Chili : Adieu à Mariano Puga
Par Régine et Guy Ringwald
Grande figure, sans doute la dernière, de ces prêtres qui, aux durs temps de la dictature Pinochet, avaient choisi de partager la vie et le combat des pauvres, Mariano Puga Concha, pour tout le monde Mariano Puga et, pour ses frères de La Villa Francia, Mariano, est décédé le 14 mars. Il avait 88 ans. Depuis près de deux ans, il souffrait d’un lymphome.
Sa dernière manifestation publique fut, le 25 février – il était très affaibli -, la célébration d’une messe, dehors, devant le « Centre de Justice [1] » pour demander la libération des prisonniers de l’explosion sociale d’octobre 2019, dont les mineurs détenus au centre de détention pour mineurs. Le 3 mars, il a eu un dernier instant de lucidité pour écrire une lettre « à ses frères prêtres » regrettant qu’il n’y ait eu que deux prêtres pour célébrer, ce jour-là. Au-delà, il critiquait ouvertement l’Église catholique pour son attitude lors du soulèvement social. Il remarquait combien les gens étaient éloignés de l’Église : « En prenant connaissance de la réalité sociopolitique des familles des victimes, j’ai remarqué que très peu d’entre elles se sentaient en communion avec l’Église, bien que beaucoup admirent Jésus ». Il a été impressionné « de voir le nombre de personnes qui ont communié avec le corps et le sang de l’homme juste, Jésus de Nazareth ». « Pendant ces mois, nous avions tenté de communier au corps du Christ, criblé de balles, endommagé, mutilé, tué… N’était-ce pas cohérent de communier au corps du Christ ? ». Au moment où Mariano était entré en agonie, une foule se manifestait, non pour pleurer, mais défilant pour célébrer le « prêtre ouvrier », comme on l’appelle partout au Chili, claquant dans les mains, battant le tambour : « Mariano, amigo, el pueblo esta contigo [2] ».
Né dans une famille aisée, son père a été ambassadeur aux États-Unis, Mariano abandonne l’architecture pour suivre une vocation religieuse. En 1972, il abandonne la théologie et l’enseignement au séminaire. Il va travailler comme ouvrier dans les mines de cuivre de Chuquicamata, et il adhère au mouvement « Cristianos por el Socialismo », qui fait partie de l’Unité Populaire. C’est une vie choisie au service, non d’une institution humaine, mais de l’Évangile. Il est mis à l’écart par l’archevêque Silva Henriquez, mais rejoint le Vicariat de la Solidarité après le coup d’État de Pinochet. Il arrive à la poblacion de Villa Francia. Pendant la dictature, il est arrêté huit fois, et torturé à Tres Alamos et à la villa Grimaldi, de sinistre mémoire, et même banni un temps, au Pérou. Il a été en poste en d’autres lieux, notamment à la poblacion de La Legua, et il a été en mission, de 2002 à 2012, à l’ile de Chiloé, contrée éloignée dans le sud du Chili. Là, il a travaillé à restaurer le rôle des « fiscales », responsables laïcs des communautés, institués par les jésuites au dix-septième siècle, mais étouffés par l’effet du cléricalisme.
En 2016, il a assisté à la messe où dix prisonniers de la prison de Punta Peuco (condamnés pour violations des droits humains) ont symboliquement demandé le pardon des crimes commis pendant la dictature. Alors que sa participation était vivement critiquée, Mariano Puga a déclaré : « il ne peut y avoir de pardon s’il n’y a pas de réparation, de contribution à la justice et s’ils ne dévoilent pas les informations qu’ils n’ont pas présentées aux tribunaux ».
Lors de la visite du pape, en janvier 2018, il s’était joint aux protestations contre l’évêque Barros, contesté à Osorno pour avoir été un proche de Karadima et avoir dissimulé ses agissements. Il était déjà malade en 2019, mais s’était quand même rendu au rassemblement mondial de la fraternité, aux Philippines. Lors du soulèvement d’octobre 2019, il avait été sévère contre le président Piñera : selon Mariano, il n’avait rien compris à ce qui se passait.
