Finalement, la beauté finit par triompher
Par Jean-Pierre Tuquoi (Reporterre)
Dans « Dernier acte », Antoine Herscher montre, de photo en photo, comment la nature, blessée par l’humain, parvient, avec le temps, à absorber avec élégance les outrages subis.
Les collapsologues devraient se précipiter sur ce livre. Ils ont là, magnifiquement reproduites, plusieurs dizaines de photos couleur qui semblent avoir été prises plusieurs années après une catastrophe qui aurait emporté toute vie humaine (mais pas animale). En réalité, il s’agit de clichés récents pris en France (et pour quelques-uns en Espagne), sans la moindre mise en scène, dans des lieux improbables : une usine anonyme où rouillent des machines venues du XIXe siècle, des canalisations qui courent au milieu de l’herbe, des hôtels à l’abandon, des décharges de pneus, de voitures, des monuments qui tombent en ruines…
De ce tour de France post Tchernobyl surgissent des clichés magnifiques et angoissants. Ici, c’est un théâtre de province dévasté par une tornade imaginaire avec ses sièges en bois défoncés. Là, une voie ferrée oubliée envahie par des sapins. Ailleurs, un avion de chasse des années 50 posé sur des blocs de béton envahis par le lierre, ou encore des bateaux de pêche échoués en pleine campagne. Que dire devant cette station-service en passe de disparaitre sous les herbes folles ? De ces lampadaires plantés en alignement en pleine campagne ? Un rêve de ville nouvelle qui a tourné au cauchemar ? Que penser de cette serre à la verrière crevée d’où pend une végétation luxuriante ? Ou de ce dinosaure fait de résine qui semble vouloir s’échapper d’une villa en enjambant un mur de parpaings ? Quelle catastrophe s’est abattue sur ces bouts de paysage désertés par l’humain ?
Il n’y a pas eu de catastrophe. Dans un livre précédent (Arbor, éd. Actes Sud, 2016), Antoine Herscher nous faisait toucher du doigt la majesté mystérieuse des arbres. Dans celui-ci, il nous montre simplement combien la nature peut être malmenée et défigurée par l’humain avant qu’il ne s’en détourne pour investir d’autres lieux.
Mais sans doute ne faut-il pas en rester à une vision pessimiste et ne voir que le côté sinistre de l’occupation humaine. La nature est blessée, elle exhibe ses stigmates, mais, avec le temps, réussit à reprendre le dessus, à surmonter les outrages subis, à les absorber avec élégance. Et de cet aller-retour, où la trace de l’humain finit par s’estomper sans vraiment disparaitre, peuvent surgir des images empreintes de poésie, comme celle de ce cimetière champêtre où la mousse des sous-bois se marie aux stèles de pierre dans une communion apaisante. Finalement, la beauté finit par triompher.
Source : https://reporterre.net/Finalement-la-beaute-finit-par-triompher
Photos : © Antoine Herscher / Actes Sud
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