Des prêtres et des paroisses diffusent la lettre de Viganò à Trump
Par Christopher White
Lorsque l’épouse de Steven Rafferty, Kathy, a vu la récente lettre de l’archevêque Carlo Maria Viganò à Donald Trump publiée sur la page Facebook officielle de leur paroisse, elle a laissé un commentaire mettant en doute la probité de l’expéditeur et du destinataire de la lettre.
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La lettre a été rapidement supprimée, mais ce fut un point de rupture pour les Raffertys, paroissiens de l’Immaculée Conception à Cottonwood, dans l’Arizona.
Dans cette lettre, envoyée le 6 juin, Viganó, l’ancien nonce du pape aux États-Unis, affirmait que Trump et lui étaient unis dans une bataille cosmique entre les forces du bien et du mal.
Pour les Raffertys, voir leur paroisse diffuser l’écrit d’un archevêque italien qui avait auparavant appelé à la démission du pape François, les a laissés « peu enclins à participer à une paroisse qui promeut ce genre de choses », a déclaré Steven Rafferty au National Catholic Reporter (NCR).
« Je suis généralement assez calme », a-t-il déclaré. « C’est la première fois que je prends position. L’affaire Viganò est tout simplement incroyable et hors de contrôle. »
Rafferty souligne que si lui-même s’efforce de rester informé des nouvelles de l’Église, de nombreux autres paroissiens comptent sur ce qui leur vient de leur paroisse pour se faire une idée de la vie de l’Église à la fois au niveau local et mondial. Viganò « ne mérite pas notre engagement », a déclaré Rafferty. « Il mine l’autorité de l’église et du pape, et cela me dérange beaucoup. »
L’histoire de Rafferty n’est pas un cas unique. À travers le pays, des prêtres ont utilisé leurs homélies, leurs bulletins et moyens de communication paroissiaux pour faire de la publicité à Viganò, qui depuis sa publication d’un manifeste de 11 pages contre François en août 2018 est considéré par de nombreux catholiques de droite comme menant la résistance à la papauté de François.
Lorsque, le 10 juin, Trump a tweeté la lettre de Viganò (initialement publiée sur le site de droite LifeSiteNews) à ses 82 millions d’adeptes, ainsi que ses éloges de l’archevêque, il a contribué à augmenter considérablement sa portée, ainsi que celle de la figure de Viganò.
Alors que de nombreux catholiques traditionnels avaient rejeté l’ancien diplomate du Vatican, qui a écrit sur les théories du complot maçonnique et alimenté les soupçons de l’« État profond », certains observateurs catholiques s’inquiètent d’un effet normalisateur lorsque les prêtres dans les paroisses font l’éloge d’individus radicalisés comme Viganò auprès de paroissiens ordinaires qui ne sont pas au fait de ce qui se joue dans l’Église
Dans de nombreux cas, les prêtres en question utilisent leurs homélies et leurs ressources paroissiales pour promouvoir une fusion de la théologie traditionaliste et des thèmes de discussion politiques conservateurs. Dans les semaines qui ont suivi l’attaque de Viganò contre François en 2018, de nombreuses conférences épiscopales du monde entier ont publié des déclarations dénonçant spécifiquement l’ancien nonce. Ce que la Conférence des évêques catholiques des États-Unis n’a pas fait.
En fait, plus de deux douzaines d’évêques américains – dont l’évêque Thomas Olmsted de Phoenix, l’évêque Thomas Paprocki de Springfield, dans l’Illinois, et l’évêque aujourd’hui décédé Robert Morlino de Madison, dans le Wisconsin – ont émis à l’époque des déclarations de soutien à Viganò, ce qui n’a fait que légitimer et amplifier ses efforts continus et ceux des prêtres qui transmettent désormais de telles perspectives à leurs ouailles.
Cathleen Kaveny, professeur de droit et de théologie au Boston College, a déclaré à NCR que l’effet voulu de la récente lettre de Viganò à Trump est de continuer, dans une langue différente, les guerres culturelles, comme en témoigne son utilisation du langage apocalyptique.
« Le point à retenir pour les fidèles, c’est que Trump est opposé à l’avortement et que vous devez donc voter républicain », a déclaré Kaveny à propos de ceux qui diffusent la lettre. « Je ne pense pas que quiconque s’attende vraiment à l’apocalypse. Je pense simplement qu’ils essaient simplement d’amener les gens à voter pour Trump contre [le candidat démocrate présumé Joe] Biden. »
Selon Massimo Faggioli, historien de l’Église à l’Université de Villanova, certains dirigeants ecclésiaux se comportent en faisant l’hypothèse que « les fidèles catholiques sont protégés des calomnies et des théories complotistes grâce à une sorte d’immunité du troupeau ecclésial », et par conséquent, beaucoup choisissent de balayer Viganò comme hors champ
« La réalité, c’est que seul un petit pourcentage de catholiques a été immunisé en lisant des
textes sur Viganò depuis sa période déjà très mouvementée au Vatican, puis de nonce aux États-Unis, et enfin quand il est devenu infréquentable en août 2018 », a déclaré Faggioli à NCR.
