Par Christine Schenk
Lors de la messe de la veille de Noël, demandez à votre pasteur de lire les 25 versets de l’Évangile de Matthieu plutôt que d’utiliser la version abrégée qui omet la généalogie. Je sais que la proclamation de la généalogie de Matthieu peut être fastidieuse pour des oreilles contemporaines, mais elle contient des informations essentielles sur l’étonnante – et parfois troublante – imprévisibilité de Dieu.
Les généalogies étaient importantes dans l’antiquité. Elles cherchaient à expliquer la signification d’une personne à la lumière de l’histoire globale de ceux qui l’avaient précédée et permettaient d’établir l’identité et d’authentifier le statut d’une personne importante, comme celui d’un roi ou d’un prêtre. Si certains traits ancestraux réapparaissaient chez les descendants, une généalogie pouvait également révéler quelque chose sur le caractère de cette personne.
La généalogie de Matthieu s’efforce de relier la naissance de Jésus à Joseph et à la fière lignée patriarcale davidique dont tout bon Juif savait que le Messie viendrait (voir Jérémie 23:5-6) : « Le livre de la généalogie de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham ». Immédiatement, nous savons que Matthieu dit que Jésus est le Messie tant attendu et que sa lignée peut être retracée jusqu’à David, puis jusqu’à Abraham.
Il y a un problème avec cette affirmation : Jésus est le fils de Marie, et non de Joseph.
Matthieu lui-même l’explique tranquillement au verset 16 : « et Jacob, le père de Joseph, l’époux de Marie, de laquelle est né Jésus, qui est appelé le Messie. »
Nous avons donc ici une généalogie élaborée et minutieuse créée pour prouver les liens ancestraux de Jésus avec les rois et patriarches masculins d’Israël alors qu’en fait, comme l’explique le verset 19, il est né de Marie par la puissance du Saint-Esprit. Pas par Joseph. Pas par la puissance patriarcale.
C’est suffisant pour faire rire toute féministe qui se respecte.
Le discours prononcé en 1851 par Sojourner Truth en faveur du droit de vote des femmes est assez éloquent à cet égard :
Puis ce petit homme en noir là-bas [vraisemblablement un prédicateur], il dit que les femmes ne peuvent pas avoir autant de droits que les hommes, parce que le Christ n’était pas une femme ! D’où vient votre Christ ? D’où vient votre Christ ? De Dieu et d’une femme ! L’homme n’avait rien à voir avec lui.
« L’homme n’a rien à voir avec Lui. » Si cela constitue une rhétorique plutôt amusante au 21e siècle, cela ne fonctionnait pas aussi bien pour les sensibilités pastorales du premier siècle. Pour le bien de la communauté judéo-chrétienne à laquelle il s’adresse, Matthieu doit relier Jésus aux patriarches hébreux et expliquer les événements inhabituels entourant la grossesse de Marie – le tout dans le contexte de la tradition et de l’histoire juives.
Il y parvient et c’est tout simplement magistral.
En plus de Marie, quatre femmes sont intégrées dans la généalogie de Matthieu : Rahab, Tamar, Ruth et « la femme d’Urie » (alias Bethsabée). Ces quatre femmes ont joué des rôles essentiels dans l’histoire juive et, selon le célèbre bibliste Raymond Brown, elles ont été considérées dans le judaïsme post-biblique comme des instruments du Saint-Esprit. Les quatre femmes avaient toutes quelque chose d’irrégulier – certains diraient de scandaleux – dans leurs unions avec leurs partenaires.
Qu’est-ce qui pourrait mieux témoigner de la puissance d’un Dieu imprévisible que de susciter le Messie tant attendu à partir du moins puissant des humains – un enfant né d’une mère célibataire ?
Rahab (Josué 2:1-24 ; 6:1-2, 15-25) tenait une maison close à Jéricho. Josué a envoyé deux hommes pour reconnaître la ville avant le siège prévu. Rahab avait glané de nombreux renseignements auprès de sa clientèle et les avait communiqués aux espions de Josué. Elle a vu que les Hébreux allaient l’emporter : « Je sais que Dieu vous a donné ce pays. La peur s’est abattue sur nous. … » Rahab cacha les espions de Josué et les aida à s’échapper. En retour, elle reçut un passage sûr pour toute sa famille et sa maison. Rahab devint la mère de Boaz et, selon la tradition rabbinique, fut l’ancêtre de huit prophètes, dont Jérémie et Huldah.
