Les tribunaux diocésains, qui traitent principalement des annulations de mariage, sont souvent en sous-effectif et manquent d’autres ressources
Par Christophe Henning, La Croix International
Les évêques catholiques de France ont décidé de créer un « tribunal pénal canonique interdiocésain » à l’échelle nationale.
Le projet, présenté le mois dernier lors de l’assemblée plénière de la Conférence épiscopale française (CEF), est considéré comme un élément de réponse globale au crime d’abus sexuels sur mineurs.
« De nombreuses personnes souffrent de la lenteur des procédures canoniques, car l’administration est souvent débordée », a déclaré Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la CEF.
« La création d’une structure nationale est également motivée par la difficulté de recruter du personnel pour les offices existants », a-t-il ajouté.
Actuellement, le traitement des annulations de mariage constitue pratiquement 90 % de l’activité des tribunaux ecclésiastiques en France.
Et les demandes d’annulation ont doublé depuis que le pape François a publié son exhortation apostolique Amoris Laetitia en avril 2016.
Les mêmes fonctionnaires du tribunal qui supervisent les cas d’annulation traitent également l’infime fraction des autres cas liés au droit pénal dans l’Église.
Mais la charge de travail de ces fonctionnaires a augmenté avec la recrudescence des procès ecclésiastiques pour des délits d’agression sexuelle.
Les racines historiques de la justice ecclésiastique
Le principe de base de la justice ecclésiale est que « le juge est l’évêque ». Il faut remonter dans le temps pour comprendre les origines du droit canonique.
Dans l’Évangile selon Matthieu, Jésus suggère une correction fraternelle pour le pécheur.
« S’il ne t’écoute pas, prends avec toi un ou deux autres, afin que toute l’affaire soit réglée. S’il refuse de les écouter, rapportez-le à la communauté », est-il dit dans l’Évangile de Matthieu (Mt 18, 15-17).
Ainsi, au Moyen Âge, les chrétiens règlent leurs affaires entre eux, jusqu’à instituer le « privilège du forum ecclésiastique ».
Cela signifie que les clercs, du moins en France avant la Révolution de la fin du XVIIIe siècle, n’étaient jugés que par les tribunaux ecclésiastiques.
Avec la réforme de 1983, l’évêque reste le juge, mais il délègue généralement l’exercice de la justice à un « vicaire judiciaire », explique Bernard Xibaut, prêtre-chancelier du diocèse de Strasbourg.
Pendant la Révolution française, les prêtres étaient soumis à la justice civile et il ne restait plus beaucoup de justice ecclésiastique.
Le code de droit canonique de 1983, rédigé à la lumière des réformes issues du concile Vatican II (1962-65), a ouvert les postes des tribunaux de l’Église à des laïcs qualifiés.
« S’il n’y avait pas le soutien des laïcs, nous ne pourrions pas faire notre travail », note Hervé Queinnec, le prêtre qui exerce la fonction de vicaire judiciaire de la province ecclésiastique de Rennes.
« En réalité, la justice ecclésiastique a peu de moyens », a déclaré Anne Bamberg, professeur de droit canonique à l’Université catholique de Strasbourg.
« Les ministres du tribunal ecclésiastique doivent avoir au moins une licence en droit canonique, ce qui nécessite des études approfondies », a-t-elle souligné.
Le rôle des clercs dans les tribunaux ecclésiastiques
En raison du manque de personnel qualifié, des tribunaux ecclésiastiques interdiocésains ont été créés dans les années 1970.
L’un des avantages de ce nouveau dispositif est que, dans la plupart des cas, les juges ne président plus les affaires qui impliquent directement un confrère de leur propre diocèse.
Mais cela ne signifie pas qu’il est exempt de critiques.
« Cette justice a 150 ans de retard », accuse Bénédicte Draillard, qui a travaillé plusieurs années comme juge d’instruction au tribunal de Lyon.
« Il n’y a pas de place pour les victimes et ce sont toujours des clercs qui jugent des clercs, c’est un bastion du cléricalisme », a-t-elle ajouté.
« Depuis une quinzaine d’années, on assiste à une résurgence de la justice ecclésiastique », ajoute Bernard Xibaut, chancelier diocésain à Strasbourg.
« Certaines affaires jugées par les tribunaux nationaux ne peuvent manquer d’avoir un impact sur la vie de l’Église », poursuit le prêtre.
C’était le cas récemment pour Bernard Preynat, l’ancien prêtre de Lyon devenu l’un des pédophiles les plus notoires de France.
Un tribunal correctionnel l’a condamné pour agression sexuelle et renvoyé de l’état clérical, la peine la plus grave qui puisse être prononcée par la justice ecclésiastique.
Des cas envoyés à Rome
Quelle que soit la sentence, « il ne s’agit pas de condamner, mais de sanctionner », a déclaré Daniel Bertaud, avocat canonique de l’archidiocèse de Bordeaux.
Selon lui, les juges des tribunaux d’Église prononcent toujours leurs sentences « avec crainte et tremblement », car « le coupable reste un baptisé, il doit pouvoir trouver une place dans la communauté ecclésiale. »
Et le pape François, qui s’est félicité de la réforme en cours des sanctions du livre VI du Code de droit canonique, a souligné en février 2020 que « la punition canonique a toujours une signification pastorale. »
S’il revient à l’évêque du lieu d’ouvrir une enquête canonique, « pour les agressions sexuelles sur mineurs ou personnes vulnérables commises par des prêtres, faits considérés comme delicta graviora, le dossier doit être envoyé à Rome, à la Congrégation pour la doctrine de la foi », explique le vicaire judiciaire de Rennes, Hervé Queinnec.
En fonction des preuves, la Congrégation décide de poursuivre ou non.
Elle confie ensuite la conduite du procès à l’évêque du lieu, qui délègue souvent cette tâche à un juge.
Le nouveau tribunal pénal national que les évêques français souhaitent mettre en place pourrait jouer pleinement ce rôle.
Note de l’éditeur : Cet article a été initialement publié sur La Croix International.