Par Régine et Guy Ringwald
Si les événements du Chili ont commencé par une histoire de billet de métro, si les premières manifestations ont pris la forme violente de destructions (ici, c’est le métro qui était visé), les manifestations massives de vendredi 25 octobre ne laissent aucun doute : c’est bien le peuple qui crie sa colère.
Un des slogans est particulièrement significatif : ce n’est « pas pour 30 pesos, mais contrer 30 années de libéralisme » (que nous manifestons). Le libéralisme, ou plus exactement le néo-libéralisme est l’héritage de l’ère Pinochet. Pas par hasard : les Chicago Boys avaient trouvé le régime politique idéal pour mettre en place leur politique du tout financier. Un pouvoir autoritaire pas trop regardant sur les droits humains est nécessaire pour permettre à cette théorie économique de se développer. Avec les résultats qu’on mesure aujourd’hui : voir le texte édifiant publié sur ce site le 25 octobre [1]. Pinochet n’a pas laissé que cela : il a aussi écrit une constitution qui institue un État faible : c’est logique, car au pays du tout financier, l’État n’a plus de rôle à jouer. D’ailleurs il a inscrit dans le marbre le néo-libéralisme. Tout cela est cohérent, et on comprend que les gouvernements qui ont suivi le retour à une démocratie, tout de même limitée, n’aient pas pu inverser la tendance. Et surtout pas le milliardaire Piñera.
La première réaction du Président Piñera fait froid dans le dos : « nous sommes en guerre contre un ennemi implacable », qu’il ne sait pas nommer, et il envoie l’armée et les chars dans les rues. On voit aujourd’hui que c’est contre son peuple qu’il est en guerre. Heureusement, ces jours-ci, il semble faire progressivement marche arrière, mais les premières mesures annoncées ne suffiront pas. L’avenir est incertain.
Le site Reflexion y Liberacion a relayé une déclaration signée par 70 théologiens et théologiennes qui appellent d’autres signatures. Ils réclament des autorités « qu’elles mettent fin à la militarisation des rues, qu’elles ne criminalisent ni ne répriment les protestations légitimes », ils dénoncent les violations des droits humains par les forces armées et les carabiniers, et veulent se joindre au débat national. Ils citent Isaïe (32,17) : « le bien-être est l’œuvre de la justice », pour dire que dans nos traditions religieuses, il y a des germes de transformation sociale, et il terminent en disant : « Le Chili n’est pas en guerre, un Chili injuste et abusif meurt, et le nouveau peuple naît. Heureux ceux qui luttent pour cette justice ».
Aujourd’hui, nous publions la déclaration publique du Réseau des laïcs : ils nous parlent de la situation, et disent leur espérance. Car c’est bien d’un nouveau pacte social que le pays a besoin.
RÉSEAU DES LAÏCS ET DES LAÏQUES DU CHILI : VERS UN NOUVEAU PACTE SOCIAL

Rejetant la violence et accordant la priorité au respect des droits humains, le réseau laïc exige que les dirigeants mettent fin à la répression.
SANTIAGO, 23 OCT (KAIRÓS NEWS) – Se joignant à la proposition de générer un nouveau pacte social manifesté par diverses instances ecclésiales durant ces cinq jours de mobilisation sociale, le Réseau National des Laïcs et Laïques du Chili s’exprime dans une déclaration publique.
DÉCLARATION PUBLIQUE
22 octobre 2019
Cette voix qui crie dans le désert est la voix de la justice et de l’espérance.
Face à la mobilisation sociale du peuple chilien et à la grave crise politique actuelle qui est le produit d’un système économique et social qui a permis, l’inégalité, l’injustice sociale et les différents types d’abus actuels et légalisés (ou qui s’inscrivent dans la loi), et surtout l’installation d’une société asymétrique où seuls les privilégiés peuvent accéder à une vie digne, le Réseau National des Laïcs et des Laïques du Chili, dans la ligne de notre identité spirituelle et sociale, suivant le modèle de Jésus, nous déclarons :
Le rejet total et absolu de la violence et de la répression exercée par l’État, à qui a été concédé le monopole de la force pour qu’il s’en serve en vue de garantir la dignité, et non contre son propre peuple. Cette violence s’est également manifestée structurellement dans notre pays par des injustices, et des privilèges accordés à des catégories de personnes contre de larges secteurs de la population, vulnérables et fragilisés dans leur vie quotidienne, et des peuples autochtones qui ne sont ni respectés ni reconnus comme tels. Nous prenons part à cette clameur sociale contre ces structures qui ont aggravé le manque de protection pour la population, et des abus économiques et sociaux.
Nous exigeons le respect des droits humains sous toutes leurs formes, et le respect légitime du droit à manifester pacifiquement, auxquels il a été porté atteinte, ces jours-ci, lors de différents mouvements à travers le pays.
