Voilà que Le Regard du Christ peut enfin trouver à s’incarner par ici
Par Marie Sabine Bertier Blancher
Je viens remercier pour l’article de Dominique Collin, Qu’avons-nous appris de nous ne sachions pas? (Golias 692 rapporté par NSAE 22/10/21, remercier aussi pour celui de Véronique Margron Je ne suis pas catholique (NSAE 16/09/21).
Je rends grâce au ton des auteurs du rapport Sauvé (05/10/21) [1] que leur méthode semble avoir sauvés des égarements de presque tous aujourd’hui, après avoir aidé de très nombreuses personnes blessées, par leur enquête vivifiante, déculpabilisante, proposant un regard compatissant et digne sur soi. Le Christ nous demande à tous, croyants ou non, d’être là, dans une relation personnelle et singulièrement engagée avec chaque personne blessée : la méthode qu’ils se sont choisie a acculé les membres de la commission à cette expérience. Si elles et ils ne connaissent que leur propre face de la relation, elles et ils ont été partie prenante de la relation qu’elles et ils ont établie avec les personnes qui ont été abusées et qu’ils ont rencontrées. Leur corps sait. Leur silence entre les mots le prouve. Leurs recommandations en deviennent presqu’entendables. Elles et ils témoignent qu’elles et ils en ont souffert, mais qu’ils en sont transformés et grandis (comme il nous est dit que Jésus a souffert et est ressuscité, a été ressuscité, étymologiquement réveillé). Seulement presque comme le regard du Christ, leurs recommandations sont déjà quasiment dévoyées, éparpillées au vent des résolutions et promesses désincarnées. Le Christ se fout de savoir si on est en possession d’un pass-croyant, d’un pass-quoi que ce soit, et parce qu’il se fout aussi de savoir que ça s’achète en monnaie d’usage jusque dans le Temple et que ça s’envole comme tout bout de papier.
Le regard du Christ rend toujours à César ce qui relève de César, pour rester fidèle à sa mission : responsabilité tout individuelle de chacune et chacun, regard droit, invitant à la dignité, humble et osant la compassion c’est-à-dire dans une relation personnelle, engagée et engageante pour la restauration de la vie plus vivante chez tous.
Au-delà du concept de la prise en compte des victimes, au-delà de celui de la responsabilité collective, au-delà des recommandations, des promesses, nous avons besoin urgent et massif du regard du Christ incarné aujourd’hui. Aujourd’hui dans mon monde, dans mon pays, dans mon réseau social, dans ma propre famille, ce regard n’est pas assez présent. Depuis la sortie du rapport Sauvé (quel nom quand même !!), alors que j’avais trouvé une sorte d’équilibre suspendue à quelques brindilles, je risque à nouveau de mourir écrasée sous la foule des non-paroles, des non-regards, sous le vide. Aujourd’hui ce vide est véhiculé en fanfare par la médiatisation, de partout tout le temps ces effarements joués par des violons si mal accordés souvent fêlés sur tous les tons et si maladroitement mis en lien avec des réalités sans rapport avec ce qui s’est joué dans la chair de tant de personnes, meurtries, dans leur chair, physique, psychique, affective, sociale, leur chair humaine créée pour être belle et digne et heureuse et libre et joyeuse, par des actes de personnes de chair qui regardent avec des yeux de chair, ineffaçables, répandent des odeurs de chair indélébiles, et par tous les non-actes qui ont suivi et les actes ou non-actes qui ont permis cela ; sans rapport non plus avec ce qui devrait être aujourd’hui.
Il devient urgent d’aller au-delà. Il nous faut croiser dans notre vie quotidienne concrète le regard Christique. J’ai déjà la nausée, je suis au bord de l’asphyxie, je ne suis sûrement pas la seule, deux cents à trois cent mille mineurs au moment des faits, sans compter les femmes et autres adultes dits vulnérables !
Véronique Margron donne ce regard christique, cette présence qui rend dignité, cette écoute qui a l’éternité pour horloge et qui de ce fait rend vie. Elle prend du temps sur son temps pour répondre individuellement et lentement et à plusieurs reprises et en demandant humblement pardon pour sa pauvreté, à des inconnus la sollicitant suite à un abus même soi-disant minime. Je le sais d’expérience. Madeleine Delbrel donnait sans doute elle aussi ce regard, entre tant d’autres. Dominique Collin semble vouloir le partager aussi, avec sa tentative de se renouveler, de se dévoiler, d’ose dire quelque chose neuf sans proposer de prendre la place du roi, de parler en son nom propre, au sujet de toute cette affaire d’abus et donc au sujet de tout. Et beaucoup d’autres qui ne parlent pas beaucoup, souvent dans ce qu’on appellerait les bas-fonds, chez Emmaüs, dans les camps de migrants, chez les trans…. Ils ne sont pas assez nombreux ceux qui figurent le Christ, ceux qui ne s’adressent pas d’abord aux bien-portants ni aux porteurs de pouvoir, mais bien à moi, aux blessé.e.s, écrabouillé.e.s, paralytiques et autres aveugles abandonné.e.s aux carrefours de la foule qui se détourne.
Il en faudrait des foules partout tout le temps, il faudrait que chacune et chacun d’entre toutes et tous deviennent Ce Regard. Une personne n’est ni une victime ou un âge ou un sexe ou une catégorie INSEE, ni un bout ou un révélateur de problème, La nausée revient : une personne est juste cette personne-là dans sa vie encore aujourd’hui. À ce titre elle a besoin d’être regardée comme telle.
Ce regard est urgent, car comme tous le disent : il faut que ça change.
Note de la rédaction :
[1] Dont on peut relire cet extrait : Ces personnes étaient victimes : elles sont devenues témoins et acteurs d’une vérité qui se construisait
En référence de cette nécessaire et incontournable incarnation du Christ éternel en nous et de nous en Lui si nous voulons vivre : « La parole est dans ton corps, S’écouter pour écouter les textes sacrés », en accès libre sur https://psy-brignais.fr/la-parole-est-dans-ton-corps/
Illustration : Sculptures de Giacometti (http://www.dieumaintenant.com/ciasequavonsnousappris.html)