Par Paul Fleuret
Marc 12, 38-44
Dans son enseignement, il disait : « Méfiez-vous des scribes, qui tiennent à se promener en vêtements d’apparat et qui aiment les salutations sur les places publiques, les sièges d’honneur dans les synagogues, et les places d’honneur dans les dîners. Ils dévorent les maisons des veuves et, pour l’apparence, ils font de longues prières : ils seront d’autant plus sévèrement jugés. »
Jésus s’était assis dans le Temple en face de la salle du trésor, et observait comment la foule y mettait de l’argent. Beaucoup de riches y mettaient beaucoup. Une veuve, pauvre, s’avança et mit deux leptes [1] (équivalent à un quadrant [1]). Jésus appela ses disciples et leur déclara : « Amen, je vous le dis : la veuve, celle-ci, la pauvre, a mis dans le Trésor plus que tous les autres. Car tous, ils ont pris sur leur superflu, mais elle, elle a pris sur son indigence : elle a mis tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. »
C’est à Jérusalem, dans le temple. Discussions permanentes et animées entre Jésus et les sadducéens, les scribes, les pharisiens. Ce jour, nous lisons deux petits épisodes que Marc a liés l’un à l’autre autour du mot-crochet veuve.
Le premier nous renseigne tout autant sur le vécu de la communauté primitive que de celui de Jésus. Nous sommes face à une attaque en règle contre les scribes, ces spécialistes de la bible qui étaient pratiquement tous pharisiens. Des hommes qui n’étaient pas prêtres, mais des laïcs. Parmi eux, contrairement à l’impression que donnent les évangiles, on trouvait des hommes ouverts, à la pensée et la spiritualité proches de celles de Jésus, tel celui à qui il dit : « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu. » (Mc 12) Le livre des Actes, presque contemporain du livre de Marc, signale que le pharisien Gamaliel défend les apôtres comparaissant devant le Sanhédrin (Ac 5) ; de même quand Paul est arrêté (Ac 23). Et en 15, 5, on apprend que « des pharisiens étaient devenus croyants » – le plus célèbre étant Saul-Paul. Ceci dit, il est vrai que Jésus a eu fort à faire avec ces pharisiens lors d’âpres discussions. Vraisemblable aussi que certains d’entre eux aimaient se faire remarquer comme des hommes au-dessus du commun des mortels – n’oublions pas que pharisien signifie séparé ! Pire chez certains : de vrais escrocs hypocrites. – Si Marc, 40 ans après Jésus, écrit pour des chrétiens romains d’origine non juive, les conflits avec les pharisiens n’existent pas. Mais Marc veut, en rappelant le passé de Jésus, alerter sa communauté : les défauts des pharisiens du passé peuvent aussi être ceux des chrétiens de la communauté !
Anecdote du vécu de Jésus : une veuve au temple. La situation des veuves était très précaire : elles étaient sans appui, privées de l’assistance d’un homme dans une société très masculine pour ne pas dire phallocrate : « Merci mon Dieu de ne pas m’avoir fait femme [2] » dit la prière matinale des hommes ! Luc, dans les Actes, raconte comment les premiers chrétiens de Jérusalem ont institué un groupe de sept hommes chargés de subvenir aux besoins des veuves du groupe (Ac 6). Et voilà qu’une veuve, pauvre précise Marc, donne de son nécessaire par une réelle piété alors que les riches, faisant semblant d’être généreux, donnent ostensiblement de leur superflu… c’est-à-dire rien ! – Ici encore, Marc s’adresse indirectement à sa communauté… et aux nôtres…
Notes :
[1] Lepte : pièce juive de très peu de valeur ; quadrant : pièce romaine (Marc traduit pour ses lecteurs romains). [2] Talmud – Menahot 43b.Source : Golias Hebdo n°694