Ces extraits et compilation par Annie Grazon de deux textes de Tomás Halik [1], [2] sont proposés aux débats de la réunion de juin du groupe NSAE-Cher.

Tomás Halik est un grand intellectuel tchèque, professeur de sociologie à l’université de Prague, né en 1948, ordonné prêtre clandestinement durant le régime communiste.
Au journaliste de La Croix [1] il dit « chaque année depuis 20 ans, je passe un mois en forêt, dans une solitude totale : je n’ai pas accès aux médias ni à Internet, je ne fais que méditer, étudier et écrire. Sans ce silence, je n’aurais pas survécu physiquement, mentalement et surtout spirituellement. »
La foi et le doute sont comme frère et sœur. La foi sans pensée critique peut conduire au fanatisme et à l’intolérance. Même l’athéisme critique (je ne parle pas de l’athéisme dogmatique qui est en fait une pseudo-religion) peut être une servante de la théologie. Il peut aider à purifier notre pensée de Dieu de l’idolâtrie, des projections de nos peurs et de nos désirs. Nous avons besoin de cette dialectique entre foi et doute. Non pas tant des doutes sur Dieu que des doutes envers notre concept de Dieu sur qui nous projetons beaucoup d’attentes. Le théologien Karl Rahner a rappelé que, fort heureusement, Dieu tel que 60 à 80 % des gens l’imaginent n’existe pas.
Les athées soutiennent à juste titre qu’un tel Dieu, infligeant à ses enfants des châtiments cruels, n’est qu’une projection de nos peurs et de nos désirs.
Je ne vois pas Dieu comme un metteur en scène de mauvaise humeur, assis confortablement dans les coulisses des évènements. Je le vois plutôt comme une source de force, opérant chez ceux qui font montre de solidarité et d’amour désintéressé dans des situations difficiles, y compris ceux qui n’ont pas de motivation religieuse pour leur action. Dieu est amour humble et discret.
Je ne peux m’empêcher de me demander si le temps des églises vides et fermées n’est pas une sorte de vision nous mettant en garde contre ce qui pourrait se passer dans un avenir assez proche : c’est à cela que pourrait ressembler dans quelques années une grande partie de notre monde. Un chapitre de l’histoire du christianisme arrive à son terme, et il est temps de se préparer pour un nouveau.
Beaucoup de nos églises ont été vides à Pâques cette année, mais nous avons pu lire chez nous les passages de l’Évangile sur le tombeau vide. Si le vide des églises évoque le tombeau vide, n’ignorons pas la voix d’en haut « il n’est pas ici, il est ressuscité. Il vous précède en Galilée ».
Où se trouve la Galilée d’aujourd’hui, où nous pouvons rencontrer le Christ vivant ?
Dans le monde, le nombre de chercheurs augmente à mesure que le nombre de « résidents » (ceux qui s’identifient avec la forme traditionnelle de la religion et ceux qui affirment un athéisme dogmatique) diminue. En outre, il y a bien sûr un nombre croissant d’apathiques, des gens qui se moquent des questions de religion ou de la réponse traditionnelle qu’on leur donne. La principale ligne de démarcation n’est plus entre ceux qui se considèrent croyants et ceux qui se disent non croyants. Il existe des chercheurs parmi les croyants, ceux pour qui la foi n’est pas un héritage, mais un chemin, comme parmi les non-croyants, qui, tout en rejetant les principes religieux proposés par leur entourage, ont cependant un désir ardent de quelque chose pour satisfaire leur soif de sens. Là est la Galilée d’aujourd’hui.
Nous devons apprendre à élargir les limites de notre compréhension de l’Église.
L’Église devrait être un « hôpital de campagne » dixit le pape François.
Par cette métaphore le pape veut dire que l’Église ne doit pas rester dans un splendide isolement, mais doit se libérer de ses frontières et apporter de l’aide là où les gens sont physiquement, mentalement, socialement et spirituellement affligés. Oui, c’est comme cela que l’Église peut se repentir des blessures infligées tout récemment par ses représentants aux plus faibles.
Si l’Église doit être un hôpital, elle doit bien sûr offrir des services sanitaires, sociaux et caritatifs qu’elle a offerts depuis l’aube de son histoire. Mais en tant que bon hôpital, elle doit aussi remplir d’autres tâches. Elle a un rôle de diagnostic à jouer, en identifiant les signes des temps. Un rôle de prévention, en créant un système immunitaire dans une société où sévissent les virus malins de la peur, de la haine, du populisme et du nationalisme.
Il y a beaucoup d’idéologies très dangereuses aujourd’hui, et nous avons besoin d’un système immunitaire. La crise de la mondialisation de la dernière décennie a fait émerger des nationalistes et des démagogues, de dangereux populistes des deux côtés de l’Atlantique. Je crains que les conséquences économiques et sociales de la pandémie influencent la scène politique internationale.
Les Églises, les universités doivent être un antivirus contre ces maladies.
L’Église ne peut se contenter de son ministère pastoral classique en paroisse, et des formes traditionnelles de son activité missionnaire.
Elle doit, à mon avis, en particulier dans une société pluraliste sécularisée étendre et approfondir radicalement ce que les aumôniers font déjà dans les hôpitaux, les prisons, l’éducation, c’est-à-dire être là pour tous et pas uniquement pour les croyants.
Offrir à tous un accompagnement spirituel, sans prosélytisme, arrogance cléricale ou paternaliste, dans un dialogue et un partenariat réel, sans se placer uniquement dans une position enseignante, mais en se laissant enseigner aussi par les autres. Pour moi, c’est le modèle de l’Église à venir. Si elle veut rester Église, et non se replier sur elle-même comme une secte, elle doit subir un changement radical de sa perception d’elle-même et de son ministère dans ce monde.
Pour moi, la nouvelle évangélisation consiste à prendre au sérieux la culture contemporaine et à regarder les points d’échange réel avec elle. De développer notamment une culture de la contemplation, qui ne soit pas déconnectée de l’action : les gens en ont soif et quand ils ne la trouvent pas dans l’Église catholique, ils vont la chercher ailleurs, dans les religions orientales par exemple. Peut-être que la découverte de la contemplation pourrait aider à compléter la voie synodale vers un nouveau concile réformateur.
Notes :
[1] https://www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/Tomas-Halik-LEglise-doit-etre-tous-pas-uniquement-croyants-2020-06-01-1201096905
[2] https://nsae.fr/2020/05/05/les-eglises-fermees-un-signe-de-dieu/