Ouverture hors les murs
Ce texte de Michel Deheunynck a été publié dans le dernier numéro de la revue « Les Réseaux des Parvis ». Il s’inscrit dans le thème du dossier « En marche hors les murs, foi en partage ».
Nombre d’entre nous et de nos amis ont bien raison de revendiquer un fonctionnement de l’institution ecclésiale exempt de toute discrimination entre ses membres : pleine égalité femmes-hommes-trans, homos-hétéros, décléricalisation du pouvoir, délégation démocratisée pour l’exercice de chaque charge, responsabilité, partagée de tous les baptisés comme « enfants de Dieu ». Et que tous y aient la parole et toute leur place.
Mais quelle parole et quelle place prophétique pour tous les amis du Christ Jésus, témoins de son Évangile et vivant de son Esprit, mais qui ne sont ni rituellement baptisés ni demandeurs d’un quelconque statut cultuel ? Ne sont-ils pas eux aussi « enfants de Dieu » ?
L’amitié du Christ comme lien humain parmi d’autres n’est-elle pas constitutive du baptême au moins autant qu’une onction de corps gras ? Se mouiller avec le Christ, comme lui dans la vie, n’est-il pas aussi engageant que se tremper dans une cuve liturgique ? Cela suppose d’admettre que le premier acte de foi en lui n’est pas dans le culte, mais dans la vie partagée, l’ouverture de chemins nouveaux, l’action solidaire en son nom.
Distants de toute référence religieuse, ils sont pourtant identifiables à la fois à tous ces païens qui, dans les récits évangéliques, ont vécu un lien de proximité plus rapproché et plus authentique avec Jésus et à tous les « humanisateurs » de notre société occidentale désormais largement sécularisée.
Ne sont-ils pas un appel pour les croyants non seulement à se décléricaliser, à se démocratiser, mais aussi à se séculariser, à se « laïciser », à sortir de leurs murs et prendre place tout simplement parmi tous les courants de pensée, chercheurs de sens aujourd’hui, à se remettre en chemin et se laisser convertir, à revivifier ainsi le sens de leur mission ?
La richesse de la JOC d’autrefois (celle de la JOCI – Jeunesse ouvrière chrétienne internationale) était ce qu’on appelait sa « dimension de masse » faite de tous ces jeunes non religieusement croyants, mais qui militaient avec leurs copains croyants de ce mouvement pour la justice, la solidarité, etc. La foi de la JOC était que le Christ Jésus y reconnaissait ses amis autant chez les uns que chez les autres.
Vivre ma foi dans ma vie professionnelle en service public s’est tout à fait accommodé positivement de la laïcité et a trouvé son sens dans l’humanité du service rendu et les combats sociaux nécessaires pour en améliorer les moyens et la qualité.
Vivre ma vocation pastorale comme travailleur du sens plus que comme agent du culte m’a permis d’intégrer la dimension spirituelle, celle qui donne du sens à la prise en charge de la vie et de la santé. Ignorant toute formulation dévotionnelle convenue, beaucoup m’ont exprimé leur propre expression de foi, dans toute sa force et toute son authenticité. Comme ce jeune, J., sans aucune formation scolaire, encore moins catéchétique, martyrisé par ses parents (en prison), demandant dans sa prière spontanée : « Que Dieu leur pardonne tout ce qu’ils m’ont fait… parce que moi… j’essaye, mais… j’y arrive pas ! »
Alors, que notre Église, au-delà de ses indispensables réformes internes, n’oublie pas que l’attachement et la foi au Christ, comme dans l’Évangile, échappent souvent à ses dispositifs institués et toujours améliorables, mais qu’ils sont d’abord en plein cœur de la vie en humanité, parfois même bien loin de ses clochers et de sa tradition, fût-elle très utilement remise à jour.