Par René Poujol [1]
Dans La Croix du jour (et sur son site) deux opinions à propos de la conférence de presse du pape François à bord de l’avion qui le ramenait de Grèce : celle de mon confrère Patrice de Plunkett et la mienne, ici.
J’ai été frappé, dans les propos du pape, par ses contradictions concernant la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase). Il finit par répondre qu’il n’a pas lu le rapport et qu’il ne sait pas ce que les évêques de France en pensent – il doit recevoir la présidence de la conférence épiscopale les 12 et 13 décembre. Toutefois, dans son développement, il semble reprendre une partie des critiques issues du texte des huit membres de l’Académie catholique de France. Le pape affirme, par exemple, qu’il convient de resituer la question des abus sexuels dans le contexte de l’époque et de ne pas la considérer avec notre sensibilité actuelle. Mais sa prudence quant à l’accueil du rapport va-t-elle plus loin ?
François se met en porte-à-faux. Le rapport de la Ciase démontre le caractère systémique des abus sexuels dans l’Église. Il semble en douter désormais, alors même qu’il fut l’un des premiers à nous alerter sur cet aspect systémique à travers le concept de cléricalisme. Par ailleurs, ces déclarations désavouent l’épiscopat français et les décisions prises dans le prolongement de la Ciase. Ces paroles interviennent au moment où un certain nombre de catholiques en France se reconnaissent dans le rapport et ses recommandations, au point, pour certains d’entre eux, de les porter dans le cadre de la consultation du Synode sur la synodalité.
Alors que le voyage à Chypre et en Grèce a été symboliquement très fort sur la question des migrants, le risque est que chacun ne retienne que ses propos sur Mgr Aupetit et la Ciase. Ces conférences de presse dans l’avion lors des voyages pontificaux sont devenues une institution contestable. Mais toutes les paroles des papes n’ont pas la même portée. Il est évident que dans une encyclique, chaque mot est pesé, contrairement à ces interviews spontanées. Il est pourtant difficile de demander à l’opinion publique, même catholique, de faire une différence nette dans les différents propos du pape et leurs statuts. Alors que sa parole est une parole respectée, nous finissons par ne plus savoir sur quel registre il faut placer telle ou telle intervention. Des propos spontanés et maladroits peuvent, comme ici, participer à discréditer des déclarations très fortes, sur les migrants par exemple.
Je ne veux toutefois pas accabler le pape François pour qui j’ai un grand respect. Le Vatican devrait considérer que ce type d’exercice n’est peut-être pas opportun pour ce pape qui a le droit d’être fatigué après un voyage éprouvant. C’est aussi peut-être le revers de la médaille de sa liberté de parole et de ton. Au départ, sa spontanéité était prophétique : il semblait rompre avec un carcan qui n’avait plus de raison d’être. Mais dans ce cas précis, nous ne sommes plus dans le registre de cette liberté, mais dans quelque chose de contre-productif qui nous fait souhaiter qu’à l’avenir il sache se préserver.
Propos recueillis par Arnaud Bevilacqua
Note :
[1] Blogueur, ancien directeur de rédaction de l’hebdomadaire Pèlerin (Source : https://www.facebook.com/rene.poujol