Par Régine et Guy Ringwald
Nous avions relaté ici le combat des religieuses du Kerala pour défendre l’une d’entre elles, victime de viols de la part de l’évêque Franco Mulakkal. Celui-ci continue ses manœuvres dilatoires pour empêcher le procès, mais son recours a été encore une fois rejeté. Il devrait comparaître le 1er juillet. Nous avions aussi suivi et soutenu la sœur Lucy, victime d’ostracisme et exclue de sa congrégation pour avoir pris le parti de la victime. NSAE a publié deux communiqués de presse [1] en France et en Inde, envoyé des messages de soutien très appréciés là-bas, et attiré l’attention du Cardinal Oswaldo Gracias et du Pape François. Aujourd’hui, l’horreur monte d’un cran pour autant qu’il y ait des degrés dans l’horreur.

Divya P. John avait 21 ans, elle était novice au couvent Basilien de Thiruvalla, au Kerala. Le 7 mai, on a retrouvé son corps, à demi dénudé, dans le puits du couvent : « mort naturelle ». Les rapports de police et d’autopsie ne signalent aucune trace de lutte ou d’agression : suicide ou accident ?
Jessy Kurian refuse de croire la théorie de la « mort naturelle » dans le cas de Diviya, selon ce qu’affirme l’Église. D’ailleurs, le directeur général adjoint de la police criminelle du Kerala a rejeté l’hypothèse du suicide, et demandé un supplément d’enquête.
Elle pose des questions :
- que signifie « mort naturelle » dans ce cas ?
- s’il s’agit d’un suicide, qui sont les complices, les responsables ?
- si elle a glissé dans le puits, les autorités du couvent n’ont-elles pas une responsabilité pour n’avoir pas assuré la sécurité des personnes ?
- est-il ou non normal d’être à moitié nue ?
- pourquoi le corps n’a-t-il pas été transporté à l’hôpital public voisin, mais à l’hôpital géré par la congrégation ?
Or ce qui est arrivé à Divya n’est pas un cas isolé. Depuis 1987, une vingtaine de religieuses indiennes ont connu un sort funeste. Le plus souvent, cela se termine dans un puits. En 1992, la sœur Abhaya a été trouvée morte dans le puits du couvent Saint Pie X, à Kottayam. Selon le rapport de la police judiciaire, elle avait été témoin d’une situation compromettante de deux prêtres avec une religieuse. En septembre 2015, Sr. Amala (69 ans) a été trouvée morte dans sa chambre, le corps lacéré. En décembre de la même année, une religieuse identifiée comme étant Stella Maria a été retrouvée dans le puits du couvent du Sacré-Cœur, à Uluppini. En septembre 2018, une sœur enseignante de 54 ans, Susan Matthew a subi le même sort.
Jessy Kurian n’est pas n’importe qui : elle est à la fois religieuse et avocate, elle siège à la Cour Suprême de l’Inde. Un profil pour le moins inhabituel qui trouve son origine dans son engagement militant pour l’éducation et la défense des minorités, et des femmes. Elle dénonce la structure patriarcale de la société indienne qui maintient les femmes dans une condition qu’elle qualifie de honte internationale. « Nos hommes ont développé une mentalité supérieure, et les femmes ont une mentalité de soumission et d’infériorité… même la religion ne fait pas exception ». Pour changer cette situation, son diagnostic est exprimé gentiment (elle est dans les institutions), mais il est lourd : « la religion, la société, la famille et le gouvernement doivent se donner la main » : manière de dire que l’état de fait qu’elle condamne est solidement ancré dans les mentalités, et que toutes les institutions en sont responsables.
