Deux futures mamans
Par Michel Deheunynck
Lc 1, 39-45
En ces jours-là, Marie se mit en route rapidement vers une ville de la montagne de Judée.
Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth.
Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie de l’Esprit Saint, et s’écria d’une voix forte : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni.
Comment ai-je ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ?
Car, lorsque j’ai entendu tes paroles de salutation, l’enfant a tressailli d’allégresse au-dedans de moi.
Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. »
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Sur la vingtaine de femmes que l’on voit apparaître dans l’ensemble de l’Évangile, en voici deux aujourd’hui qui sont en train de confronter leur expérience de futures mamans, parler de ce qui leur arrive et comment elles le vivent. Et pourtant, que de différences entre elles !
Élisabeth, une femme d’un âge bien mûr et Marie, une jeune fille à peine sortie de l’adolescence ; Élisabeth, femme de Zacharie, prêtre au Temple de Jérusalem et Marie, fiancée à Joseph, artisan charpentier au village de Nazareth ;
Élisabeth qui se croyait trop vieille pour avoir un enfant et Marie qui, elle, se croyait trop jeune pour cela ;
Élisabeth, très liée à la tradition religieuse, qui a appris à connaître Dieu, par les leçons de catéchisme et Marie qui l’a rencontré de façon directement incarnée au cœur même de sa vie… et de son corps ;
Élisabeth qui, pendant 5 mois, s’enferme dans son secret et ne bouge pas de chez elle, en remerciant discrètement Dieu d’avoir mis fin à sa honte de femme sans enfant et Marie qui s’élance joyeusement à l’autre bout du pays, dans la montagne de Judée.
Eh oui, messieurs les chefs religieux d’aujourd’hui, il y a bien différentes manières d’être parent, et d’abord de le devenir !
La petite dit « bonjour » et tout de suite l’ancienne se met à frémir, à trembler, à frissonner. Sans pouvoir l’expliquer, elles se sentent solidaires et se comprennent à demi-mot. Parce que quelque chose a changé leur existence de femmes et a ouvert leur horizon. Et ce quelque chose est en train de bouger en elles. Dans leurs corps, deux futurs destins tragiques et entremêlés : une décapitation en prison et une crucifixion.
Et nous, dans notre monde, comment vivons-nous ce qui bouge dans nos repères habituels, en famille, en société, en Église ? Comment accueillons-nous ceux qui nous bousculent à l’intérieur de nous-mêmes : les différents, les dérangeants, les révoltés ; ceux qui bougent dans notre corps social pour faire reconnaître leurs droits, leur dignité. Comment est-ce que cela remue en nous ?
Cette « visitation » est bien plus qu’un épisode édifiant, c’est l’ouverture d’un avenir radicalement nouveau et le début d’une nouvelle alliance entre notre humanité et Dieu. C’est par son fils devenu homme que Dieu, désormais, nous visite. Et nous, c’est en visitant les autres que nous visitons Dieu. Ce n’est que le début de l’Évangile, mais à la fin, quand nous lui demanderons « Quand t’avons-nous visité ? », c’est ce qu’il nous répondra.
La jeune Marie, elle aussi n’en est qu’au début de l’Évangile, au début de sa vie de mère, de ses surprises, de ses déceptions aussi. Elle croyait que ce qui lui arrivait était la fin de tout. Eh bien non, Marie, tout commence au contraire. Comme ton peuple tant de fois envahi et humilié, tu attends des évènements libérateurs. Et ce chemin de libération sera la solidarité.
Avec ta cousine Élisabeth, comme elle, tu es solidaire de tous ceux qui vivent des situations qui changent et renouvellent leur vie. À Noël, tu seras solidaire de tous les exclus. Au Temple tu seras solidaire de tous les parents qui découvrent leur enfant différent de ce qu’ils croyaient. À Cana, tu seras solidaire de tous ceux qui veulent faire de cette vie une vraie fête pour tous. Et au pied de la croix, tu seras solidaire de tous ceux qui vivent des évènements déchirants, mais qui savent que l’on peut toujours aller plus loin.
Tu vois, Marie, tu n’es pas encore au bout du chemin (on te retrouvera 18 fois dans l’Évangile) et tu n’en demandais sûrement pas tant. Comme Élisabeth, nous nous sentons proches de toi. Et, comme elle, nous sommes heureux de te saluer !
Source : La périphérie : un boulevard pour l’évangile ? – Michel Deheunynck (éd. Temps Présent), p. 181