Les semences paysannes enfin autorisées à la vente aux particuliers
Par Pierre Ropert
Une loi publiée en juin permet enfin aux agriculteurs de vendre leurs semences paysannes, qui ne sont pas des hybrides, aux particuliers. Un combat que mène l’association Kokopelli depuis des années. Mais est-ce suffisant ?
La loi est enfin passée au journal officiel, le 11 juin dernier, après plusieurs années de lutte : la vente de semences paysannes, c’est-à-dire des graines prélevées directement dans la récolte d’un agriculteur, est autorisée… mais uniquement pour les particuliers. Déjà votée en 2016 dans le cadre de la loi pour la reconquête de la biodiversité, elle avait été censurée dans la foulée par le Conseil constitutionnel parce qu’elle n’autorisait alors que les associations à procéder à ces ventes.
Une vente interdite depuis les années 30
Depuis 1932, le Catalogue officiel des espèces et variétés végétales liste toutes les variétés de semences autorisées à la vente, qui doivent répondre à des critères (stabilité, homogénéité, performance, résistance, etc.) pensés pour l’agriculture conventionnelle. Résultat : la majeure partie des semences employées par les agriculteurs sont créées par des multinationales agrochimiques, qui déposent des brevets pour s’assurer que ces dernières restent dans leur giron.
Les semences desquelles est issu l’essentiel des fruits et légumes consommés sont ainsi des semences dites hybrides F1. Elles sont obtenues grâce à une sélection génétique poussée, pour un résultat plus propice à une consommation à grande échelle. Les fruits et légumes deviennent ainsi visuellement plus conformes à l’image que l’on s’en fait, mais aussi plus robustes pour le transport ou plus résistants lors de leur croissance.
Résultat, des plantes avec un rendement censément supérieur, mais qui baisse rapidement si leur semence est replantée. Ainsi la seconde génération de plantes hybrides voit son rendement diminuer d’environ 20 %, ce qui contraint les agriculteurs à racheter des semences d’hybrides F1 aux multinationales propriétaires telles Monsanto, Syngenta ou encore Dupont-Pioneer. Un système qui a complètement bouleversé des millénaires d’agriculture paysanne.
Une atteinte à la biodiversité
Si ce système a permis d’obtenir des fruits et légumes plus adaptés à une consommation de masse, le passage à l’agriculture industrielle a contribué à une raréfaction de la biodiversité : les espèces considérées comme non réglementaires, c’est-à-dire les semences paysannes qui sont plus instables et évoluent, ont peu à peu disparu au profit des semences jugées plus rentables.
« Un exemple assez flagrant, c’est la carotte de Guérande. C’est vraiment une carotte qui est endémique et qu’on avait perdue. On l’a ramenée des États-Unis, où elle était encore préservée », témoignait ainsi Ananda Guillet, directeur de l’association Kokopelli, qui se bat pour la promotion des semences libres, en septembre 2014 dans un documentaire de l’émission Sur les Docks :
Kokopelli a été créé le 28 avril 1999, en Ardèche, pour répondre à cette demande de préserver des anciennes variétés face aux multinationales et à l’uniformisation de l’agriculture. En quinze ans, nous sommes passés de quelques centaines d’adhérents au tout début à 8 500 adhérents, à peu près [NDLR, Kokopelli en comptait plus de 12 000 en 2016]. Ça a pris assez rapidement de l’ampleur : au début, nous étions quasiment les seuls à vraiment partir en chasse des anciennes variétés et en lutte contre les multinationales. Nous avons été très rapidement connus pour ce combat-là.
L’association Kokopelli promeut depuis des années la nécessité de conserver et de diffuser les semences paysannes qui ne sont pas le fruit de l’hybridation. Mais l’achat de semences non référencées dans le Catalogue officiel des espèces et variétés végétales est à la limite de la légalité :
Beaucoup de maraîchers ne travaillent pas avec nous parce qu’ils ont peur, justement, de se placer dans l’illégalité. Mais en fait, la législation s’applique sur la commercialisation de semences et de plants, et non de légumes même. Ça veut dire que nous, nous n’avons pas le droit de vendre [le produit de la récolte]. Par contre, un maraîcher a le droit de nous acheter des semences pour produire lui-même ses légumes. En revanche, il n’a pas le droit de produire de la semence et de commercialiser cette semence. […] Nous, ce qu’on conseille a tout le monde, c’est « Ne demandez plus à votre maraîcher s’il fait des plants bio. Demandez-lui si ce sont des hybrides F1 ou d’anciennes variétés »… Ou du moins des variétés libres parce qu’on emploie le terme anciennes variétés, alors que le vrai terme, c’est « variétés libres est reproductibles ».
Le directeur de l’association alertait d’ailleurs au passage sur le fait que, contrairement à une idée largement répandue, les produits bio de consommation courantes sont eux aussi le résultat de plants hybrides :
En France, en bio, 95 % des fruits et légumes que l’on consomme sont des hybrides F1. Prenons le cas des melons, par exemple : les melons, 50 % des semences de melons sont produites par Monsanto. Ça signifie que quand on achète un melon bio – sans citer de marque -, dans n’importe quel magasin bio, on a une chance sur deux d’acheter un melon qui vient de chez Monsanto. Les gens n’ont pas du tout envie d’entendre que ce qu’ils mangent dans leur magasin bio, c’est à 95% issu de la grande distribution et des mêmes multinationales contre lesquelles on croit lutter en mangeant bio. Je ne dis pas qu’il ne faut pas manger bio. Je dis qu’il faut changer totalement les méthodes de production.
Et après ?
Dans les faits, la loi parue au journal officiel début juin ne vient donc, en réalité, que donner une dimension légale à des pratiques qui existaient déjà. « Ces échanges ou ventes […] sont limités à des utilisateurs non professionnels qui ne feront pas une exploitation commerciale de la variété », précise la Direction de l’information légale et administrative. Si les paysans peuvent vendre leurs semences à des particuliers, il leur est cependant toujours interdit de les vendre à d’autres agriculteurs.
Et si la vente à des particuliers est légale en France, il reste encore à faire accepter cette décision au sein de l’Union européenne : le 23 juin dernier, la Commission européenne s’est en effet opposée à cette mesure, estimant que la commercialisation des semences doit être soumise aux directives européennes.
À l’occasion de la promulgation de la loi en France, Barbara Pompili, devenue depuis la ministre de la Transition écologique, estimait alors que la « prochaine bataille a mener à l’échelle de l’UE [était d’]autoriser la commercialisation des semences paysannes en agriculture conventionnelle ».