Vendredi saint et coronavirus
Par Christian Merveille [1]
Ce texte est un extrait de « Le coronavirus et la Semaine Sainte 2020 » [2]
Dans le silence de la retraite du confinement et à l’image de ce qu’on peut voir et entendre durant ces moments particuliers, ces « semaines saintes » que nous vivons au jour le jour. « Saintes » dans le sens de « sacrées », différentes des autres semaines déjà vécues.
Des instants qui nous sont donnés à vivre comme des « rites » de passage.
L’occasion donc de revivre et méditer la Semaine Sainte en lui donnant tout son sens et permettant peut-être d’en redécouvrir l’aspect « original » dans le sens de ce qui est, pourrait être une vision plus sincère, plus proche de l’origine et éclairée par l’actualité que nous vivons.
Nous traverserons ainsi la souffrance, la mort et la mise au tombeau à la hâte du vendredi. À travers les textes de l’Évangile éclairés par les textes et les images que nous apercevons.
Une colline comme il y en a partout
Quelqu’un a porté une croix et des clous
Les gens se pressent et restent là, debout
« Voilà celui qui prétend parler pour nous »
On rit de voir les marques а ses genoux
Dans chaque cœur, il peut faire un froid d’igloo
On se bouscule pour voir l’homme blessé
Ce qu’il murmure avec son regard baissé
« C’est de l’amour que j’ai voulu vous laisser
L’amour, l’amour, y en n’aura jamais assez
Il est partout sous chaque étoffe froissée
Dans chaque épine de ma couronne tressée »
Les hommes, soudain, se sont montrés pressés
On l’a fait marcher vers cette croix dressée
Ces mains qui n’avaient jamais fait qu’embrasser
Ça n’a pris qu’un instant pour les traverser
Je vous laisse а ces quelques larmes versées
Et des siècles et des siècles pour y penser
Les mots glissaient de son visage penché
Dans chaque cœur, il y a un printemps caché
C’est le trésor qu’il vous faudra rechercher
Entre les pierres et sous les herbes séchées
Pour le faire boire, un homme s’est approché
Voilà l’espoir auquel il faut s’accrocher
Une colline comme il y en a partout
Quelqu’un a porté une croix et des clous
Pour le faire boire, un homme s’est approché
Dans chaque cœur, il y a un printemps caché
(Francis Cabrel)
Repenser tout le débat sur « la vérité »… sa perception.
« Qu’est-ce que la vérité ? » s’interroge Pilate… (Jn 18, 38)
« La science n’est pas une opinion, c’est quelque chose qui se vérifie », a dit un médecin interrogé suite à une déclaration d’un politique qui disait « préférer ceci plutôt que cela ».
Accepter la vérité d’une situation. La vérité d’un être. La vérité d’une vie.
« Tu as les paroles de vérité. » (Jn 6, 68) dit Simon-Pierre.
« Je suis la vérité et la vie », dit Jésus. (Jn 14, 6)
La parole vraie que la perversion ne peut atteindre.
La parole vraie loin des « fake news », des langues de bois, des mots tordus.
Méditer sur le rôle de ceux et celles qui doivent dire les choses dans les médias, de ce qu’on raconte aux autres. « Ce n’est pas ce qu’on fait qui compte, c’est l’histoire… La manière dont on le raconte pour se faire valoir. » (Yves Duteil)
Souvent, les réponses de Jésus face aux questions tordues se présentent comme des réponses qui mettent en lumière la perversion du langage. Et si on se mettait à penser à un divin comme parole, parole vraie qui donne vie… (voir Lytta Basset « Face à la perversion »)
Aux questions, cette réponse : « Vous le dites. »
« Femme, voici ton fils. » « Voici ta mère. » (Jn 19, 26-27)
Avoir la possibilité de transmettre ses dernières volontés.
Faire en sorte qu’à travers des paroles prononcées, de nouveaux liens puissent se recréer. Se détacher des êtres chers et les confier à d’autres.
Vivre ces dernières confidences même à travers les pires souffrances.
Méditer cela en communion avec tous ceux et celles qui en ce moment vivent leurs derniers moments seuls, loin de leur famille, des leurs, avec peut-être une dernière chose à se dire, à se transmettre. Partir sans avoir pu tout résoudre comme on résout un accord en musique pour terminer le morceau.
« J’ai soif ! » (Jn 19, 28)
Sans doute la demande la plus exprimée par des malades. Avoir soif d’une goutte d’eau pour dessécher les lèvres, humidifier la bouche au moment où cette goutte d’eau est la seule chose qu’on peut encore ingurgiter, que le corps peut encore recevoir.
Recevoir cette goutte d’eau de quelqu’un qui en a ajouté du goût.
(À la place d’un peu de citron, ajouter un peu de vinaigre dans de l’eau la rend plus désaltérante, parole de cycliste…).
En tout cas, ne pas donner qu’une goutte d’eau, ajouter quelque chose en plus.
