« David contre Goliath : la justice, fronde redoutable des sans voix »
Par Philippe TELLIER, Président diocésain du CCFD-Terre solidaire
En 2006, Jean Merckaert, chargé de plaidoyer au CCFD, confiait à un stagiaire une mission d’investigation [1] sur les biens mal acquis, afin d’activer une convention de l’ONU, permettant de restituer aux peuples spoliés les avoirs détournés par leurs dirigeants. Qui aurait parié que ce rapport ferait trembler les présidents de 5 états, Angola, Burkina Faso, Congo-Brazzaville, Guinée équatoriale et Gabon ? En 2011, avenue Foch à Paris, la police mettait sous scellé 11 voitures de luxe, mobilier et œuvres d’art de Teodorin, fils du président de la Guinée équatoriale, avec saisie de l’hôtel particulier, acquis par 5 sociétés suisses Off-Shore. Démarrée avec le plaidoyer sur les paradis fiscaux, l’action du CCFD franchissait l’étape judiciaire pour donner un visage à la corruption, en s’alliant à Sherpa et Transparency International, spécialisés dans le droit. Jean démontrait l’efficacité de son intuition par des moyens dérisoires : le rapport a eu un tel écho médiatique que le Parquet ouvrait une enquête débouchant sur une plainte recevable, malgré menaces, incarcérations, campagne de déstabilisation, attaque en diffamation… En 2017, Teodorin est condamné à 3 ans de prison et 30 millions € d’amende. Fin 2020, les ONG obtiennent un dispositif de transfert des 150 millions € de biens mal acquis vers la population via des projets de l’AFD. Et les clans Sassou (Congo-Brazzaville) et Bongo (Gabon) sont toujours en procès…
Le 22 janvier 2021, le chef indigène Raoni déposait une plainte contre Jair Bolsonaro qui avait dit « Si j’assume le pouvoir, l’Indien n’aura plus un centimètre de terre », auprès de la Cour Pénale Internationale (CPI) pour « crimes contre l’humanité ». Il l’accuse de meurtres de leaders indigènes, d’extermination, de mise en esclavage des autochtones de l’Amazonie, de déplacement forcé de population. Il espère que le procès aboutira, bien que le CPI ne reconnaisse pas encore l’ethnocide et l’écocide, et qu’il freinera les violations en cours. Parallèlement, le CCFD, investi dans la Coalition Solidarité Brésil, par sa campagne « Le Brésil résiste, lutter n’est pas un crime », propose à ses bénévoles de relayer les voix de ces populations, en devenant Brésistant. La Coalition a publié le 19 janvier le 2e baromètre d’alerte sur la situation sociale, politique et environnementale du Brésil. Les partenaires nous interpellent : « Diffusez ce qui se passe chez nous, dénoncez les violations des droits sur les territoires ! ». Ceci au moment où la pandémie exacerbe les inégalités et fragilités du système, alors que le Baromètre confirme l’augmentation des violences et violations commises en toute impunité, ciblant les populations exclues historiquement : autochtones, paysans, femmes, populations noires.
Au Mexique, depuis que leur territoire est visé par EDF pour un projet éolien, plusieurs ONG ont alerté le CCFD-Terre Solidaire sur les agissements de la multinationale, dont l’État français est actionnaire majoritaire. Car EDF ne consulte pas la population d’Union Hidalgo, et lui impose, en violation de la constitution mexicaine et du droit international, des milliers d’éoliennes culminant jusqu’à 70 m, parfois proches des habitations. Il en résulte une flambée des violences, un contournement du droit foncier, une absence de retombées économiques pour les locaux sans respect des ressources naturelles. Or, la France est le seul pays au monde à s’être doté en 2017 d’une loi sur le devoir de vigilance limitant l’impunité des multinationales ayant leur siège social sur son sol. Elle oblige les grandes entreprises à prévenir et réparer les violations des droits humains et les dommages environnementaux engendrés par leurs activités, celles de leurs filiales, sous-traitants ou fournisseurs. Par le CCFD, la communauté d’Union Hidalgo saisit les tribunaux français pour contraindre EDF à suspendre son projet tant que les risques de violations des droits ne sont pas levés.
Avec « L’affaire du siècle », menée par 4 ONG obtenant ce 4 février du tribunal administratif une reconnaissance de la carence partielle de l’État et de sa responsabilité dans le non-respect de ses objectifs climatiques, et avec la plainte de six jeunes Portugais, déposée en septembre contre 33 pays européens, dont la France, à la Cour européenne des droits de l’Homme, pour avoir « échoué à faire leur part afin d’éviter une catastrophe climatique », comment ne pas voir que l’arme juridique devient lame de fond, dernier recours des sans voix ? N’est-elle pas devenue la fronde moderne de David contre les Goliaths de tout poil : dictateurs, multinationales dans l’illégalité, états sourds à la détresse des jeunes… En comprenant cette évolution, nous bénévoles, devons croire plus que jamais à l’action du plaidoyer, si modeste soit-elle, car elle peut donner demain des résultats au-delà de nos rêves, telle la graine de sénevé de l’Évangile. Consacrer un moment à ces plaidoyers n’est-elle pas une façon magnifique de faire Carême, d’écouter la clameur des pauvres ?
Note :
[1] Cf. La Bande Dessinée : « L’Argent fou de la Françafrique, l’affaire des biens mal acquis », Xavier Harel – Julien Solé – GLENAT