Enquête en Inde sur l’exploitation des nonnes par la hiérarchie
Par Lissy Maruthanakuzhy
Le chantage aux sacrements, les abus sexuels commis par le clergé, le cléricalisme et les conflits de propriété sont autant de défis auxquels sont confrontées les religieuses catholiques en Inde, a-t-on appris lors d’une visioconférence internationale.
La réunion du 10 juillet organisée par Voices of Faith, réseau international basé à Rome, a examiné les résultats d’une enquête de la Conference of Religious India menée auprès des responsables des religieuses du pays.
Environ 370 religieuses, prêtres et laïcs de nombreux pays anglophones, d’Allemagne et d’Italie ont assisté à ce programme de deux heures.
L’enquête a été commandée en 2018 par la section des femmes de la Conference of Religious India, l’association nationale des supérieurs majeurs religieux du pays, après que les médias ont fait état d’une exploitation généralisée des religieuses dans l’Église catholique.
Une équipe de quatre membres a mené l’étude en 2019-20 et a publié les conclusions sous la forme d’un livre en juin de cette année.
« C’est un document de référence », a déclaré Astrid Lobo Gajiwala, théologienne laïque qui a coordonné la visioconférence, à propos du livre. « Pour la première fois, nous disposons de données concrètes que l’on ne peut écarter. Des religieuses dans toute l’Inde ont courageusement dénoncé l’exploitation qu’elles subissent dans l’Église. »
Le livre énumère ces problèmes auxquels sont confrontées les religieuses indiennes : bas salaires, litiges sur la propriété, harcèlement de la part des prêtres, refus des célébrations sacramentelles, et abus verbaux en personne et depuis la chaire.
Selon A. Gajiwala, les problèmes abordés dans le livre avaient été écartés auparavant, de peur d’attirer « la colère de prêtres et d’évêques puissants », ajoutant que les problèmes « sont enfin exposés au grand jour ».
Les conférences indiennes des évêques et des religieux n’ont pas répondu à l’enquête ni à ses conclusions.
Le livre de 86 pages intitulé It’s High Time : Women Religious Speak Up on Gender Justice in the Indian Church (Il est grand temps : les femmes religieuses s’expriment sur la justice de genre dans l’Église indienne) a été rédigé par une équipe de trois membres dirigée par Sœur Hazel D’Lima, ancienne supérieure générale de la Société des Filles du Cœur de Marie.
L’équipe a contacté environ 500 femmes supérieures majeures et personnes d’influence dans différentes congrégations religieuses féminines en Inde. « Seules 121 personnes ont répondu. Un échantillon de 25% est suffisant pour une enquête exploratoire », a déclaré D’Lima lors de la rencontre.
Sœur Noella de Souza des Missionnaires du Christ Jésus, membre de l’équipe d’enquête, a déclaré que le livre parle des abus économiques, spirituels et sexuels auxquels les religieuses sont confrontées dans l’église indienne.
L’Inde compte plus de 103 000 religieuses dans 292 congrégations, selon la consultation du répertoire religieux.
Noella de Souza a déclaré qu’on leur avait dit que les évêques n’étaient pas contents de l’enquête. « Plus tard, la commission exécutive de [la Conférence des religieux de l’Inde] a semblé prise descraintes et a refusé de consentir à la publication de l’étude », a-t-elle expliqué.
« Vers la fin, nous avons dû faire appel à un conseiller juridique pour nous assurer que nous pouvions et devions faire imprimer l’étude et, plus important encore, la diffuser à tous les répondants et à tous les évêques du pays », a déclaré N. De Souza.
L’étude était « quasi silencieuse » sur les abus sexuels commis par le clergé, a-t-elle dit, « parce que les personnes interrogées étaient des supérieurs hiérarchiques et non des sœurs sur le terrain ».
La visioconférence, dit-elle, a été organisée pour porter plus loin le message du livre. « Étant donné qu’il s’agit de la première étude de ce type, nous tenions à connaître les questions qui importent à nos sœurs et leurs sentiments sur les relations de travail dans la mission », a-t-elle expliqué.
Elle espère que les participants transmettront le message à leurs congrégations, diocèses et évêques.
Le frère Philip Pinto, qui a écrit la préface du livre, a approuvé l’étude. « Je me suis assis en silence alors que des sœurs pleuraient en racontant leur histoire. Assez ! Il est grand temps. C’est maintenant l’appel à l’action », a affirmé l’ancien supérieur général de la Congrégation mondiale des Frères des Écoles Chrétiennes. P. Pinto était l’un des panélistes du forum en ligne.
Selon Sœur Hazel D’Lima, les religieuses attendent des prêtres et des évêques qu’ils comprennent et respectent leur rôle dans la mission de l’Église. Au lieu de cela, les sœurs « sont confrontées à un sentiment de rivalité et ont peur de dialoguer. On leur demande trop de choses », a déclaré H. D’Lima, qui a déjà dirigé la section des femmes de la conférence indienne des religieux.
Selon elle, le manque de compréhension et de respect de la part des prêtres rend la mission difficile pour les religieuses. Les prêtres n’ont pas le sentiment de partager la planification et l’exécution des tâches dans le cadre de la mission de l’église, a déclaré H. D’Lima.
« Le dialogue conduit souvent à l’hostilité entre les prêtres et les religieuses », a-t-elle ajouté.
Les chercheurs ont passé des mois à analyser les données, à réfléchir à chaque réponse et au message qu’elle cherchait à transmettre, a expliqué D’Lima.