Quant au bâton d’hysope (Jn 19, 29 : « Ayant donc fixé une éponge imbibée de vinaigre à une branche d’hysope, ils l’approchèrent de sa bouche. »), quelle belle image que celle reprise dans Ps 51, 9 : « Purifie-moi avec l’hysope, je serai pur. Lave-moi et je serai plus blanc que neige. »
Quel écho avec aujourd’hui, temps d’épidémie, on chacun peut être contaminant, porteur du virus… et cette quête de trouver un moyen pour être « purifié », ne plus être contaminant… retrouver les autres en toute quiétude. Se protéger pour protéger les autres.
Tenter d’apaiser toutes les soifs, les besoins qui surgissent dans les moments de confinement. Juste apporter un petit quelque chose… sa goutte d’eau… et un tout petit peu plus.
« Père, en tes mains je remets mon esprit. » (Lc 23, 46)
Après la longue traversée de l’angoisse et des souffrances, le moment où il est nécessaire de « lâcher prise » dans une acceptation totale de la situation. Accepter l’inacceptable dans une possible sérénité. « Je voudrais mourir debout, dans un champ, au soleil. » (Jean Ferrat)
Avoir le temps de faire ce cheminement…, d’aller jusqu’au bout.
D’avoir, paradoxalement, la possibilité de vivre sa mort. Méditer ce moment face à ceux et celles dont l’état de santé s’aggrave subitement et sont conduits en soins intensifs, ceux et celles dont la
vie bascule d’un seul coup.
« Fais qu’il lui soit permis de veiller jusqu’à l’heure
où il enfantera sa propre mort,
plein d’échos comme un grand jardin
ou comme un voyageur qui revient de très loin. » (R. M. Rilke)
« Tout est accompli. » (Jn 19, 30)
« Avoir la sensation et l’impression d’avoir fait de sa vie quelque chose d’accompli, d’avoir vécu une vie qui a du sens dans son achèvement, donne à chacun la mort-née de sa propre vie. » (R. M. Rilke)
Méditer cette phrase en pensée avec tous ceux qui sont fauchés en pleine vie (les enfants, les plus jeunes), ceux et celles qui sont encore si nécessaires à d’autres (de jeunes parents).
Ceux et celles qui sont emportés par l’épidémie au beau milieu de leur vie.
Au cœur de ces moments où la mort a pris le devant de la scène avec des images de « grande faucheuse », refaire la traversée de la passion, oser affronter le « livre de la pauvreté et de mort ». (R.M. Rilke)
Rester lucide, c’est-à-dire porteur de lumière.
Luciole… peut-être… mais c’est quand l’obscurité est profonde qu’on peut voir briller les lucioles.Flamme d’une bougie… peut-être… il suffit de voir le tableau de Georges de La Tour « Madeleine à la flamme » pour être convaincu du pouvoir de lumière d’une bougie.
Regarder les choses avec lucidité pour pouvoir les éclairer.
« Il y a une lucidité qui nous vient parfois dans ces moments-là, quand on se surprend à regarder le monde à travers ses larmes, comme si elles servaient de lentilles pour rendre plus net ce que l’on regarde. » (Jean Hegland – « Dans la forêt »)
Réenchanter le monde. « Ceux qui sèment dans les larmes moissonnent en chantant. » (Ps 126, 5)
Jésus a été enseveli à la hâte pour des raisons légales.
Il faudra attendre tout un jour et le lendemain pour que des femmes puissent prendre soin de son corps et l’embaumer suivant les rites.
C’est d’ailleurs en allant prendre soin de cette tâche qu’elles furent les premières à connaître le fait de la Résurrection.
Avoir en tête les milliers de morts qu’on enterre à la va-vite dans la solitude profonde, sans cérémonie, sans attentions particulières. Peut-être que leur résurrection en nous pourra se réaliser lorsque plus tard nous prendrons soin de leur donner sépulture d’une manière digne et pleine d’imagination possible dans les formes de célébration que cela prendra. Sans doute, pouvoir se mettre ensemble pour offrir cela aux communautés endeuillées dans la souffrance du manque de gestes à poser actuellement.
Méditer cela et surtout ne pas faire l’impasse de l’oubli de prendre cela en charge plus tard. Délier les bandelettes de Lazare pour qu’il puisse sortir du tombeau provisoire. (Jn 11, 1ss). Accompagner symboliquement Marie-Madeleine pour l’embaumement.
Mon grand tu dois tout boire.
Desserre les dents
pour la cuillère et médicament.
Desserre le poing
pour le clou du bourreau.
Desserre ton cœur
pour l’injure et la lance.
Nous guérirons tous.
(Jean-Pierre Lemaire)
Notes :
[1] Instituteur, chanteur, auteur-compositeur-interprète et écrivain belge pour enfants
[2] http://librepenseechretienne.over-blog.com/2020/04/le-coronavirus-et-la-semaine-sainte-2020-christian-merveille.html