Au cours de l’émission « Histoire de » qu’il anime sur France Inter, Patrick Boucheron avait invité le 21 novembre dernier la sociologue Céline Béraud et le médiéviste Arnaud Faussier à approfondir la question des scandales sexuels dans l’Église catholique, en s’intéressant en particulier à la différente appréhension du scandale qu’ont d’une part la société et d’autre part l’Église.
Du point de vue de la sociologue, un état de fait pouvant exister depuis longtemps devient un scandale par la mobilisation qu’entraine sa révélation, souvent due à des lanceurs d’alerte. Cela peut alors faire advenir publiquement une vérité et susciter des changements, des transformations sociales.
Dans le cas qui nous occupe ici,alors que des questions similaires ont été rencontrées – et sont connues – depuis le milieu des année 1980 aux États-Unis, la crise n’a démarré en France qu’en 2019, avec l’affaire Preynat. L’action de l’association « La parole libérée », l’ouvrage « Histoire d’un silence » d’Isabelle de Gaulmyn, le film « Grâce à Dieu » de François Ozon, le documentaire « Religieuses abusées, l’autre scandale de l’Église » d’Éric Quintin, diffusé la même année sur Arte, ont joué le rôle de lanceurs d’alerte. Et aujourd’hui, à la suite du rapport de la CIASE, qui place les victimes au centre, le scandale s’est imposé.
Du point de vue du médiéviste, le scandale est un mot-clef dans l’Église qui, depuis le 12e siècle, à partir de la réforme grégorienne, a construit son droit canonique dans la précaution mise à l’éviter. Dans la conception du droit canonique, le scandale est un mauvais exemple donné aux fidèles, qu’il faut donc éviter de révéler car cela menacerait l’édifice. La considération des victimes n’entre pas en jeu. On mène une enquête discrète, on soumet le coupable à une admonestation fraternelle, à une pénitence.
Le droit canonique étant toujours le même, il n’y a pas lieu de s’étonner que les évêques aient continué à utiliser les mêmes procédures secrètes qui permettent de contourner la sanction publique, qui serait ravageuse pour l’institution, et n’aient pas su mettre les enfants hors de portée des prédateurs.
Arnaud Faussier attire aussi l’attention sur une certaine méconnaissance de l’histoire de sa propre institution dont fait preuve le président de la conférence épiscopale quand il s’exprime sur l’inviolabilité du secret de la confession. Invention tardive, rappelle-t-il, conçue pour éviter que les méfaits de certains prêtres corrompus ou corrupteurs se sachent. Et par ailleurs, dès le 13e siècle l’Église s’autorise à briser le secret dans un certain nombre de cas qu’elle juge graves – c’est de l’hérésie qu’il s’agit.
Écouter la totalité de l’émission : https://www.franceinter.fr/emissions/histoire-de/histoire-de-du-dimanche-21-novembre-2021