Par Nicole Winfield,
Le pape François a modifié le droit ecclésiastique afin de criminaliser explicitement les abus sexuels commis sur des adultes par des prêtres qui abusent de leur autorité, et de préciser que les laïcs qui exercent une fonction ecclésiastique peuvent être sanctionnés pour des crimes sexuels similaires. [1]
Les nouvelles dispositions, publiées le 1er juin après 14 ans d’étude, sont contenues dans la section révisée du droit pénal du Code de droit canonique du Vatican, le système juridique interne qui couvre l’Église catholique, forte de 1,3 milliard de fidèles.
Les changements les plus importants sont contenus dans deux articles, 1395 et 1398, qui visent à remédier à des lacunes majeures dans la gestion des abus sexuels par l’Église. La loi reconnaît que les adultes peuvent eux aussi être victimes de prêtres qui abusent de leur autorité sur eux, et précise que les laïcs occupant des fonctions ecclésiastiques, comme les directeurs d’école ou les économes de paroisse, peuvent être punis pour avoir abusé de mineurs comme d’adultes.
Le Vatican a également criminalisé le « pédopiégeage » de mineurs ou d’adultes vulnérables par des prêtres pour les contraindre à se livrer à la pornographie. C’est la première fois que la loi de l’Église reconnaît officiellement comme criminelle la méthode utilisée par les prédateurs sexuels pour établir des relations avec leurs victimes afin de les exploiter sexuellement.
La loi supprime également une grande partie du pouvoir discrétionnaire qui a longtemps permis aux évêques et aux supérieurs religieux d’ignorer les abus ou de les couvrir, en précisant qu’ils peuvent être tenus pour responsables des omissions et des négligences commises lorsqu’ils n’ont pas enquêté et sanctionné correctement les prêtres fautifs.
Un évêque peut être démis de ses fonctions pour « négligence coupable » ou s’il ne signale pas les crimes sexuels aux autorités ecclésiastiques, bien qu’aucune sanction ne soit prévue par la loi ecclésiastique s’il ne signale pas le crime à la police, précise la loi.
Depuis que le code de 1983 a été publié, les avocats et les évêques se sont plaints qu’il était totalement inadéquat pour traiter les abus sexuels sur mineurs, car il exigeait des procès qui prenaient beaucoup de temps. Les victimes et leurs défenseurs, quant à eux, ont affirmé qu’il laissait trop de pouvoir discrétionnaire aux évêques qui avaient intérêt à couvrir leurs prêtres.
Au fil des ans, le Vatican a procédé à des changements fragmentaires pour remédier aux problèmes et aux lacunes, notamment en exigeant que tous les cas soient envoyés au Saint-Siège pour examen et en permettant un processus administratif plus rationnel pour défroquer un prêtre si les preuves contre lui sont accablantes.
Plus récemment, François a adopté de nouvelles lois pour sanctionner les évêques et les supérieurs religieux qui n’ont pas protégé leurs ouailles. Le nouveau Code pénal intègre ces changements et va même au-delà, tout en reconnaissant que les prêtres accusés sont présumés innocents jusqu’à preuve du contraire.
Selon la nouvelle loi, les prêtres qui se livrent à des actes sexuels avec qui que ce soit – pas seulement avec un mineur ou une personne privée de l’usage de la raison – peuvent être défroqués s’ils ont utilisé « la force, des menaces ou l’abus de leur autorité » pour se livrer à des actes sexuels.
Mgr Juan Ignacio Arrieta, secrétaire du bureau juridique du Vatican, a déclaré [2] que cette disposition pourrait s’appliquer à tout membre de l’Église qui a été abusé sexuellement par un prêtre, s’il peut être démontré que ce dernier a utilisé la force ou a abusé de son autorité.
Cette disposition est contenue dans une section détaillant les violations de l’obligation de célibat du prêtre. Une autre section de la loi concerne les crimes sacerdotaux contre la dignité d’autrui, notamment les abus sexuels sur des mineurs et des adultes vulnérables.
La loi ne définit pas explicitement quels adultes sont concernés, mais seulement un adulte qui « a habituellement un usage imparfait de la raison » ou « à qui la loi reconnaît une protection égale ».
