« Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie »
Par Jean Joseph Stenger
Jn 14, 1-12
Les apôtres sont confinés dans leurs peurs. Nous sommes le soir du Jeudi Saint. L’étau s’est refermé autour de leur Maître. Jésus, « sachant que l’heure était venue de passer de ce monde à son Père » a rassemblé ses apôtres pour un repas d’adieu. Les apôtres sont bouleversés. Le départ de Jésus et la perspective de se retrouver livrés à eux-mêmes, dans un monde hostile, font naître dans leur cœur une profonde angoisse. Jésus les rassure. « Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures… Quand je serai parti vous préparer une place, je revendrai, et je vous emmènerai auprès de moi. »
C’est sans doute à cause de cette belle promesse que cet Évangile est souvent choisi par les familles à l’occasion des funérailles d’un proche est la réponse de Jésus à Thomas : « Moi je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va vers le Père sans passer par moi… Celui qui m’a vu a vu le Père. »
Le décès d’un papa, d’une maman, d’un enfant, d’un ami est toujours une épreuve qui nous bouleverse. De même, en ce temps d’épidémie, la maladie, la solitude, la peur du lendemain nous laissent avec plein de questions… Parfois Dieu nous semble bien loin. Il nous arrive de crier vers lui comme les croyants dans les psaumes : « pourquoi dors-tu ? Réveille-toi ? Pourquoi m’as-tu abandonné ? » Jésus lui-même a crié vers Dieu au moment de la Passion. Il a vraiment partagé notre humanité.
Mais surtout, il nous a ouvert un chemin pour dépasser nos peurs et affermir notre foi : « Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi… Qui m’a vu a vu le Père. ».
Les apôtres étaient marqués par la religion juive qui, à travers la Bible, présente souvent Dieu comme un personnage qui fait peur, qui intervient dans la vie des hommes pour punir, et même parfois détruire. Pensons au déluge (Genèse 6) par lequel Dieu punit « la méchanceté des hommes », la Tour de Babel (Genèse 11) que les hommes, dans leur orgueil, veulent construire pour atteindre le ciel ; alors Dieu brouille leur langue afin qu’ils ne se comprennent plus ; les fléaux d’Égypte (Exode 7-11), des épidémies que Dieu envoie sur les Égyptiens pour les punir d’avoir réduit le peuple hébreu en esclavage ».
Il fallait offrir à Dieu des sacrifices d’animaux en grand nombre, pour apaiser sa colère, pour qu’il épargne les humains. Dans notre bonne religion catholique, nous avons longtemps trainé avec nous l’image de ce Dieu qui fait peur, qui envoie des malheurs, ce Dieu « à qui il a plu de rappeler à lui un papa, une maman, un enfant… » ce Dieu qu’il faut amadouer par des prières et des sacrifices. Certains courants d’Église, aujourd’hui encore, voudraient nous faire croire que Dieu nous a envoyé le coronavirus pour punir le monde de se « paganiser » dans une course à la surconsommation, en supprimant le dimanche, en oubliant Dieu.
« Je suis le Chemin la Vérité et la Vie, qui m’a vu, a vu le Père ». Le seul chemin pour vraiment connaître Dieu, c’est donc de regarder et de méditer sur les paroles et les actes de Jésus. En Jésus, Dieu nous montre le vrai visage de Dieu. Comme le dit Saint-Jean dans le prologue de son évangile : dans son Incarnation « le Verbe de Dieu s’est fait chair, il a habité parmi nous… Personne n’a jamais vu Dieu. Le Fils unique qui est dans le sein de Dieu nous l’a fait connaitre ». (Jn I, 14, 18)
Le plus grand bonheur de Jésus sera de constater que Dieu s’est révélé comme un Père, comme un Dieu d’amour, aux petits, aux humbles, aux pauvres, aux enfants, à tous les « enfants du Royaume » qu’il était allé chercher dans les maisons peu recommandables comme chez Zachée, où mangeaient les pécheurs, sur les places publiques où trainaient ceux qui n’avaient pas trouvé de travail, dans les régions des païens, dans les lieux déserts où les lépreux cachaient leur stigmatisation. (Luc 10, 21-22)
À la fin de sa vie, Jésus laissera à ses disciples un seul commandement, nouveau : « aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous devez vous aussi vous aimer les uns les autres. » (Jean 13, 34)
Si Jésus nous a révélé le vrai visage de Dieu, le visage d’un Père, c’est donc parce que nous sommes les frères et les sœurs de Jésus, et que notre vie doit être une vie fraternelle. « Si Dieu nous a tant aimés, nous devons nous aussi nous aimer les uns les autres. Dieu, nul ne l’a jamais contemplé, mais si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour, en nous, est accompli. » (I Jean 4,12)
Le Chemin que Jésus nous propose c’est un chemin de fraternité. Ce n’est pas compliqué, c’est tout simple. J’y ai pensé en écoutant à la télé Lytta Basset, pasteure, philosophe et théologienne ; j’aime bien ses livres. Elle a été marquée par les violences subies dans son enfance. Une nouvelle épreuve : le suicide de son fils. Elle disait : « je n’avais plus la force de vivre… j’allais faire mes courses au supermarché. La caissière, une femme portugaise, m’a dit : ”je vous vois souvent, madame, je vous aime.” Ça m’a redonné le goût de vivre. » La fraternité, ça peut être juste un sourire, une parole.
Pour sortir de ce temps d’épidémie, pour une nouvelle manière de vivre, le chemin que Jésus nous propose est le chemin de la fraternité. C’est un chemin de Vie et de Vérité.
Nous devons faire œuvre de vie. Et par des actes, en vérité. Les belles promesses ne donnent pas à manger. « À quoi bon, nous dit Saint-Jacques, de dire qu’on a la foi, si on n’a pas les actes. Si un frère ou une sœur n’ont rien à se mettre et pas de quoi manger tous les jours, et que l’un de vous dise : allez en paix, mettez-vous au chaud et bon appétit », sans que vous leur donniez de quoi subsister, à quoi cela sert-il ? La foi, sans les œuvres, est une foi qui est morte. » (Jacques 2, 14)
Les « invisibles » nous ont montré le chemin, tous ceux qui étaient en première ligne, souvent mal payés, en précarité, souvent des femmes, à temps partiel, travaillant dans les services à la personne, le commerce, la propreté. « En décembre 2019, quand je manifestais, je recevais des gaz lacrymogènes, aujourd’hui je fais partie des héros », disait une infirmière. Pour nos dirigeants, mais aussi pour chacun de nous, il faudrait qu’au sortir de cette crise, les actes suivent les belles résolutions. Il nous faudra inventer une autre manière de vivre, plus sobre, plus généreuse, moins égoïste, peut-être aussi moins triste, plus joyeuse.
Au sortir de cette crise, la misère va encore augmenter dans notre pays, en particulier dans les cités HLM, parmi les étudiants pauvres, dans la rue, mais aussi dans le monde. N’oublions pas que, selon l’Organisation Internationale du Travail, 25 millions de travailleurs dans le monde risquent de perdre leur emploi du fait de cette épidémie. À chacun de trouver une manière de faire œuvre de solidarité et de fraternité.
Illustration : https://www.secourspopulaire.fr/confinement-faim-tsunami-urgence-repas-alimentaire