Pour un christianisme sans religion
Par Bruno Mori
Recension par Gilles Castelnau
C’est un livre intéressant et agréable à lire, que nous offrent les éditions Karthala. Après avoir publié tous les livres traduits en français de l’évêque américain John Spong, voici une réflexion qui dit dans un langage très clair les raisons pour lesquelles nombre de croyants récusent les attitudes, les enseignements, les choix théologiques du pape et des autorités catholiques.
Il exprime en détail les réticences que l’on peut avoir face à des allégations théologiques et éthiques inacceptables dans le fonctionnement de la « religion » catholique et qui sont de toute façon tout à fait étrangères à la spiritualité que l’on a généralement aujourd’hui.
Loin de s’attaquer à la foi chrétienne et de chercher à en détourner nos contemporains, l’auteur se montre fidèle de Jésus de Nazareth, plein d’une piété, d’un amour et d’une espérance qui pourraient bien, effectivement, ramener les cœurs des mécréants vers leur Dieu.
Le lecteur protestant libéral se réjouira de retrouver dans ces pages ses idées les plus familières sous la plume d’un prêtre catholique.
En voici des passages.
Introduction
Ce travail cherche à saisir les causes qui, en Occident, après deux mille ans de marche triomphale, ont conduit cette religion à traîner péniblement des pieds dans l’indifférence générale de ses anciens admirateurs et pratiquants, pour lesquels elle est désormais devenue une institution hors jeu et dépassée.
Mythes et pensée mythique
La fonction religieuse du mythe
Pendant des siècles, dans notre culture chrétienne et catholique, lorsque les gens se sentaient angoissés, tristes, déprimés, confus, égarés, cela leur procurait le plus grand bien d’écouter les belles histoires que la religion leur racontait sur le bon Dieu là-haut dans son beau paradis, entouré de cohortes d’anges, qui créa le monde en sept jours et les humains à partir de la boue de la terre, en les rendant vivants par le souffle de son esprit.
Nos ancêtres chrétiens se sentaient rassurés d’entendre dire que Dieu ne les quittait jamais de ses yeux, qu’il s’intéressait à toutes leurs affaires, qu’il se préoccupait de leur bonheur, qu’il envoyait son Fils sur terre pour les sauver du mal et du péché, qu’il leur donnait la Vierge Marie comme une douce mère pleine de bonté et de tendresse.
Ils étaient heureux d’entendre dire que Dieu, dans sa grande justice, récompensait les bons avec les joies de son paradis, mais qu’il punissait les vilains méchants dans le feu éternel de l’enfer. Ils étaient stupéfaits et pleins de reconnaissance lorsqu’ils écoutaient le curé leur raconter que le bon Dieu avait inventé la sainte Église avec des prêtres consacrés et célibataires pour s’occuper et se préoccuper du sort de leur âme, une sainte Église épaulée et dirigée par un Pape qui communique directement avec Dieu pour être continuellement au courant de ses pensées, de sa volonté et de ses désirs
[…]
Les religions ont écrit des bibliothèques entières pour énumérer, expliquer et faire connaître dans les moindres détails ce que Dieu est et pense, ce qu’il fait, ce qui lui fait plaisir et ce qui lui déplaît ou le met en colère.
Les religions savent, par exemple, que Dieu est contre le divorce, le préservatif, l’avortement, la fécondation in vitro, l’ordination sacerdotale des femmes, l’homosexualité et le mariage homosexuel…
La création des mythes chrétiens
Le mythe de la Rédemption
Les protagonistes principaux de cette rocambolesque histoire sont d’un côté l’humanité pécheresse et, de l’autre, la divinité blessée, offensée et irritée par la révolte et la méchanceté des humains. Le récit mythique décrit le déroulement et la solution de ce long conflit. Il se déploie en deux phases: d’abord la phase des hostilités ouvertes et ensuite la phase des négociations, des stratégies d’intervention, de la réconciliation et de la paix établies.
