Par Juan José Tamayo
Résumé :
« Le 3 janvier 1979, le Saint-Siège et le gouvernement espagnol ont signé quatre accords au Vatican. Il ne s’agissait pas de la suppression du “Concordat en vigueur depuis 1953”, mais de sa révision ou, plutôt, de certains ajustements ».
« Les signataires de ce “Concordat entre le Saint-Siège et l’Espagne” l’ont fait “au nom de la Sainte Trinité” et “en accord avec la loi de Dieu et la tradition catholique de la nation espagnole” ».
« Ces accords sont considérés comme préconstitutionnels et même anticonstitutionnels, car, bien qu’ils aient été signés trois jours après la publication du texte constitutionnel au B.O.E., les négociations se sont déroulées sur une longue période de temps avant l’approbation de la Constitution. »
« Les évêques espagnols doivent apporter leur soutien à la conformation d’un État laïque, qui n’est pas contre les religions et ne les persécute pas. »
« La récente rencontre au Vatican avec le pape François de la deuxième vice-présidente du gouvernement, Yolanda Díaz, aurait été une occasion très opportune. »
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Le 3 janvier 1979, le Saint-Siège et le gouvernement espagnol ont signé au Vatican quatre accords : affaires juridiques, économiques, éducatives et culturelles, assistance religieuse aux catholiques dans les forces armées et service militaire pour les clercs et les religieux. Il ne s’agissait pas d’abolir le « Concordat en vigueur » depuis 1953, mais de le réviser, ou plutôt de procéder à quelques ajustements qui laissent intact le noyau fondamental de l’ancienne alliance entre l’État espagnol et l’Église catholique romaine, au profit de cette dernière et sans contrepartie pour l’État.
Les signataires de ce « Concordat entre le Saint-Siège et l’Espagne » étaient Monseigneur Domenico Tardini, nommé plénipotentiaire par le pape Pie XII, Alberto Martín Artajo, ministre espagnol des Affaires étrangères, et Fernando María Castiella, ambassadeur d’Espagne auprès du Saint-Siège, au nom de Francisco Franco. Ils l’ont signé « au nom de la Sainte Trinité » et « en conformité avec la loi de Dieu et la tradition catholique de la nation espagnole ».
Les signataires des accords de 1979 étaient, pour le gouvernement espagnol, Marcelino Oreja Aguirre, ministre des Affaires étrangères, et, pour le Saint-Siège, le cardinal Jean Marie Villot, secrétaire d’État du Vatican. La signature a eu lieu trois jours après la publication du texte constitutionnel, mais les négociations ont eu lieu, dans l’obscurité et sans sténographes, pendant une longue période avant l’approbation de la Constitution. C’est pourquoi elles sont considérées comme préconstitutionnelles, voire anticonstitutionnelles, car elles ne respectent pas la laïcité et la neutralité de l’État en matière religieuse, ni le principe de l’égalité de toutes les religions devant la loi.
Depuis lors, les différents gouvernements qui se sont succédé en Espagne ont maintenu intacts ces accords, qui reconnaissent des privilèges éducatifs, économiques, fiscaux, culturels, juridiques et même militaires similaires à ceux dont jouissait l’Église catholique pendant la dictature et reconnus par le Concordat de 1953, et les ont même augmentés, comme dans le cas de l’abattement fiscal, puisque, pendant le premier gouvernement de Rodríguez Zapatero, le pourcentage à donner à l’Église catholique dans la déclaration de revenus est passé de 0,52 à 0,70, ce qui a signifié ces dernières années la collecte de plus de 280 millions reçus par la Conférence épiscopale espagnole sans aucune compensation. Avec une telle attitude, tous les gouvernements, de droite, du centre et de gauche, sont devenus les otages de la hiérarchie catholique.
Mais la responsabilité n’incombe pas uniquement à ce gouvernement et aux précédents. L’épiscopat espagnol a une grande responsabilité, et même plus grande, puisque, grâce à ces Accords – un Concordat déguisé – il continue à bénéficier d’avantages substantiels auxquels il ne veut pas renoncer, bien qu’il soit conscient de la discrimination évidente envers les autres religions que provoque sa situation.
Au nom de la cohérence évangélique et du respect de la séparation entre l’Église et l’État, c’est la hiérarchie elle-même qui devrait prendre l’initiative de renoncer aux avantages suivants : des exonérations fiscales ; des abattements fiscaux ; des dizaines de milliers de propriétés qui ne lui appartiennent pas et qu’elle a immatriculées en son nom en vertu d’une loi franquiste de 1946, actualisée par Aznar en 1998 au profit de l’Église catholique ; l’enseignement confessionnel de la religion catholique dans les écoles et le soutien à une matière non confessionnelle de l’histoire des religions dans le contexte de l’histoire des cultures ; le Vicariat général militaire (catholique), ce qui implique une militarisation de facto de l’Église catholique et la confessionnalisation de l’armée ; l’« exonération totale et permanente de l’impôt foncier » sur de nombreuses propriétés, ainsi que « de l’impôt sur les biens ou les produits, sur le revenu et sur la fortune ».
La hiérarchie catholique doit soutenir la réforme de l’article 16.3 de la Constitution, qui constitue une contradiction in terminis et place l’Église catholique dans une situation de privilège constitutionnel par rapport aux autres religions. Le texte ne pourrait être plus explicite quant au privilège constitutionnel de l’Église catholique, qui implique une grave injustice religieuse et une atteinte à la laïcité de l’État :
« Aucune confession ne doit avoir un caractère étatique. Les pouvoirs publics tiennent compte des convictions religieuses de la société espagnole et entretiennent des relations de coopération avec l’Église catholique et les autres confessions religieuses ».
Ce qui est affirmé dans la première partie de l’article 16.3 est nié dans la deuxième partie. Plus cohérent en la matière me semble être l’article 3 de la Constitution de la Seconde République espagnole, qui ne laissait aucune place au doute sur la laïcité de l’État espagnol : « L’État espagnol n’a pas de religion officielle ».
Les évêques espagnols devraient soutenir l’établissement d’un État laïque, qui n’est ni contre les religions ni ne les persécute, mais qui constitue le cadre politique et juridique favorisant le respect de la liberté de conscience, y compris la liberté religieuse et les différentes formes d’incroyance religieuse.
Tant que ces renonciations n’auront pas lieu ou ne seront pas exigées par le gouvernement, la hiérarchie catholique continuera à être un pouvoir de fait, légitimé même constitutionnellement, prétendra être une partie négociante au même titre que les autres pouvoirs en matière d’État, et la nécessaire transition religieuse, qui est sans doute la plus tardive de toutes les transitions des quarante-cinq dernières années, continuera à ne pas avoir lieu.
La récente rencontre au Vatican avec le pape François de la deuxième vice-présidente du gouvernement, Yolanda Díaz, dont elle est sortie fascinée et qu’elle a décrite comme « l’une des conversations les plus intéressantes que j’ai eues de ma vie », aurait été une occasion très opportune pour évoquer avec lui l’abrogation des accords avec le Saint-Siège, que réclament de nombreux secteurs chrétiens, mouvements sociaux et partis politiques. D’après les informations que nous avons reçues sur la réunion, qui a fait l’objet d’une large publicité, il semble que le sujet n’ait même pas été abordé. Si c’est le cas, c’est une autre opportunité gâchée !