques ou autres, venus du monde entier partager leurs histoires personnelles et échanger des idées, à partir du point de vue des femmes, pour bâtir un meilleur avenir dans la société ou dans l’Église.
L’initiative est dirigée par Chantal Gütz de la Fondation Fidel Götz, qui plaide l’ouverture au sein de l’Église à une présence féminine plus incisive.
Sœur Mulackal est intervenue sur le thème : « Rompre avec la légitimisation par l’Église d’une culture d’obéissance et de soumission ».
« Une manipulation injuste due aux relations de pouvoir inégales existant entre la hiérarchie de l’Église et les religieuses, la hiérarchie de l’Église contrôle souvent les femmes consacrées directement ou indirectement à partir de leurs vœux d’obéissance. On est souvent sûrs qu’ils sont à droite », a déclaré Mulackal, professeur au Collège jésuite de théologie Vidyajyoti (« Lumière de la connaissance »), à Delhi.
Il n’est pas rare que des prêtres refusent de célébrer l’Eucharistie du matin dans un couvent si les sœurs n’obéissent pas à ces ordres. De plus, la constitution et les règles de vie de chaque congrégation, établies selon les normes de l’Église, qui sont dominées par le clergé et la femme, n’y jouent aucun rôle, a-t-elle déclaré.
Bien que le christianisme existe en Inde depuis l’époque des apôtres, les chrétiens ne représentent que 2,3 % de la population totale. Parmi eux, il y a 19,9 millions de catholiques et 94 000 femmes consacrées.
Mulackal a expliqué que les religieuses catholiques en Inde ne constituent pas un groupe homogène. Il y a de nombreuses sortes de différence, en particulier selon qu’elles appartiennent à des congrégations internationales ou locales.
Celles qui appartiennent à une congrégation internationale ont une pensée plus critique et peuvent évoluer selon les signes des temps. Elles sont influencées par la pensée féministe et modifient leurs attitudes et leur gouvernance. Elles s’éloignent des attitudes et des conceptions du monde patriarcales et apportent des changements en conséquence, a-t-elle déclaré.
Elles participent au leadership, à la prise de décision en conscience et adoptent le dialogue comme mode de vie. Des termes tels que « mère générale » et « mère supérieure » ont été remplacés par « dirigeante de congrégation », « rassemblement congrégationnel », « dirigeante locale », a-t-elle ajouté.
« Mais celles qui appartiennent à une congrégation locale sont entièrement sous le contrôle de l’Église patriarcale. Souvent, les sœurs ne sont même pas autorisées à prier d’une façon qui soit significative et pertinente pour elles », a-t-elle déploré.
« Pour la grande majorité des religieuses en Inde, la compréhension du “vœu d’obéissance” est encore très étroite. C’est pré-Vatican II, en ce sens que l’obéissance est tout simplement l’obéissance aveugle à la décision de l’autorité légitime. La recherche personnelle de la volonté de Dieu n’est pas encouragée », a déclaré Mulackal, qui est membre du Indian Women Theologians Forum et présidente du Centre for Dalit Studies de Delhi.
Cela se comprend, car les femmes qui entrent dans la vie religieuse ont intériorisé de toutes les façons la condition patriarcale, le système de valeurs patriarcales dans lequel elles considèrent la domination et le centrage masculins comme normaux. Les femmes apprennent à accepter leur position inférieure dans la société et dans l’Église, a-t-elle ajouté.
« En termes religieux, le vœu d’obéissance ne vise pas à créer une attitude de soumission et de solitude. C’est un vœu par lequel on s’engage à rechercher et à connaître la volonté de Dieu à chaque moment de sa vie. Chaque individu est responsable de rechercher et de faire la volonté de Dieu. La volonté de Dieu lui sera manifestée de différentes manières, l’une d’entre elles se faisant par le biais de l’autorité légitime. Le dialogue et le discernement sont les points clés pour vivre les vœux d’obéissance », a expliqué la religieuse.
Malheureusement, on ne rencontre pas cette compréhension du vœu d’obéissance chez la grande majorité des religieuses en Inde, bien que peu d’entre elles l’abordent.
Mulackal a rappelé l’histoire de Sœur Valsa John Malamel, membre de la congrégation des Sœurs de la Charité de Jésus et de Marie.
Malamel a été brutalement battue à mort par un groupe d’hommes dans le village de Pachwara du Jharkhand, dans l’est de l’Inde, le 15 novembre 2011. Elle travaillait pour la protection des terres et des droits des peuples tribaux dans l’État de Jharkhand, contre les intérêts des exploitants miniers. Elle avait 53 ans.

C’est un bon exemple de discernement de la volonté de Dieu, même contre les désirs de l’autorité légitime, qui se manifeste dans la vie de la sœur Malamel », a déclaré Mulackal.
Sœur Malamel avait rejoint la vie religieuse en 1984. Bien qu’elle ait été nommée enseignante à temps plein en 1993, elle avait demandé à ses supérieures de quitter l’école. Celles-ci n’étaient pas disposées à lui permettre de suivre sa conscience, la voix intérieure qui l’appelait à s’engager envers les opprimés.
Finalement, les supérieures lui ont donné la permission. Elle a quitté le confort du couvent et a choisi de vivre parmi les pauvres, dans un village du nom de Pachwara, dans l’État du Jharkhand, en 1998. Elle a mangé avec eux, parcouru les collines avec eux. Parfois, elle dormait même sous les arbres, au bord de la rivière avec eux. Après avoir participé à de longues délibérations nocturnes, elle a commencé à mobiliser les habitants de Pachwara et d’autres villages voisins pour qu’ils s’opposent au projet d’extraction du charbon.
Elle a réussi à organiser les gens, à négocier avec la société et à obtenir une indemnisation adéquate pour la tribu dont les terres ont été cédées à la société pour établir des usines. Elle a été tuée par les personnes mêmes qu’elle servait. Quand elle a été tuée brutalement, on a découvert dans l’unique pièce qu’elle louait une bible et la constitution de la congrégation.
« Pour beaucoup de religieuses en Inde, sortir de la culture du silence est une tâche herculéenne. Cela signifie sortir d’une tradition patriarcale qui a été intériorisée et lutter dans une église hiérarchisée et patriarcale pour l’égalité, le respect de soi et la reconnaissance de son identité de femmes consacrées dans l’Église. Cela demande un chemin plus profond vers Jésus et une force intérieure pour vivre sa conviction, même si l’on est temporairement exclue de la vie sacramentelle de l’Église », a déclaré Mulackal.
Il y a eu d’autres interventions à « Voices of Faith » venant de Suède, d’Espagne, d’Australie, d’Allemagne, des États-Unis, de Suisse, du Sénégal et des Philippines.
Note :
[1] Lire : Surmonter le silenceSource : http://mattersindia.com/2019/10/ending-religious-womens-silence-urgent-task-woman-theologian/
Traduction : Lucienne Gouguenheim
Je suis émerveillée en voyant ses femmes qui luttent, pour que la libération annoncée par Jésus prennent corps dans la société où elles vivent, et dans l’Eglise qui en est parfois si loin…
Annie Grazon