Dans la première phase, le mythe raconte que Dieu est contrarié et perturbé parce que l’homme est un pécheur et que son péché le dérange et l’offense. L’homme cependant est pécheur parce qu’il a été corrompu par une « faute originelle ». La faute originelle a été possible – continue le récit mythique – parce que l’homme, frais sorti des mains de son Créateur, n’a pas bien fonctionné selon les plans et les attentes de son divin constructeur. Le mythe poursuit en disant que Dieu, au lieu de s’en prendre à son incompétence de créateur pour avoir produit un tacot, s’en prend, au contraire, à sa créature, en la rendant responsable de sa mauvaise performance.
Dans la deuxième phase, le mythe de la Rédemption se concentre sur le processus de réconciliation entre Dieu et l’homme, en attribuant à Dieu l’initiative et la décision de cette réconciliation et à Jésus-Christ (en tant que Fils-de-Dieu-Incarné) sa réalisation concrète et définitive. Le mythe, toutefois, ne dit pas un mot sur les raisons qui ont induit un Dieu immobile et immuable par définition à changer d’attitude et à se montrer subitement bienveillant et amical avec les pécheurs qu’il avait auparavant toujours détestés.
La religion chrétienne dans la modernité
L’Église catholique au piège du pouvoir
À partir donc du IVe siècle, le christianisme, fort désormais de la protection et de la faveur des empereurs, se configurera sur le modèle de l’ancienne religion païenne impériale (gréco-romaine), en adoptant son vocabulaire, ses rites, ainsi que les formes de sa gouvernance et de sa structure juridique. C’est ainsi qu’entrent dans le langage chrétien les concepts de sacré et de profane, de pontife, de sacerdoce, de prêtre, d’autel, de sacrifice, de hiérarchie, d’autorité, de pouvoir, etc., complètement étrangers aux contenus et à l’esprit des origines.
L’Église catholique et l’obsession morale
Alors que la Planète est gravement malade, alors que partout les gens souffrent et meurent à cause de la cupidité, de l’injustice, de la pauvreté, de la violence, du fanatisme, de l’ignorance et de la stupidité humaine, voilà que les responsables de l’Église occupent aujourd’hui leur temps à parler de sexe, de préservatif, des bienfaits de la virginité et de la chasteté, à interdire la « communion » aux divorcés remariés, à mesurer la longueur des jupes et la profondeur du décolleté des dames qui visitent la basilique Saint-Pierre à Rome, à parler des dommages que l’usage de la pilule ou du condom causent à l’âme, ou encore de l’impossible accès à la prêtrise des baptisés nés avec une vulve au lieu d’un pénis, du célibat obligatoire des prêtres, etc. […]Les papes pensent-ils vraiment que les arguments qu’ils avancent sur la « volonté divine » et la « loi naturelle », pour appuyer leurs exigences éthiques, sont encore susceptibles d’impressionner et de convaincre les gens de la modernité, sans risquer de susciter la dérision ou le sarcasme ?
De nouveaux récits pour une nouvelle humanité
En route vers de nouveaux horizons
Il a donc besoin de récits qui le libèrent. Il ne veut plus d’une religion qui lui impose par la force et la contrainte les comportements à avoir et les « vérités » à croire, en prétextant la docilité et l’obéissance à l’autorité, la fidélité à la tradition, la soumission à la volonté de Dieu. Il refuse une religion qui domine, qui assujettit, qui demande fidélité inconditionnée, soumission totale et obéissance aveugle. Il se révolte contre une religion qui défend le doute, qui n’admet pas le désaccord, qui refuse la discussion, qui condamne la remise en question de ses dogmes et de son autorité. Il est incapable d’adhérer à une religion cramponnée à un passé complètement périmé et qui est foncièrement allergique aux changements et au renouveau.
Il y a nécessité de récits libérateurs, plus réconfortants, plus attrayants pour l’homme moderne.
Des récits pour une nouvelle spiritualité
Dans la religion, Dieu est à l’origine de l’homme ; dans la spiritualité, l’homme est à l’origine de Dieu. Dans la spiritualité, Dieu se révèle à l’homme de l’intérieur ; dans la religion, Dieu se révèle à l’homme de l’extérieur.