Exemple : les homélies récentes et les bulletins publiés en ligne par le P. Ronald Antinarelli, pasteur de Notre-Dame de la Victoire à Rochester, New York, où il déplore ce qu’il décrit comme le manque de courage des évêques désireux de tenir tête aux autorités laïques. Pourtant, pour lui, il y a une exception louable : Viganò.
« Le prélat n’est pas en accord avec la racaille actuelle au Vatican et vit depuis longtemps dans la clandestinité, craignant pour sa propre vie », a-t-il écrit sur la page d’accueil du site Web de la paroisse le 8 juin, accompagné d’un lien vers la lettre. « Je vous exhorte à la lire et à en envoyer des copies à toutes les personnes que vous connaissez. Rappelez-vous ceci : les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre lui. »
Antinarelli n’a pas répondu à la demande de commentaires de NCR ; cependant, un porte-parole de l’évêque de Rochester Salvatore Matano a publié une déclaration disant que le prêtre n’a pas agi avec la permission de son évêque.
« Le père Antinarelli a agi de manière indépendante et sans consulter son évêque », a écrit le porte-parole dans un e-mail à NCR. « En ces temps très troublés, nous nous unissons à notre Saint-Père, le Pape François, Vicaire du Christ et Berger suprême, et le soutenons en priant pour la paix et l’unité tout en exprimant notre profonde gratitude à Sa Sainteté pour son service à tous. »
Le billet d’Antinarelli du 8 juin a depuis disparu de la page d’accueil de Notre-Dame de la Victoire.
Le Père Richard Heilman, aumônier de The Knights of Columbus [Les Chevaliers de Christophe Colomb], dans l’État du Wisconsin, utilise souvent son « blog pédagogique » RomanCatholicMan.com, pour connecter les derniers événements politiques et ecclésiaux. Le 6 juin, il a publié une copie de la lettre, qui aurait été envoyée par le traducteur de Viganò.
« Cette lettre est essetielle, car elle se réfère à ” l’ennemi invisible ” qui contrôle une minorité qui a assiégé notre pays – je ne pourrais pas être plus d’accord !! », a écrit Heilman.
Heilman est pasteur de St. Mary of Pine Bluff, la paroisse même où l’on répertorie le prêtre traditionaliste populaire blogueur, John Zuhlsdorf.
L’évêque Donald Hying de Madison, dans le Wisconsin, n’a pas répondu à la demande de commentaires de NCR, et Heilman a refusé une interview.
À Tallulah, en Louisiane, le père Ryan Humphries, curé de Saint-Édouard le Confesseur, a également rejoint le chœur des pasteurs utilisant les médias sociaux pour louer l’archevêque.
« La revendication de Viganó d’une Église des profondeurs est tout à fait réelle », a-t-il écrit sur Twitter le 9 juin. « C’est sûr, il y a une grande raison d’espérer : L’Église a prospéré malgré la séduction de Judas par Satan et elle prospérera à nouveau malgré les erreurs de notre temps. »
À l’église catholique St. Joseph the Worker de Tyler au Texas, le P. Joseph Valentine a inclus la lettre de Viganò dans le bulletin paroissial du 14 juin, ainsi qu’un passage d’une interview d’un témoin de l’apparition mariale de Fatima avertissant que l’église américaine et ses évêques seront vaincus par le communisme.
À certains égards, Valentine ne fait que suivre l’exemple de son propre évêque, Joseph Strickland, qui, à la suite de la lettre initiale de Viganò contre François en 2018, a publié sa propre lettre moins de 24 heures après la publication de l’attaque. Strickland a déclaré avoir trouvé Viganò crédible et a demandé à ses prêtres de lire sa lettre dans toutes les messes du dimanche de la même semaine d’août 2018.
Le Père Bob Bonnot, pasteur à la retraite et directeur exécutif de l’Association des prêtres catholiques américains, a déclaré à NCR que de tels efforts ne servent qu’à alimenter les divisions entre les catholiques.
« Peu de gens auraient une idée de qui est Viganò, et à part leur propre évêque et peut-être un ou deux autres évêques ou cardinaux éminents, ils ne pourraient vous en dire beaucoup sur la hiérarchie de l’Église », a déclaré Bonnot.
Cependant, Bonnot a averti que si les paroissiens respectent leur pasteur et lui font confiance, ils sont susceptibles de prêter attention à ce qu’il dit et aux individus ou aux causes qu’il promeut.
Faggioli a déclaré à NCR que la plupart des catholiques sont sensibles à des propos tels que ceux de Viganò lorsqu’ils reçoivent l’approbation d’un curé local ou via certains types de médias catholiques. Il a dit qu’il comprenait la réticence de la conférence épiscopale américaine à s’exprimer collectivement contre Viganò « pour éviter le danger de lui donner de l’importance par une sanction officielle, un martyre volontaire que Viganò et ses facilitateurs aimeraient certainement. »
« D’un autre côté », a déclaré Faggioli, « lorsque les pasteurs sont silencieux vis-à-vis des soutiens informels qu’il reçoit dans les cercles catholiques et dans les médias catholiques, je pense que c’est un échec dans l’attention pastorale – ou pire, de la complicité dans le scandale qu’il a créé depuis 2018. »
Source : https://www.ncronline.org/news/parish/priests-parishes-share-vigan-s-letter-trump
Traduction : Lucienne Gouguenheim