« Essayez au moins de tendre la main ! »
Par Jose Kavi
La responsable de l’organisation des religieuses catholiques en Inde a exhorté le cardinal Oswald Gracias de Mumbai à tendre la main à la religieuse accusatrice et à ses soutiens dans l’affaire de viol récemment conclue et a exprimé la solidarité des religieuses en Inde avec la plaignante.
« Nous aimerions que les autorités de l’Église essaient, au moins maintenant, de tendre la main à la survivante et à ses compagnes et leur offrent un soutien par tous les moyens possibles, y compris financiers, spirituels et psychologiques », dit une lettre que Sr Mary Nirmalini du carmel apostolique a écrite au cardinal, qui est le président de la Conférence des évêques catholiques de l’Inde.
Sr Nirmalini, présidente de la Conférence des religieuses de l’Inde, a envoyé la lettre du 20 janvier près d’une semaine après qu’un tribunal du Kerala, dans le sud de l’Inde, ait acquitté l’évêque Franco Mulakkal de Jalandhar dans l’affaire historique du viol d’une religieuse [1].
Sr Nirmalini a également déclaré que les religieuses en Inde expriment leur solidarité avec « la victime survivante et ses compagnes qui ont soutenu la victime avec beaucoup de courage, de dignité et de détermination dans leur lutte pour la justice ».
La lettre, approuvée par l’ensemble des responsables de la section féminine de la Conférence des Religieux en Inde, salue le « rôle prophétique » des soutiens de l’accusatrice, qui ont élevé leur voix contre « un système injuste et épouvantable, au sein de l’Église ».
La lettre regrette que personne n’ait prêté attention à l’accusatrice lorsqu’elle s’est adressée à plusieurs autorités de l’Église avant d’être obligée de s’adresser au public et au tribunal pour demander justice.
« Ses sœurs de compagnie ont eu le cran de combattre le pouvoir et la puissance de l’évêque Franco. Les sœurs, sans soutien financier ou autre de la part de l’Église, ont vu leur dignité de femme bafouée par les nombreuses façons dont le pouvoir était exercé contre elles », indique la lettre, que beaucoup considèrent comme la première réponse de la Conférence des Religieux en Inde depuis que l’affaire a été portée devant les tribunaux.
Le juge de la cour de district et de session supplémentaire G. Gopakumar a déclaré le 14 janvier que l’accusation n’avait pas réussi à prouver les charges contre l’évêque.
La sœur dans cette affaire, ancienne supérieure générale des Missionnaires de Jésus, congrégation diocésaine de Jalandhar, avait en juin 2018 accusé Mulakkal de l’avoir violée 13 fois entre 2014 et 2016.
Le tribunal, qui a entendu 39 témoins de l’accusation et cinq de la défense, a rejeté son allégation comme non fiable, citant plusieurs divergences dans sa déclaration.
« Lorsqu’il n’est pas possible de séparer le vrai du faux, lorsque le grain et l’ivraie sont inextricablement mélangés, la seule voie possible est d’écarter les preuves in toto », a déclaré Gopakumar dans son verdict.
« Dans ces circonstances, cette cour ne peut pas se fier au témoignage solitaire d’une victime de viol et déclarer l’accusé coupable des infractions qui lui sont reprochées. En conséquence, j’acquitte l’accusé de ces infractions », a ajouté le juge.
Sr Nirmalini, qui dirige la section féminine de la Conférence des Religieux en Inde, a déclaré qu’elle avait écrit cette lettre « le cœur lourd, car j’ai été inondée d’appels téléphoniques de religieux et de religieuses ainsi que de femmes laïques de toute l’Inde » après le verdict.
« Le problème ici n’est pas tant que la plupart des religieuses soient complètement déconcertées par un verdict totalement inattendu contre les sœurs, mais qu’une partie du clergé et des gens ont célébré le verdict comme une victoire pour l’Église », a déclaré Nirmalini.
Elle a souligné que dès le début de l’affaire, l’accusatrice et ses compagnes ont été soumises à toutes sortes d’insinuations et d’insultes. Pratiquement aucune autorité ecclésiastique ne les a soutenues, a-t-elle ajouté.
« Comment se fait-il qu’un évêque accusé de viol fasse partie de l’Église et que la victime et ses partisans n’en fassent pas partie ? À notre avis, c’est une honte. En outre, la plupart des sœurs, dont moi, expriment une incrédulité et un choc complets face au verdict dans ladite affaire où les sœurs ont apparemment été privées de justice. »
Des questions similaires ont été soulevées précédemment par Sisters in Solidarity, un forum national de femmes catholiques, tant religieuses que laïques.
Sr Nirmalini s’est réjouie du fait que l’accusatrice et l’accusation prévoient de faire appel du verdict devant une juridiction supérieure, car elles estiment que la justice leur a été refusée.
« Quelle que soit l’issue de leur appel devant la cour supérieure, notre préoccupation majeure est maintenant de savoir si l’Église dispose d’un forum où les femmes religieuses qui souffrent d’abus sexuels de la part de leurs patrons, qu’ils soient prêtres ou évêques, peuvent présenter leurs cas et où elles seraient entendues avec sympathie. »
Nirmalini a attiré l’attention du cardinal, qui fait partie des principaux conseillers du pape François, sur le fait que les femmes religieuses n’ont aucun pouvoir ni aucune juridiction dans l’Église, alors qu’elles rendent « un service incroyable dans la société et sont le visage de l’Église. »
« Où devons-nous aller ? Toutes les religieuses doivent-elles frapper aux portes du tribunal pour obtenir justice ? Nous nous demandons vraiment si cela incitera d’autres femmes à se manifester ou si elles n’auront d’autre choix que de souffrir en silence », indique la lettre.
Le 23 janvier, le Mouvement indien des femmes chrétiennes, qui est un groupe œcuménique, a adressé une autre lettre ouverte aux dirigeants de diverses églises du pays, dans laquelle il dénonce le verdict et soutient la religieuse.
« Nous demandons aux dirigeants de l’Église de rendre compte de leur attitude depuis que la sœur survivante a courageusement parlé de son épreuve », indique la lettre, publiée par Aruna Gnanadason, responsable de l’équipe nationale de l’Indian Christian Women’s Movement. « L’Église n’a pas réagi comme elle aurait dû – les lettres d’appel qu’elle a envoyées à la direction de l’Église ont été ignorées ; l’Église est restée silencieuse face à son humiliation au tribunal. »
La lettre demande une action supplémentaire au nom de la sœur. « Nous demandons à l’Église de mettre en place une enquête indépendante et impartiale sur les circonstances qui ont conduit à cette issue en première instance », indique la lettre. « Nous exigeons que justice soit faite. »
Note :
[1] Voir : L’évêque Franco Mulakkal victorieux !