Nous n’irons plus à la messe…
Par Jean-Luc Lecat
Omniprésence (et omni rigidité !) de la messe dans le monde catholique…
Aller à la messe chaque semaine était une obligation sous peine de péché grave. Et aller à la messe reste un marqueur du catholicisme. Les cathos, les « tala » comme on disait à la fac, ce sont ceux qui vont à la messe… ceux qu’on appelle les pratiquants, on dira aussi les messalisants…de moins en moins nombreux en France et en Europe.
Les occasions de messe sont multiples, même si le déroulement de la messe est quasiment immuable, figé dans des codes très stricts où l’improvisation et la spontanéité de la vie n’ont quasiment aucune place. On peut faire des ajouts certes, adapter aux situations variées, mais le cadre et les mots restent toujours les mêmes.
Voici une énumération possible, non exhaustive bien sûr, des messes dédiées, énumération qui fait apparaître le rite de la messe comme unique schéma global, proposé pour faire face à la multiplicité des événements de la vie : messe dominicale, messe de mariage, messe d’enterrement, Noël et ses trois messes, messe des moissons, messe des vendanges, messes des couronnements ou messes des victoires… sans oublier le célèbre « Paris vaut bien une messe »…
La messe c’est comme le passe-partout de la société catholique… rien de sérieux ne peut se faire sans la messe qui accompagne tout : la naissance, la vie, l’amour, la mort, la vie privée et aussi très souvent la vie publique. On payait pour faire dire des messes pour ses défunts, pour une personne aimée, ou pour demander guérison, réussite, ou solution d’un problème… À noter que ces messes étaient une vraie manne pour les prêtres : la subsistance du clergé était en partie assurée par toutes ces messes que l’on faisait dire aux prêtres qui étaient rétribués par des « offrandes » tarifées.
Vous me direz que tout cela n’est plus guère d’actualité, qu’on va de moins en moins à la messe ! et c’est parfaitement vrai !
Mais quand on parle des cathos on parle toujours de leur messe, et quand il s’agit d’un grand événement de la vie malgré tout, on voudrait bien une messe… que ce soit pour un mariage ou des funérailles, mais aussi pour marquer une commémoration ou fêter un anniversaire…
Et pourtant ce besoin de messe n’est-il pas piégé ? … et terriblement loin de la foi en Christ ?… N’est-ce pas avant tout vécu par les demandeurs comme une festivité bien organisée, capable de pompe et de solennité, adaptable à une situation particulière par des mots bien choisis et, de surcroît, un petit air de mystère un peu magique ? Mais n’est-ce pas la caricature d’une rencontre de style évangélique et de vie partagée ?
Dans ces messes, et dans toutes les messes, on accomplit un rite très organisé et intangible : on commence par nous faire reconnaitre qu’on est mauvais et qu’il faut demander pitié ; puis on écoute deux ou trois textes de la Bible qui veulent nous dire quelque chose de Dieu et de Jésus : ils ont pour but d’être notre nourriture pour la semaine ou dans la circonstance fêtée. Vient ensuite l’écoute, sans pouvoir répondre, du commentaire d’un prêtre (un des moments le moins formaté, mais passé au crible à la sortie !). Le célébrant reprend ensuite les gestes et paroles de Jésus à son dernier repas. Nous sommes alors invités à recevoir le pain, corps de Jésus… si toutefois nous sommes conformes aux normes ! Et ainsi, prétendument fortifiés par tout ce rite, nous voici renvoyés dans le monde de tous les jours… « ite missa est » « allez! La messe est dite ».
Dans ce rite de la messe, où est la rencontre ? Où est le partage ? Où est ce moment revigorant, riche de vie et d’échanges, qui pourrait faire penser à un heureux moment vécu ensemble ?
Je souhaiterais tellement qu’on ne parle plus de messe qui, dans nos têtes et dans celle de nos contemporains, représente un truc tout fait, le domaine et l’affaire des curés ! Nous n’irons plus à la messe… Avons-nous encore envie de vivre un rite répétitif, de faire des gestes et de redire de mots prévus d’avance et toujours les mêmes ? Si nous disions plutôt : nous avons rendez-vous, nous allons « à la rencontre » ? Nous allons préparer « la rencontre » de dimanche prochain, nous partons rejoindre « notre rencontre dominicale », nous allons rencontrer ce couple qui se marie, cette famille dans le deuil, ces jeunes qui vont fêter la vie… N’est-ce pas jouer sur les mots direz-vous ? Bête question de vocabulaire ou changement d’esprit ?
Il y a une rencontre à vivre, nous allons retrouver des amis, nous venons écouter et réagir sur la parole de Jésus, sur celle de femmes et d’hommes de Dieu qui l’ont précédé, sur celle d’amis qui l’ont choisi comme maître de vie, nous allons essayer de comprendre ensemble, nous allons vivre des silences, des moments d’admiration, nous allons fractionner le pain et boire le vin comme Jésus l’a fait autrefois avec ses amis…. et ensemble nous partagerons, autant que le temps nous le permettra, joies, peines, soucis, interrogations, projets et passions, espérance et découragements… nos vies, quoi !
Je crois qu’il nous faut complètement reconsidérer ce temps de rencontre entre nous et avec tous ceux qui auraient envie de nous rejoindre. Il me semble indispensable de casser le rite, si souvent figé de ce que nous appelons « la messe ». Nous avons à retrouver la vie et à inventer notre façon de nous rencontrer, de nous nourrir de Jésus et de sa parole, de nous fortifier ensemble du Christ. Prenons le risque de vivre un réel temps de partage autour de ce qui est le cœur de notre foi pour que cette foi devienne vivante au cœur de nos vies.
Faisons un rêve ! Et si cette rencontre, au rythme à définir, devenait un vrai repas de fête ? Un vrai rendez-vous entre êtres de chair et de sang, lourds de leur humanité, un moment nourrissant, réjouissant, ragaillardissant. Au plein cœur de nos vies !
Illustration : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Messe_de_No%C3%ABl_%C3%A0_Saint-Julien-du-Sault.jpg