Le premier mari de Tamar (Gn 38, 6-30 ; 1 Ch 2, 3-6), Er, qui n’avait pas eu d’enfants, est mort. Comme le voulait la coutume, son beau-père Juda l’a donnée à son deuxième fils Onan pour que son frère décédé ait un héritier. Mais Onan se retira avant que son sperme ne puisse pénétrer dans Tamar et, en guise de punition, il mourut également. Juda, effrayé, refusa de donner son troisième fils à Tamar, mais il ne la libéra pas non plus du lien du lévirat pour qu’elle puisse se remarier. Comme dans l’Antiquité, le premier devoir d’une femme était de produire un héritier mâle, Tamar, pleine de ressources, s’est déguisée en prostituée du Temple et a séduit Juda. Elle lui a également demandé des objets personnels en gage de paiement futur. Tamar est tombée enceinte et lorsque Juda a voulu la brûler pour s’être prostituée, elle a été sauvée en lui montrant son gage. « Elle est plus dans son droit que moi », dit Juda. Tamar a donné naissance à des fils jumeaux, dont Pereç, qui ont perpétué la lignée abrahamique.
Ruth (Ruth 1-4) était une étrangère, une Moabite dont la belle-mère Noémi avait émigré de Juda à Moab pendant une période de famine. Après la mort des maris des deux femmes, Noémi a décidé de retourner en Juda. Ruth, qui n’avait pas d’enfant, insista pour rentrer avec elle. Sa fidélité à Noémi est commémorée jusqu’à ce jour par l’hymne de mariage populaire « Où que tu ailles, j’irai » (Ruth 1:16). À leur retour, Noémi a encouragé Ruth à chercher un riche parent, Booz, dans l’espoir de remplir l’obligation du lévitique d’engendrer un enfant pour son mari décédé. Ruth s’exécute et Booz l’épouse. Elle donna naissance à Obed, le grand-père de David.
Bethsabée (2 Sam 11, 1-27 ; 12, 1-25 ; 1 Rois 1-40 ; 2, 13-25) était la belle épouse d’Urie le Hittite. Un jour qu’elle se baignait, le roi David, qui se promenait sur le toit du palais, l’a vue. Il l’a fait venir dans sa chambre, l’a probablement violée et fécondée. Il a ensuite essayé de dissimuler l’affaire et a ordonné à Urie de rentrer chez lui après la bataille, en espérant qu’il coucherait avec sa femme. Mais Urie a refusé de prendre du plaisir alors que ses compagnons d’armes étaient en train de mourir. David a alors fait envoyer Urie au front où il a été tué. Il prit Bethsabée comme l’une de ses huit femmes et dix concubines. Après que le prophète Nathan ait réprimandé David, l’enfant mâle du couple est mort. David a de nouveau fécondé Bethsabée, qui a donné naissance à Salomon. Bethsabée a ensuite mené des intrigues de palais pour s’assurer que son fils, Salomon, succède à David comme roi.
Matthieu présente ces quatre femmes comme des exemples de la façon dont un Dieu imprévisible a utilisé l’initiative et le courage des femmes de manière inattendue pour influencer la lignée du futur Messie.
Dans son livre classique sur les récits de l’enfance, The Birth of the Messiah, Brown explique :
C’est la combinaison de l’union scandaleuse ou irrégulière et de l’intervention divine à travers les femmes qui explique le choix de Matthieu dans la généalogie. … Matthieu a choisi des femmes qui préfigurent le rôle de Marie, l’épouse de Joseph. Aux yeux des hommes, sa grossesse était un scandale puisqu’elle n’avait pas vécu avec son mari ; pourtant, l’enfant a bien été engendré par l’Esprit Saint de Dieu, de sorte que Dieu est intervenu pour réaliser l’héritage messianique.
Qu’est-ce qui pourrait mieux témoigner de la puissance d’un Dieu imprévisible que de susciter le Messie tant attendu à partir du moins puissant des humains – un enfant né d’une mère célibataire ? Quel meilleur témoin qu’un fils qui n’a apparemment pas de père biologique, et qui ne peut donc pas prétendre au privilège patriarcal ?
Dans le Women’s Bible Commentary, Amy Jill Levine, spécialiste du Nouveau Testament, observe que la naissance non conventionnelle de Jésus « indique la restructuration de la famille humaine : en dehors des modèles patriarcaux, elle n’est ni dirigée ni même définie par un chef de famille masculin ».
Avec une telle généalogie, il n’est pas surprenant que Jésus – enseigné au Magnificat par sa mère – ait consacré sa vie à relever les humbles, à disperser les orgueilleux et à combler les affamés de bonnes choses.
À l’ère messianique, la « famille » allait être redéfinie par les chrétiens comme découlant du pouvoir de Dieu de sauver par Jésus, plutôt que du pouvoir patriarcal humain. Les premières communautés chrétiennes considéraient leur parenté en Christ comme une identité familiale première.
Noël est un moment privilégié pour célébrer le Dieu imprévisible de Jésus, qui confond souvent les attentes humaines les plus profondément ancrées.
Cela peut être effrayant. Mais cela peut aussi être libérateur.
Comment allez-vous témoigner du Dieu imprévisible de Jésus dans un monde patriarcal qui a encore si profondément besoin d’une grâce transformatrice ?
