Hans Küng, théologien influent de Vatican II censuré par Jean-Paul II, meurt à 93 ans
Par Roger Haight, S.J.
Hans Küng est décédé le 6 avril à l’âge de 93 ans ; au sein du groupe des 3 théologiens catholiques les plus influents de la seconde moitié du 20e siècle, il était le plus jeune et le troisième, après Karl Rahner, S.J. (1904-84) et Edward Schillebeeckx, O.P. (1914-2009) ; mais il était le premier par sa clairvoyance et son sens des médias.
Küng s’est fait connaître du grand public lors des événements qui ont précédé le Concile Vatican II (1962-1965) et pendant celui-ci. Il s’est épanoui en tant que théologien catholique pendant plus d’une décennie après le concile en écrivant un certain nombre de livres qui ont fait date. Après que la papauté lui ait retiré le statut de porte-parole catholique, au début du pontificat de Jean-Paul II, il a à nouveau rayonné en tant qu’intellectuel majeur dans le monde, en jouant le rôle de médiateur entre les religions et en stimulant une éthique mondiale.
Une façon historique de penser la théologie
Küng est né dans le canton suisse de Lucerne, il a étudié les bases de la théologie à l’Université pontificale grégorienne de Rome et a été ordonné prêtre catholique en 1954. Il a terminé ses études de doctorat en théologie à l’Institut Catholique de Paris en 1957. Après avoir enseigné un an à l’université de Münster, il a rejoint la faculté de l’université de Tübingen en 1960, où il est resté jusqu’à sa retraite en 1996.
Hans Küng (né en 1928), décédé le 6 avril à l’âge de 93 ans, était le plus jeune et le troisième théologien catholique le plus influent de la seconde moitié du 20e siècle.
Küng n’a jamais adopté la dialectique médiévale qui a caractérisé l’imaginaire théologique catholique jusqu’à Vatican II. Il pensait historiquement, et cela signifiait être attentif à la manière dont les concepts et le langage reflètent la culture, le temps et la sensibilité des situations historiques. Le meilleur exemple en est peut-être sa thèse de doctorat où, dans un contexte imprégné des sensibilités de la Réforme protestante, il a éveillé à la théologie de la justification de Karl Barth d’une manière honnête et non polémique et a montré que, oui, il y a des différences entre Barth et l’enseignement catholique, mais qu’elles sont relativement mineures et ne méritent pas une division de l’Église.
Nommé peritus, ou expert consultant, au Concile du Vatican par le pape Jean XXIII, Küng a interagi avec les principaux théologiens catholiques de l’époque. Prendre au sérieux l’histoire passée et constater que nous avons évolué est devenu une logique profonde de la pensée de Küng dans des ouvrages tels que Concile et retour à l’unité. Se rénover pour susciter l’unité (1961), Structures de l’Église (1963) et Le Concile, épreuve de l’Église (1963).
Les grands livres de théologie
Dans la période qui va de la fin du concile Vatican II, en 1965, à 1980, Küng a écrit trois livres majeurs qui, ensemble, expriment la substance de la foi chrétienne. Le premier, L’Église (1968), présente l’Église en utilisant le langage biblique pour interpréter l’ecclésiologie de Vatican II. Pour certains, il s’agit encore de la meilleure ecclésiologie catholique en un volume de la période post-Vatican II. En 1978, Küng a écrit Être chrétien, qui tente de résumer la foi chrétienne en utilisant notre compréhension de Jésus-Christ comme le centre qui informe l’ensemble. Avec cet ouvrage, il devient, avec Schillebeeckx, l’un des premiers théologiens catholiques de premier plan à aborder la christologie en prenant au sérieux une considération historique critique des données du Nouveau Testament.
En 1978 (1981 en français), Küng a publié Dieu existe-t-il ? Réponse à la question de Dieu dans les temps modernes, qui, en plus de 800 pages, examine de manière exhaustive le défi moderne lancé à la croyance en Dieu et propose une réponse chrétienne intelligente. Il est intéressant de noter que cette trilogie ne commence pas par Dieu en descendant jusqu’à l’Église. Dès le début, Küng essaie de parler aux personnes qui se posent des questions dans les églises, et il invite le monde à l’écouter. Il utilise l’histoire et les expériences derrière les événements pour toucher un large public.
Œcuménisme
Un tournant majeur dans la carrière de Hans Küng s’est produit le 15 décembre 1979, lorsque la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a déclaré qu’il « s’est écarté de la vérité intégrale de la foi catholique et que, par conséquent, il ne peut plus être considéré comme un théologien catholique ni exercer en tant que tel un rôle d’enseignement ». La déclaration a été signée par le cardinal Franjo Seper, préfet de la Congrégation, et reflète l’esprit du nouveau pape, Jean-Paul II (1978-2005). La principale accusation, entre autres, était que l’on pouvait comprendre la conception par Küng de la doctrine de l’infaillibilité pontificale comme mettant en question l’ « indéfectibilité fondamentale de l’Église dans la vérité » (Seper).