Dans la spiritualité, c’est l’homme lui-même qui, dans la grandeur et la beauté de l’Univers, entrevoit l’existence d’une Énergie originelle ou d’un Mystère ultime qui le soutient. Dans la religion, l’existence de Dieu est enseignée, proposée et imposée comme une Réalité ontologique, objective, évidente et extérieure que l’homme doit seulement accepter et à laquelle il doit obligatoirement croire et se soumettre.
Au-delà de la religion
La nécessité de nouvelles stratégies
Jésus dégageait un charme qui séduisait les personnes et qui leur donnait envie de le fréquenter. Son attitude était aimable et amicale, son regard empathique et accueillant, son discours convaincant et pertinent. Il suffisait qu’il dise à certains : « Viens, reste avec moi, suis-moi ! », pour que ces individus abandonnent amis, famille et travail pour le suivre, comme s’ils avaient été hypnotisés.
[…]
C’est uniquement la fréquentation de Jésus de Nazareth qui nous permet de découvrir la formule secrète qui permet de garder au pouvoir séducteur sa qualité bénéfique et vivifiante et qui l’empêche de basculer du côté du pouvoir oppresseur qui humilie, exploite et détruit les personnes. Jésus dans la composition de son pouvoir séducteur a inséré trois ingrédients magiques : la bienveillance, l’amour et la miséricorde.
Jésus a pu séduire parce qu’il a été une personne accueillante et sans préjugés envers tous. Il a pu séduire parce que tous ceux qui l’ont approché ont pu voir, expérimenter et sentir qu’il était un être poussé et motivé, dans tout ce qu’il faisait et disait, par des intentions amicales, bénévoles et désintéressées et qu’il cherchait et voulait uniquement le bien et le bonheur des autres.
Car, finalement, on ne peut être séduit que par un amour qui nous est offert comme un cadeau que nous n’attendions pas ; qui nous surprend et qui soudainement nous fait prendre conscience d’une beauté et d’une valeur que nous portions en nous depuis toujours et que nous n’avions jamais remarquées ou soupçonnées auparavant.
Le christianisme survivra-t-il dans la modernité ?
Or, devant ce changement, ce qui surprend le plus c’est de constater que les autorités religieuses ne semblent ni alertées, ni moindrement concernées par la migration massive de leurs fidèles vers l’univers de la modernité.
[…]
Ce comportement prouve, une fois de plus, le fait que la religion n’aime pas ce qui est « nouveau ». Car le « nouveau» est ce qui ne s’est jamais fait ou dit auparavant. Le nouveau est ce qui ne vient pas de l’intérieur du système, mais de l’extérieur et d’ailleurs. Le nouveau est ce qui ne peut jamais venir de Dieu qui, par nature, est immuable et donc toujours égal à lui-même. Le nouveau est toujours un intrus et un déstabilisateur. Le nouveau est ce qui n’est pas prévu par les normes ; ce dont on ne parle pas dans les livres sacrés, dans la tradition, dans les dogmes et les doctrines établies ; ce qui ne figure pas dans les listes des vérités à croire. Le nouveau est donc toujours suspect.
Le nouveau est toujours quelque chose dont il faut se méfier, ne jamais encourager et, par principe, auquel il faut s’opposer. Le nouveau, en effet, peut se révéler non conforme et donc mauvais et dangereux pour la stabilité de la religion et la paix des croyants. Dans une religion qui se respecte, le nouveau est, par principe, toujours combattu et refusé.
[…]Tant que le christianisme ne se libèrera pas de ce masque, tant qu’il n’aura pas récupéré son vrai visage et montré sa vraie identité, il ne pourra pas exercer son charme, briller de toutes ses lumières, ni mettre en œuvre la force d’attraction dont Jésus l’a doté. C’est justement parce qu’aujourd’hui de plus en plus de personnes ont horreur de ce masque, qu’elles s’éloignent de la religion.
Source : http://protestantsdanslaville.org/gilles-castelnau-libres-opinions/gl1563.htm
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