Avancer dans les profondeurs
Par Elizabeth Dowling
Dans Luc 5 : 4, Jésus dit à Simon d’« avancer en eau profonde ». Pour moi, cette phrase / image est pleine de signification. Nous entrons plus profondément dans le mystère où nous ne pouvons pas tout voir clairement, mais c’est là que nous trouverons la vie et l’énergie. Le mot grec bathos est traduit dans Luc 5 : 4 par « profond », et des mots apparentés à bathos apparaissent également dans Luc 6 : 48 ; et 24 : 1.
Dans cet article, j’ai l’intention d’explorer l’idée d’aller « en eau profonde » et de la relier à une compréhension de « l’incarnation profonde ».
(Luc 5 : 1-6) Un jour, alors que Jésus se tenait près du lac de Gennesaret, et que la foule le pressait pour entendre la parole de Dieu, il vit deux barques au bord du lac ; les pêcheurs en étaient sortis et lavaient leurs filets. Il monta dans l’une des barques, celle de Simon, et lui demanda de s’éloigner un peu du rivage. Puis il s’assit et enseigna la foule depuis la barque. Quand il eut fini de parler, il dit à Simon : « Avance en eau profonde et laissez tomber vos filets pour la pêche. » Simon répondit : « Maître, nous avons travaillé toute la nuit, mais nous n’avons rien pris. Pourtant, si tu le dis, je vais lâcher les filets. » Après l’avoir fait, ils capturèrent tellement de poissons que leurs filets commençaient à se rompre.
Les bateaux de pêche semblent avoir été un spectacle courant sur la mer de Galilée (lac de Gennesaret) au temps de Jésus, car la pêche était une industrie importante pour les villes le long de la rive du lac. Dans cette histoire, Jésus s’assoit d’abord sur le bateau de Simon et enseigne à la foule, puis il invite Simon à avancer dans « les profondeurs » (5 : 4). N’ayant rien attrapé de toute la nuit, Simon découvre qu’il fait une expérience différente « dans les profondeurs », attrapant tellement de poissons que les filets pouvaient à peine les contenir.
Dans les profondeurs, nous pouvons littéralement nous sentir hors de notre profondeur. Nous ne pourrons peut-être pas toucher le fond, ni même voir le fond. (…) Tout comme Pierre rencontre tant de poissons quand il « avance dans les profondeurs » (Luc 5 : 4), l’instruction d’aller dans les profondeurs (bathos) est une invitation à une nouvelle vie, une nouvelle compréhension, une expansion de la conscience. La réponse de Pierre est de tout quitter et de suivre Jésus (5:11).
Dans Luc 6 : 47-48, Jésus compare quelqu’un qui entend les paroles de Jésus et agit en conséquence à une personne qui a creusé profondément (ebathunen) et posé les fondations de sa maison sur le roc. Une telle maison est bien construite et résistera aux tentatives de destruction. Une fois de plus, Jésus invite ses auditeurs à « aller dans les profondeurs ». Quelque chose qui est lié au « profond » donne la vie.
L’image finale de « s’enfoncer dans les profondeurs » dans l’Évangile de Luc se produit en 24 : 1 lorsque les femmes vont au tombeau. « Le premier jour de la semaine, tôt à l’aube (orthrou batheōs), elles sont venues au tombeau, en prenant les aromates qu’elles avaient préparés. » Dans le texte grec original (orthrou batheōs), les femmes viennent au tombeau littéralement dans la profondeur du matin. Les femmes « se retrouvent dans les profondeurs », et le résultat est qu’elles voient avec des yeux nouveaux. Recevant le message que Jésus est ressuscité (24 : 5), elles vont annoncer la nouvelle aux autres disciples (24 : 8). Une fois de plus, le voyage dans « les profondeurs » est une opportunité d’expansion de la conscience. Malheureusement, la proclamation des femmes n’est pas entendue (24:11).
On rencontre le mot grec bathos dans un autre contexte, en dehors de ceux que nous avons vus dans l’Évangile de Luc. Bathos peut également avoir un sens astronomique, se référant à une distance céleste. Ce contexte d’« aller dans les profondeurs » nous pousse à contempler « l’espace profond ». Comme la science nous montre que notre univers est en expansion, notre « entrée dans les profondeurs » de l’espace nous pose le défi d’élargir notre compréhension et nos images de Dieu dont la création est en train de se faire.