Le Vatican a longtemps considéré toute relation sexuelle entre un prêtre et un adulte comme un péché, mais consensuelle, estimant que les adultes sont capables d’offrir ou de refuser leur consentement du seul fait de leur âge. Mais avec le mouvement #MeToo et les scandales de séminaristes et de religieuses victimes d’abus sexuels de la part de leurs supérieurs, le Vatican a pris conscience que les adultes peuvent aussi être victimes d’un déséquilibre de pouvoir dans la relation.
Cette dynamique a été clairement reconnue dans le scandale de l’ex-cardinal Theodore McCarrick, l’ancien archevêque de Washington. Même si le Vatican savait depuis des années qu’il couchait avec ses séminaristes, McCarrick n’a été jugé qu’après que quelqu’un se soit présenté en disant qu’il avait abusé de lui dans sa jeunesse. François a fini par le défroquer en 2019.
Dans une nouveauté visant à traiter les crimes sexuels commis par des laïcs qui occupent des fonctions ecclésiastiques, des fondateurs de mouvements religieux laïcs ou même des comptables et administrateurs de paroisse, la nouvelle loi dit que les laïcs peuvent être punis de la même manière s’ils abusent de leur autorité pour se livrer à des crimes sexuels.
Comme ces laïcs ne peuvent pas être défroqués, les sanctions comprennent la perte de leur emploi, le paiement d’amendes ou le retrait de leur communauté.
La nécessité d’une telle disposition est apparue clairement lors du scandale impliquant Luis Figari, le fondateur laïc de Sodalitium Christianae Vitae, un mouvement conservateur basé au Pérou qui compte 20 000 membres et des sections en Amérique du Sud et aux États-Unis.
Une enquête indépendante a conclu que Figari était un narcissique paranoïaque obsédé par le sexe et par le fait de voir ses subordonnés souffrir et s’humilier. Mais le Vatican et l’église locale ont tergiversé pendant des années sur la manière de le sanctionner, décidant finalement de le retirer du Pérou et de l’isoler de la communauté.
La nouvelle loi entrera en vigueur le 8 décembre.
Notes :
[1] https://www.vaticannews.va/fr/pape/news/2021-06/pape-constitution-apostolique-droit-canonique-reforme-vatican.html
[2] https://www.vaticannews.va/fr/vatican/news/2021-06/revision-code-droit-canonique-constitution-apostolique-vatican.html
Source : https://www.ncronline.org/news/vatican/new-vatican-law-criminalizes-abuse-adults-even-laity
__________________________-
Un nouveau code pénal très décevant pour l’Église catholique
Communiqué de presse de We are Church International [1]
Le nouveau code pénal annoncé par le Vatican est très décevant pour plusieurs raisons :
- Pas de tolérance zéro. Le pape François a souvent parlé dans le passé d’une “tolérance zéro” pour les abus sexuels commis par des clercs sur des enfants, mais cela n’a pas été inscrit dans le droit canonique.
- Pas de déclaration obligatoire. Le signalement n’est obligatoire qu’à l’intérieur de l’église, mais pas aux autorités juridiques extérieures.
- Pas de norme cohérente. Chaque évêque est libre de déterminer si un cas est grave ou s’il s’agit d’une infraction mineure. Il n’existe pas de définitions fixant des critères à cet égard. Il n’y a donc aucun changement.
- Aucune compréhension des abus sexuels sur mineurs. Ces crimes sont définis comme des violations du sixième commandement (tu ne commettras pas d’adultère). Quel est le rapport entre commettre l’adultère et abuser d’un enfant ?
Et pour couronner le tout, l’ordination des femmes est considérée comme un “crime” aussi grave que le viol d’enfants. Cela confirme que tous les discours sur le respect de la dignité et de l’égalité des femmes sont sous-tendus par une profonde misogynie. Cela ne changera pas tant que les femmes n’auront pas une représentation pleine et égale à tous les niveaux de l’église et que la voix des laïcs ne sera pas entendue et respectée.
Colm Holmes
Président, We Are Church International
E colmholmes2020@gmail.com
M +353 86 606 3636
W www.we-are-church.org