Par Robert Ageneau

Il y a un peu plus de quarante ans, dans la nuit du 28 septembre 1978, Albino Luciani, chef de l’Église catholique, élu sous le nom de Jean-Paul Ier, s’éteignait après trente-trois jours seulement de pontificat. Un événement qui provoqua alors la stupeur. Pour expliquer cette mort subite, plusieurs causes furent avancées par les services du Vatican, comme l’existence de problèmes cardiaques ou un surmenage déjà évoqué, suite aux soucis de ce début de règne. Mais, très vite fut avancée, de différents côtés, l’hypothèse d’une mort provoquée, notamment par empoisonnement. Une hypothèse répercutée par les médias de l’époque, en particulier par le quotidien Libération.
Dès son élection, cet ancien archevêque et patriarche de Venise, à l’instar de l’un de ses prédécesseurs, Angelo Giuseppe Roncalli, devenu Jean XXIII, avait donné des signes de changement. Il avait montré sa volonté de réactiver la réforme de l’Église après le pontificat de Paul VI. Ce dernier avait en effet laissé la curie romaine reprendre du poil de la bête et avait mis en mode de freinage les dynamiques d’ouverture du Concile Vatican II. Le nouveau pape demandait aussi une enquête sur la Banque du Vatican. Il parlait de la simplicité et de l’humilité comme des vertus de base pour la vie d’un pape, et souhaitait en humaniser la fonction. Des noms furent avancés comme responsables ou du moins comme personnellement informés de l’éventuel assassinat, tous responsables de l’administration vaticane.
Dans les années 1980, plusieurs ouvrages ont développé l’hypothèse de l’assassinat, mais ils furent classés par l’opinion dominante comme relevant de théories complotistes. Les différentes données disponibles sur internet rendent compte de l’obscurité, de l’affolement et de la confusion qui entourèrent cette mort. Dès cette période, des voix s’élevèrent pour demander que la dépouille de Jean-Paul Ier soit soumise à une autopsie. Mais il fut répondu que son corps avait été déjà embaumé (douze heures après, en fait) et qu’une autopsie était devenue impossible. Aujourd’hui, après quatre décennies, du Brésil à la France, de l’Italie aux États-Unis, des catholiques, pratiquants ou non, conservent la mémoire de ce pape qui redonnait de l’espoir et aurait pu accompagner une modernisation de l’Église catholique romaine. L’hypothèse d’une mort non naturelle demeure toujours plausible à leurs yeux et ils gardent des doutes sur les causes réelles du décès du pontife. Avec les informations aujourd’hui connues sur les blocages et parfois les turpitudes de la curie romaine, il paraît légitime de remettre ces doutes au premier plan. D’autre part, les archives du Vatican sur cette période ne sont pas près d’être ouvertes.
En privé, des personnalités catholiques (historiens, journalistes, théologiens…) disent aujourd’hui que, pour lever les doutes et tenter de faire la lumière sur cette mort suspecte, le Saint-Siège devrait autoriser une autopsie. La société civile y recourt dans les situations de mort subite, de suicide ou en cas de présomption criminelle. Depuis son élection, l’actuel pape François a dénoncé le cléricalisme et combattu les agressions sexuelles. Il a entrepris une réforme de la Curie romaine, après l’avoir vigoureusement tancée en disant qu’elle courait un risque imminent d’Alzheimer. Il expérimente lui-même au quotidien sa forte capacité de résistance au changement. Pourquoi ne pourrait-il pas donner son feu vert à une autopsie rétroactive ? Ce serait un signe de modernité, de transparence et de prise en compte d’une partie de l’opinion catholique. La clarté serait ainsi faite sur la mort de ce dernier pape italien, évêque de Rome. Meglio tardi che mai. –
Signataires :
Robert Ageneau, éditeur ; Marie-France Aubré, retraitée de l’enseignement ; Alain Durand, dominicain ; Robert Dumont, oratorien ; François Glory, Missions étrangères de Paris ; Lucienne Gouguenheim, NSAE (Nous sommes aussi l’Église) ; Georges Hechelbeh, président du Réseau des Parvis ; Jean-Marie Kohler, anthropologue ; Jacques Musset, chercheur et essayiste ; Régine et Guy Ringwald, Revue des Parvis ; Christian Terras, rédacteur en chef de Golias Hebdo.
Pour aller plus loin : Golias Hebdo n° 638 (fichier pdf)