Les interprétations de la foi chrétienne de Küng, sensibles à l’œcuménisme, ne trouveront pas leur place dans l’Église catholique dirigée par Jean-Paul II
Cette interprétation différait de la version plus littérale de la congrégation. La déclaration révoquait la mission canonique de Küng d’enseigner et l’a forcé à quitter la faculté catholique, mais il a continué à enseigner à Tübingen dans l’Institut de recherche œcuménique, qui avait une charte indépendante avec l’État de Baden-Württemberg (Küng, Mon combat pour la liberté, mémoires, 2006). Les interprétations de la foi chrétienne de Küng, sensibles à l’œcuménisme, ne devaient pas trouver place dans l’Église catholique dirigée par Jean-Paul II.
Approche interreligieuse et éthique dans un contexte mondial
On peut considérer le début de l’année 1980 comme celui d’un nouveau chapitre distinct de la carrière de Küng. Il a commencé à penser en termes plus larges que ceux de l’Église catholique, ou même du christianisme, au thème de l’œcuménisme élargi à la rencontre interreligieuse dans notre existence planétaire interdépendante et mobile. L’ampleur de l’imagination et de l’engagement de Küng est illustrée par le titre de son ouvrage de 1986 : Le christianisme et les religions du monde. Islam, hindouisme, bouddhisme.
Les spécialistes de ces religions mesurent son succès dans la lecture exacte de leurs croyances, mais chacun peut admirer l’engagement du penseur chrétien dans la conversation et ce qu’il faut pour y participer. Sa conviction dans le dialogue interreligieux est résumée dans cette maxime incisive : « Pas de paix entre les nations sans paix entre les religions. Pas de paix entre les religions sans dialogue entre les religions. Pas de dialogue entre les religions sans enquête sur le fondement des religions » (Le Christianisme. Ce qu’il est et ce qu’il est devenu dans l’histoire, 1999).
Dans les années 1990, Küng se penche sur la question d’une éthique commune à laquelle pourraient souscrire les religions et les nations. En 1991, il publie Projet d’éthique planétaire. La paix mondiale par la paix entre les religions, où il explore la place possible de la religion dans un ordre mondial pacifique. Il était convaincu qu’on peut trouver des valeurs communes pour une éthique humaine dans les religions du monde ; elles sont « communes » dans le sens où les hommes et les femmes peuvent y adhérer soit sur la base de leurs religions particulières, soit sur la base d’une humanité partagée.
Küng n’était pas un piétiste passif, et il ne manquait pas non plus de confiance en lui. Mais l’Église catholique, le christianisme, les autres religions et toute l’humanité de manière reconnaissable sont ses bénéficiaires.
Il a ainsi rédigé une déclaration pour une éthique globale, approuvée par plus de 200 dirigeants de 40 communautés religieuses différentes lors de la réunion du Parlement des religions du monde en 1993 (Manifeste pour une éthique planétaire. La déclaration du Parlement des religions du monde).
Il a également contribué au texte Crossing the Divide : Dialogue Among Civilizations, qui a été présenté par le Secrétaire Général Kofi Annan aux Nations Unies en 2001. Ces intérêts montrent un élargissement du champ de l’engagement pour le bien commun de tous dans un monde qui se rétrécit.
En 1995, Küng, en collaboration avec Walter Jens et d’autres, a publié A Dignified Dying : A Plea for Personal Responsibility, qui aborde les aspects psychologiques et religieux de la maladie en phase terminale. Plus récemment, en 2013, dans le troisième volume de ses mémoires, Küng défend le droit des gens à mettre fin à leur propre vie lorsqu’ils sont réduits à des conditions intolérables et inhumaines qui portent atteinte à la dignité humaine. Il ne peut pas trouver l’intention de Dieu pour l’épanouissement humain dans de telles situations et envisage donc l’option du suicide assisté. Il a lui-même souffert de la maladie de Parkinson.
De façon similaire à l’émergence de la complexité aun sein de l’évolution, on peut déceler une capacité croissante dans les tâches que Hans Küng a entreprises au cours de sa carrière étonnamment productive de théologien, d’œcuméniste, de religieux et enfin de leader moral de l’humanité. Il n’était pas un piétiste passif, et il ne manquait pas non plus de confiance en lui. Mais l’Église catholique, le christianisme, les autres religions et l’humanité tout entière, de manière reconnaissable, sont ses bénéficiaires.
Source : https://www.americamagazine.org/faith/2021/04/06/hans-kung-death-obituary-vatican-ii-240394
Traduction : Lucienne Gouguenheim
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Merci pour ce rappel du soutien de Hans Küng à la Fédération des Réseaux du Parvis.
Soutien de Hans Küng à la Fédération des Réseaux du Parvis lors du rassemblement de Lyon en 2010
https://www.dropbox.com/s/8r0owlqiur8dpxi/Soutien%20de%20Hans%20K%C3%BCng%20%C3%A0%20Parvis.pdf?dl=0