Le geste du pape pour les droits des femmes : tout sauf symbolique
Par John L. Allen
Le pontife a nommé pour la toute première fois une femme Promoteure de justice (procureure) pour la Cour d’Appel de l’État de la Cité du Vatican), ce qui est salué comme une preuve du sérieux du pape François dans son désir de donner plus de pouvoir aux femmes au sein des structures ecclésiastiques.
En effet, le Promoteur de justice plaide pour une accusation pénale devant les juges du tribunal du Vatican chaque fois qu’une condamnation est portée en appel.
François a fait appel à Catia Summaria pour ce poste dont le mandat est d’une durée de cinq ans. Originaire de Bari, dans les Pouilles, au sud de l’Italie, Catia Summaria a été Procureure générale suppléante à la Cour d’Appel de Rome et s’occupe depuis longtemps de questions liées au droit du travail. (C’est particulièrement important, puisque l’une des fonctions de la Cour d’Appel est d’entendre les affaires émanant du Bureau du Travail du Vatican.)
Cette décision est conforme aux nouvelles règles du système juridique du Vatican décrétées par le pape François l’année dernière, qui donnent la préférence aux professeurs d’université et aux juristes chevronnés pour la nomination des juges et des magistrats, en partant du principe qu’ils ont déjà leur propre carrière et leurs propres revenus, ce qui signifie qu’ils ne sont pas des « otages du Vatican » et qu’ils devraient donc être plus indépendants.
François a également nommé Sœur Nathalie Becquart comme l’une des deux sous-secrétaires du Synode des évêques, ce qui est également une première, mais il se pourrait bien que le nouveau rôle de Summaria soit le plus difficile.
Il ne s’agit certainement pas d’un simple geste symbolique, car le système de justice pénale du Vatican prend de plus en plus d’importance sous le pape François. Reste à savoir si Summaria, qui aura 74 ans en mars, finira par le considérer comme un honneur ou un boulet.
Historiquement, la Cour d’Appel du Vatican a été une institution plutôt somnolente, ne traitant que quelques affaires par an et la plupart de ses juges exerçant une double fonction au sein de la Rote romaine, principale juridiction ecclésiastique du Vatican, dont la majorité des travaux portent sur des affaires d’annulation. Jean-Paul II a supprimé en 1987 l’exigence selon laquelle le président de la Cour d’Appel devait être également le doyen de la Rote et ses juges devaient également être des juges de la Rote.
Ces dernières années, les tribunaux pénaux du Vatican sont devenus plus actifs, notamment en ce qui concerne les poursuites de haut niveau pour des délits financiers. Dans l’immédiat, Summaria va hériter d’un appel interjeté par l’ancien président de la banque du Vatican, Angelo Caloia, à la suite de sa récente condamnation dans le cadre d’une fraude consistant à vendre des biens à des taux inférieurs à ceux du marché et à empocher le solde.
Angelo Caloia est le plus haut responsable du Vatican à avoir été condamné pour un crime par un tribunal du Vatican, aussi son appel et celui de l’ancien avocat de la banque du Vatican, Gabriele Liuzzo, seront-ils suivis de près.
Il est également possible que, tôt ou tard, les appels des condamnations découlant de l’accord foncier controversé de 200 millions de dollars à Londres qui, jusqu’à présent, a coûté leur emploi à cinq employés du Vatican et, indirectement, a pu jouer un rôle dans la chute du cardinal italien Angelo Becciu, se retrouvent dans le giron de Summaria.
La Cour d’Appel sera probablement encore plus occupée à la lumière d’une nouvelle loi régissant l’attribution des contrats du Vatican, promulguée par le pape François en juin dernier, qui vise à centraliser le processus de passation des marchés et à réaliser ainsi des économies d’échelle, ainsi qu’à injecter de la transparence et de l’objectivité dans le processus. Dans le cadre de ce nouveau système, le pontife a confié la responsabilité du règlement des litiges au tribunal de l’État de la Cité du Vatican avec possibilité de recours devant la Cour d’Appel.
Étant donné qu’il existe des centaines de contractants potentiels susceptibles d’être affectés par le nouveau système à mesure qu’il prend forme, les possibilités de litiges semblent énormes et la charge de travail qui en résulte pour les deux tribunaux pourrait gagner proportionnellement en importance.
Toutefois, le principal casse-tête auquel sont confrontés Summaria et ses collègues du système juridique du Vatican pourrait être – et il l’est presque certainement – autant politique qu’une question de stricte jurisprudence.
Jusqu’à présent, tous les procès criminels très médiatisés du Vatican ont mis en cause des laïcs comme principaux accusés – notamment Caloia et Liuzzo dans l’affaire de la banque du Vatican ; Giuseppe Profiti, ancien président de l’hôpital pédiatrique Bambino Gesù à Rome, parrainé par le pape, accusé d’avoir utilisé illégalement des fonds pour remodeler l’appartement du cardinal italien Tarcisio Bertone ; et Francesca Chaouqui, condamnée dans l’affaire Vatileaks initiale – ou des membres mineurs du clergé, comme Lucio Angel Vallejo Balda, également condamné dans le cadre de l’enquête Vatileaks.
Jusqu’à présent, aucun évêque n’a encore été inculpé ou condamné pour une quelconque infraction pénale, ce qui amène certains à soupçonner une conception calculée visant à offrir des laïcs ou des membres du clergé de rang inférieur comme boucs émissaires tout en écartant des personnalités plus haut placées de toute culpabilité. L’affaire Profiti est considérée comme emblématique, dans la mesure où Bertone, le bénéficiaire direct de la manœuvre pour laquelle Profiti a été condamné, n’a même pas été appelé comme témoin, et encore moins nommé dans l’acte d’accusation.
Pourtant, pratiquement tous les crimes pour lesquels ces laïcs et ces clercs subalternes ont été condamnés ont dû être examinés et approuvés par les autorités supérieures. Dans la plupart des systèmes, si un crime est commis sous la surveillance d’un cadre, ce cadre est considéré comme responsable, soit en vertu d’une complicité directe, soit au moins en raison d’une surveillance négligente.
À un moment donné, pour que les réformes instituées par le pape François soient jugées vraiment crédibles, il faudra poursuivre une haute personnalité de la structure du pouvoir ecclésiastique. Quand et si cela se produit, il s’agira d’une affaire extrêmement délicate, mettant une pression massive sur les avocats et les juges concernés pour qu’ils fassent les choses correctement.
Il est certain que Summaria n’est pas la première personne à être nommée au Vatican à une fonction qui, rétrospectivement, finit par sembler impossible, ou du moins par sembler être un poste que vous ne souhaiteriez pas à votre pire ennemi.
Elle est cependant l’une des rares femmes à avoir reçu une telle mission, et c’est peut-être là le signe de sérieux suprême concernant l’émancipation des femmes que le pape François pourrait donner – en offrant à une femme non seulement le même rang et les mêmes privilèges qu’aux hommes dans le système, mais aussi la même frustration et le même déchirement potentiels.
Source : https://cruxnow.com/news-analysis/2021/02/popes-move-for-womens-rights-anything-but-a-token-gesture/
Traduction : Lucienne Gouguenheim