Nos connaissances scientifiques fournissent également une image de réciprocité en relation avec « la profondeur » de l’espace. Alors que l’invitation à « aller dans les profondeurs » nous aide à élargir notre conscience du cosmos en évolution et de son créateur, il y a un autre sens selon lequel nous « venons des profondeurs ». Nous sommes intimement liés au « profond ». Les éléments qui composent notre corps se sont formés dans les étoiles. Notre histoire est tissée dans le fil de l’histoire de l’univers. « L’histoire des étoiles et des galaxies, l’histoire de la Terre sous toutes ses formes de vie et l’histoire humaine ne font qu’un. Il s’agit de l’effusion magnifique de la créativité divine embrassant l’unité radicale de toute vie. » [Nellie McLaughlin : Introduction de Out of Wonder : The Evolving Story of the Universe (2016)].
Le prologue poétique de l’Évangile de Jean déclare : « Le Verbe s’est fait chair (sarx) et a vécu parmi nous » (Jean 1:14). L’interprétation traditionnelle de l’incarnation est centrée sur l’humanité de Jésus, mais le libellé de 1:14 inclut toute chair (sarx), pas seulement les humains. En 2001, le théologien danois Niels Gregersen a inventé le terme d’« incarnation profonde » pour désigner l’union du Verbe avec toute la vie dans un cosmos en évolution. [Voir l’interview de Niels Gregersen dans God andNature, été 2017]. Depuis lors, Gregersen et d’autres théologiens ont continué d’explorer les implications de « l’incarnation profonde ».
Comme l’explique Elizabeth Johnson : « L’incarnation profonde » interprète Jean 1:14 en disant que la sarx qu’est devenue la Parole de Dieu fait épouser à Jésus non seulement l’ensemble des êtres de l’espèce humaine : elle nous dépasse également pour englober le monde biologique tout entier des créatures vivantes et de la poussière cosmique qui les compose. L’incarnation est un événement cosmique (Ask the beasts, p. 197).
De même que la substance de notre propre corps, les éléments qui composent le corps de Jésus viennent aussi du « profond ». Quand nous célébrons la naissance de Jésus, nous sommes invités à « aller dans les profondeurs » et à élargir notre conscience de « l’incarnation profonde ». Denis Edwards nous rappelle que l’incarnation ne se limite pas à la naissance de Jésus et doit également être comprise par rapport à la création et à la résurrection. « Dans la création, l’incarnation et son aboutissement dans la résurrection, Dieu engage le moi de Dieu dans ce monde, dans cet univers et ses créatures, et le fait éternellement » (Denis Edwards, Partaking of God, p. 62).
Pour finir, revenons à la première histoire que nous avons explorée de Luc 5. Jésus invite Simon à « aller dans les profondeurs » (5 : 4), où il attrape tant de poissons (5 : 6). Avant que Simon ne quitte tout et le suive, Jésus lui dit : « N’aie pas peur ; à partir de maintenant tu pècheras des gens » (5 : 10-11). Dans sa réflexion sur cette histoire, la bibliste Veronica Lawson interprète ces mots comme l’invitation que nous fait Jésus à rassembler tous ceux qui sont passés à travers les mailles du filet et qui doivent être ramassés dans nos filets.
Aux côtés des personnes déplacées, nous modèlerons un monde d’accueil et d’inclusion. Engagés activement dans la protection de notre maison commune, nous témoignerons du caractère sacré de toute la création.
Notre vision exige que notre prise de conscience croissante se reflète dans nos actions. Alors que nous « nous plongeons dans les profondeurs », que nous trouvons une nouvelle vie et une conscience élargie dans ces profondeurs, et que nous vivons cette vie en relation sacrée avec notre communauté terrestre dans un cosmos en expansion, nous grandissons dans la présence de la miséricorde universelle.
Source : https://www.mercyworld.org/f/45074/x/73e348ff8d/edowlingrsm-putting-out-into-the-deep-usletter.pdf
Traduction : Lucienne Gouguenheim