Il avait eu des remontrances de la hiérarchie sur sa manière d’accommoder la liturgie aux réalités de la poblacion : du vrai pain comme tout le monde, et un simple verre pour le vin ! Il n’avait pas d’orgue, ne jouait pas de guitare. C’est à l’accordéon qu’il entrainait les chants de ses frères et sœurs, comme lors des obsèques d’Ana Gonzalez [3], connue pour son combat pour les droits humains.
Ils étaient des milliers, la foule de ceux qui étaient les siens, rassemblés dans le centre de Santiago. Ils accompagnaient l’ami qui avait été pour eux porteur d’Évangiles. Les officiels ont tous versé une larme de crocodile. L’archevêque Celestino Aos présidait, un moindre mal. Le cercueil, peint à la main de couleurs vives, est arrivé juché sur le haut d’un camion, entouré de la foule, le long de l’avenue La Alameda, parmi des bannières et des chants en mémoire et en hommage à Mariano Puga, jusqu’à ce qu’il atteigne l’église San Francisco, où a eu lieu la messe de funérailles. En souvenir de la torture qu’il avait subie en ces lieux, le cercueil avait fait une halte à Tres Alamos et à la Villa Grimaldi. Là, on y a célébré un hymne de la Résurrection. Parmi les chants, « Le Chili s’est réveillé ! » qui a soutenu les protestations sociales contre le gouvernement de Sebastián Piñera depuis le 18 octobre dernier. Une des dernières paroles de Mariano, rapportées par ses proches : « Ce Chili nouveau que vous voulez, je ne le verrai pas, mais vous, vous le verrez ».
Sur la grille du jardin de La Minga, le lieu où il habitait, au sein de sa communauté de Villa Francia, un panneau de carton blanc orné de coquelicots rouges et ces mots :
Padre Mariano,
Gracias por todo tu amor
dado en lucha.
Nosotros y nosotras seguiremos [4]
Mariano a quitté La Minga.
Notes :
[1] https://nsae.fr/2020/03/05/chili-la-derniere-lettre-de-mariano-puga/
[2] « Mariano, notre ami, le peuple est avec toi », ce qui se proclame sur le ton de « el pueblo unido, jamas sera vencido », slogan de l’unité populaire qui a fait le tour du monde.
[3] https://youtu.be/2NWpmURGT64
[4] Père Mariano, merci pour tout l’amour que tu nous as donné dans la lutte. Nous continuerons.
Credo de Mariano Puga
Nous croyons en Dieu malgré son silence et son secret,
Nous croyons qu’il est vivant.
Malgré le mal et la souffrance, nous croyons qu’il a fait le monde pour le bonheur de la vie
malgré les limites de notre raison et les révoltes de notre cœur.
Nous croyons en Dieu
Nous croyons en Jésus-Christ
Malgré les siècles qui nous séparent de lui,
Nous croyons en sa parole.
Malgré sa faiblesse et sa pauvreté
Nous croyons que sa mort est notre vie.
Malgré nos incompréhensions et nos refus, nous croyons en sa résurrection.
Nous croyons en l’Esprit Saint
Malgré les apparences, nous croyons qu’il conduit l’Église
Malgré la mort, nous croyons à la résurrection,
Malgré l’ignorance et l’incrédulité,
Nous croyons que le royaume de Dieuest pour tous les hommes.
Je crois en l’église de Jésus-Christ qui a plus de 2000 ans et qui naît aujourd’hui.
Je crois en cette église qui nous frappe par ses rugosités, par son péché, par ses
infidélités : elle nous traverse tous. (…)
Je crois que l’Esprit Saint est sans cesse en train de travailler pour la renouveler.
C’est d’elle que j’ai appris à vivre selon l’Esprit de Jésus, c’est en elle que le Christ m’a
appelé à être serviteur de tous les hommes.
Je crois en cette Église que l’Esprit empêche de devenir vieille, de dévier, de s’attarder sur
ses sécurités, de s’accommoder avec le pouvoir, les privilèges.
Je crois en cette Église qui ne vit pas pour elle-même, mais qui vit pour que le monde
devienne Royaume, transparence de bonté.