Selon les personnes interrogées, les relations de travail sont les plus importantes dans le cadre de leur mission visant à instaurer la confiance, la compréhension et l’encouragement. Elles attendent des prêtres et des évêques qu’ils respectent et apprécient leurs efforts, leur potentiel et leur vie religieuse et communautaire.
Le livre indique que les religieuses qui travaillent dans les institutions ecclésiastiques font partie des employés les moins bien payés. Celles qui travaillent à la sacristie ou qui préparent la liturgie ne sont pas rémunérées. Environ 47 des 174 diocèses indiens versent de faibles salaires aux nonnes. La réponse de la hiérarchie a été que les religieuses sont des « collaboratrices » à la mission de l’église.
« Les religieuses sont moins considérées que les autres laïques lorsqu’il s’agit de leur service dans les paroisses, bien qu’elles soient qualifiées et fassent un travail égal. On leur offre une somme dérisoire pour leurs services à plein temps », a déclaré De Souza.
La terre est devenue une « pomme de discorde » dans l’Église, certains religieux se rendant devant les tribunaux civils pour résoudre leurs différends avec les diocèses.
Selon P. Pinto, les diocèses intimident les religieuses, qui hésitent à aller en justice pour obtenir réparation de leurs griefs. Il souhaite que les religieux, en particulier les femmes, fassent plus attention à leurs contrats initiaux avec les diocèses.
« L’église n’est pas seulement l’église hiérarchique. Nous sommes l’église. Le diocèse n’est pas le seul élément de l’église en mission. Nous sommes tous des acteurs sur le terrain et cela doit être reconnu et pris en compte », a déclaré P. Pinto.
Les femmes font vivre l’église, a-t-il affirmé. « Si les femmes cessaient d’aller à l’église, l’église mourrait – quel que soit le nombre d’hommes qui font la queue pour être ordonnés. »
Un autre problème est le chantage sacramentel, ou le refus d’un prêtre de célébrer les sacrements pour des sœurs. Certains prêtres usent de leur pouvoir de manière arbitraire lorsqu’ils refusent de célébrer la messe dans la chapelle du couvent ou qu’ils y retirent le Saint Sacrement.
La plupart des personnes interrogées ont déclaré que les prêtres refusent de dire la messe lorsque les sœurs ne se plient pas à leurs exigences. On attend normalement que le prêtre célèbre la messe une fois par semaine dans un couvent. « Cependant, il y a eu des cas où l’Eucharistie n’a pas été célébrée, même pendant des mois », indique le livre.
« Un tel comportement abusif ne peut être arrêté que si on se refuse à le tolérer », a déclaré Pinto. « Comme le pape François qui a permis à un cardinal d’être jugé pour fraude au Vatican, nous ne devons pas être partie prenante des comportements abusifs. C’est la transparence et un signe de changement », a-t-il ajouté.
De Souza a déclaré que les congrégations religieuses devraient éduquer leurs jeunes à penser de manière critique et à faire face avec courage à des situations pastorales inconfortables et exploitantes.
Elle regrette que de nombreuses religieuses interrompent leur développement spirituel et émotionnel lorsqu’elles rejoignent le couvent. « Que faisons-nous à nos jeunes recrues ? Et cela revient à la question de la formation ».
Selon De Souza, la congrégation religieuse devrait se concentrer sur le développement humain dans la formation de ses nouveaux membres.
« Nous devrions former nos jeunes sœurs aux droits juridiques et humains, à la théologie, à la théologie féministe, à l’appel prophétique et à la mission », a-t-elle souligné. Les jeunes nonnes devraient recevoir un enseignement sur les documents pertinents de l’Église, les tendances émergentes en matière de spiritualité et de vie religieuse, et l’interprétation féministe de la Bible, a-t-elle ajouté.
Elle reconnaît que la tâche à accomplir est immense. « Nous devons conscientiser nos sœurs et notre hiérarchie et être fermes sur le fait que nous déciderons de notre propre avenir et de notre implication dans l’église indienne par et pour nous-mêmes. Nous sommes assez adultes pour nous gérer nous-mêmes », a-t-elle déclaré.
D’Lima souhaite que les religieuses choisissent le service plutôt que la servitude. « L’important est de dialoguer avec ceux qui ont tendance à nous imposer, en faisant connaître notre position avec confiance et conviction menant à une collaboration, plutôt qu’à une situation de ou bien ou bien. »
Elle a cité sa propre expérience lorsqu’elle était supérieure générale de la Société des Filles du Cœur de Marie. Un visiteur apostolique leur a été envoyé « pour des raisons que je ne connaissais pas. Il était censé examiner la gouvernance de ma congrégation et je devais tout lui remettre. Mais je ne l’ai pas fait ».
Elle a été convoquée plusieurs fois au dicastère de Rome pour subir un interrogatoire sur sa gouvernance. « Je n’ai pas engagé d’avocat, mais j’ai répondu honnêtement à tout ce qu’on me demandait de clarifier. J’en ai beaucoup souffert, mais à la fin, non seulement j’ai terminé mon mandat de supérieure générale, mais j’ai été élue pour un second mandat. »
Elle a déclaré que cette expérience l’a convaincue qu’il n’est pas nécessaire de dire oui à tout.
« J’ai pu porter le combat au Vatican, et je crois que la grâce de Dieu était là pour m’aider. Votre conviction dans ce que vous faites et votre foi en Dieu vous donneront le courage d’agir et d’être indépendante. L’Esprit est l’un de nous. Il inspire aussi les femmes ».
Pinto a encouragé le forum : « Les religieuses de notre temps ne peuvent pas permettre à une église qui a grand besoin d’être réformée de perdurer dans cet état de délabrement. Elles doivent prendre la parole. »