Nous exigeons des dirigeants actuels qui se sont déclarés chrétiens que cesse la répression contre le peuple, et nous leur rappelons, comme l’a dit le prophète, « n’opprime pas les veuves, les orphelins, ni les étrangers, ni les pauvres » (Zacharie 7:10).
Nous exhortons toutes les personnes de bonne volonté et ceux des chrétiens qui, là où ils sont, sont engagés dans les manifestations, à ne pas dévier de l’usage de la non-violence active.
Nous reconnaissons qu’une racine de la maladie de notre société chilienne réside dans la mise en place « une culture basée sur les “asymétries de pouvoir” qui se manifeste dans les abus institutionnels et quotidiens de toutes sortes, et selon laquelle tout est construit et pensé pour le privilège de quelques-uns. Avec douleur et espérance, nous travaillons à changer ces structures asymétriques au sein de l’Église, et nous proposons la même chose comme un travail nécessaire et urgent dans toute la société.
Nous appelons ceux qui détiennent le pouvoir, à créer le plus tôt possible les conditions d’un « nouveau pacte social » qui engendrera une société plus égalitaire, plus juste, et plus de possibilités pour toutes et tous, fondées sur les principes du bien commun. Nous considérons la participation des organisations sociales et civiles comme une condition indispensable à ce nouveau processus de construction du pays.
Enfin, en tant que Réseau qui s’est engagé sur le chemin synodal de grands changements dans l’Église, qui rassemble les chrétiennes et les chrétiens, les disciples et les amis de Celui qui a dit « Bienheureux sont ceux qui travaillent pour la justice et la Paix », nous nous engageons à veiller et demeurer attentifs aux joies, aux espoirs, aux peines et aux inquiétudes de notre pays, à nous mettre au service de tous, tout comme Jésus le ferait à notre place, sûrs qu’il nous conduira à une société nouvelle assurant la dignité de tous.
Nous espérons que l’Esprit de Dieu, (la RUAH) présent en nous, permettra une transition vers une société nouvelle grâce à un « nouveau pacte social horizontal, honnête et transparent, à la manière de Jésus » pour tous les Chiliens et chiliennes.
Réseau national des laïcs et laïques du Chili.
De leur côté, les évêques ont publié dès le samedi 19 octobre, au lendemain des violences, un communiqué qui révèle une certaine lucidité. Nous en extrayons les points saillants :
- Les événements vécus ce vendredi 18 octobre à Santiago sont de la plus grande gravité et suscitent de grandes inquiétudes, tant pour leurs causes que pour leur développement et leurs effets. Nous comprenons qu’ils font partie d’un processus que nous vivons depuis des décennies et qui a des conséquences profondément humaines que nous ne pouvons ignorer.
- Ces événements douloureux et traumatisants sont un appel impératif à continuer à créer une culture de rencontre et de compréhension, capable d’écouter et de comprendre les souffrances et les maux quotidiens de la société chilienne en matière de travail, santé, sécurité des citoyens, éducation, logement, pensions, pauvreté, et les défis humanitaires de l’immigration, entre autres.
- Nous condamnons fermement la violence qui s’est produite dans la capitale du pays avec des agressions contre les personnes, la destruction de biens, le pillage de locaux commerciaux et la privation de centaines de milliers de compatriotes d’un service de transport qui est à la base du fonctionnement de la ville. Mais pour que cette condamnation soit efficace, nous devons prendre en charge la compréhension des racines de cette violence et œuvrer d’urgence pour la prévenir, l’arrêter et trouver des moyens pacifiques de gérer les conflits.
- La participation de tous est urgente, par des voies légitimes pour traiter les demandes sociales de manière participative, la recherche d’une vie digne et d’un bien-être intégral, plaçant les personnes au centre de la vie du pays.
- Il est temps de passer de la préoccupation à l’action… Les autorités, les partis politiques, la société civile et ses organisations, les universités et les intellectuels, les personnes organisées elles-mêmes doivent dialoguer sur le pays que nous voulons.
- Sur la base de la concorde civique, le Chili a besoin d’un dialogue social centré sur les personnes, sur leurs façons de vivre ensemble et d’habiter la maison de tous, et d’une amitié civique fondée sur le bien commun.
- Nous demandons à toutes nos communautés et personnes de bonne volonté de prier pour la paix sociale et l’amitié civique dans notre pays et que Dieu nous aide à ouvrir notre intelligence et notre volonté dans la recherche de nouvelles voies de compréhension et de compréhension mutuelle.
Note :
[1] https://nsae.fr/2019/10/23/frappe-par-une-secheresse-historique-le-chili-se-revolte-contre-linjustice-sociale/