Dans un cas comme celui qui nous occupe, aucune autorité ne bouge : les rapports de police ne voient rien d’autre qu’une « mort naturelle », l’Église se tait, les autorités du couvent se taisent. Quant aux familles, elles se taisent aussi, craignant qu’on leur refuse le baptême, le mariage, les funérailles, l’éducation des enfants. On a même institué la croyance selon laquelle, si elles disent quelque chose contre l’Église, leur famille sera ruinée. Quant aux gouvernements successifs du Kerala, ils ne portent pas en justice les cas de religieuses victimes, ils sont influencés par le pouvoir de l’argent et on sait les faire taire. Pourtant, dans le cas de Divya, le directeur général adjoint de la police criminelle du Kerala a rejeté l’hypothèse du suicide et demandé un supplément d’enquête, et son père a interdit les visites des membres du couvent à la maison où le corps a été déposé. Selon la famille, Divya était une jeune fille joyeuse qui avait rejoint le couvent de sa propre initiative.
Par une lettre du 18 juin, 43 jours après la fin tragique de Divya, le collectif « Sisters In Solidarity » a saisi la Conférence Indienne des Religieux et religieuses pour réclamer une enquête indépendante. La lettre a été contresignée par 95 religieuses et prêtres catholiques. Rappelant la vingtaine de décès anormaux de religieuses, le texte interroge : « Pourquoi de tels décès se produisent-ils ? C’est une question que la CRI devrait aborder en toute objectivité ». Copie a été envoyée aux autorités, et notamment au cardinal George Alencherry [2], président du Conseil des évêques catholiques du Kerala. Elles ont aussi écrit au cardinal Cleemis, archevêque de l’Église syro-malankare.
Dans un article publié par le site Kochipost, Valson Thampu s’interroge : « Pourquoi les religieuses meurent-elles si mystérieusement ? » Valson Thampu est un théologien connu, ancien principal de collège, qui fut l’objet de contestation de la part des milieux conservateurs. Il se livre à une analyse sévère de l’attitude de l’Église catholique sur le mariage, le célibat. Il accuse la structure patriarcale de l’institution qui remonte à la période romaine où le « pater familias » avait droit de vie et de mort sur la maisonnée.
La sœur Shalini Mulackal, théologienne, analyse la situation de soumission des religieuses en Inde. Elle parle de la manière dont l’Église légitime une culture d’obéissance et de soumission. « La hiérarchie de l’Église exerce souvent un contrôle sur les femmes consacrées, invoquant directement ou indirectement le vœu d’obéissance. Les femmes ne sont pas en position de résister parce que leur vie dépend beaucoup de la vie sacramentelle de l’Église qui est totalement entre les mains du clergé ordonné. Il n’est pas exceptionnel que des prêtres refusent de célébrer l’eucharistie au couvent si les sœurs n’obéissent pas aux ordres… ». Elle fait remarquer qu’en Inde, les religieuses ne constituent pas un groupe homogène. En particulier, cela dépend si elles appartiennent à une congrégation internationale ou strictement locale. Celles-ci sont sous le contrôle de l’Église patriarcale, tandis que dans les congrégations internationales, elles montrent plus d’esprit critique, et évoluent davantage dans leurs attitudes et leur mode de gouvernance.
Les agressions sexuelles et les viols ne sont pas un phénomène nouveau, mais la plainte qui a entrainé les poursuites contre l’évêque Mulakkal était bien une première. L’affreuse manière de se débarrasser des religieuses dans les puits des couvents n’est pas nouvelle. La réaction dont nous faisons ici l’écho est encore un signe que l’insupportable ne passe plus inaperçu.
Notes :
[1] https://nsae.fr/wp-content/images/Soutien-a%CC%80-la-religieuse-indienne-Lucy-Kalappura.pdf
https://nsae.fr/wp-content/images/Soutien-aux-religieuses-indiennes-victimes-de-mauvais-traitements-.pdf
[2] Il est lui-même impliqué dans des opérations suspectes d’achat et de vente de terrains.
Voilà bien quelque chose dont en n’entend jamais parler dans la presse !!! Invraisemblable de se débarrasser de corps dénudés dans un puits ….et de recommencer avec les mêmes procédures ? Après les religieuses qui servent de bonniches aux prélats du Vatican, jusqu’où va-t-on aller ???