LA RÉVOLUTION DE LA MISÉRICORDE et UN NOUVEL ŒCUMÉNISME
Par Peio Ospital
Je me propose de vous faire part ici des réflexions et propositions du théologien tchèque Tomas HALIK à propos de l’indispensable réforme interne que devrait conduire l’Église pour sortir de son confinement spirituel.
Tomas HALIK est professeur de philosophie et de sociologie de la religion à l’Université de Prague. Il fut ordonné prêtre clandestinement durant le régime communiste. Dans un article paru dans La Croix du 03/12/2020, il se montre particulièrement inquiet du fossé qui grandit au sein de l’Église catholique entre partisans d’une religion légaliste, tournés vers le passé, et les défenseurs d’une révolution de la miséricorde, attentifs aux signes des temps. « Comprendre le langage de Dieu dans les événements de notre monde exige l’art du discernement spirituel », dit-il. « Il nous faut comprendre qu’un chapitre de l’histoire du christianisme arrive à son terme et qu’il est temps de se préparer pour un nouveau… Nous avons beaucoup trop cherché à convertir le monde et beaucoup moins à nous convertir nous-mêmes par un changement radical de l’« être chrétien ».
Quel est le style de réforme de l’Église que veut impulser le pape François, s’interroge-t-il ? Le Pape n’est pas un révolutionnaire qui veut changer la doctrine de l’Église. Ce n’est pas un théologien progressiste, mais il est miséricordieux. La miséricorde est la clé pour comprendre sa personnalité et sa réforme. Il ne change pas les normes écrites, il ne détruit pas non plus les structures extérieures, mais il transforme la praxis et la vie. Il ne change pas l’Église de l’extérieur, mais il la transforme beaucoup plus profondément, spirituellement, de l’intérieur. C’est par l’esprit de l’Évangile qu’il transforme l’Église : c’est une révolution de la miséricorde. Il nous appelle à agir comme de libres enfants de Dieu, en exerçant de façon responsable la liberté que le Christ nous a offerte et en ne nous soumettant pas à un nouveau joug de l’esclavage de la religion légaliste.
À la ligne horizontale de la « fraternité humaine » dont le Pape parle dans l’encyclique Fratelli tutti, il convient d’adjoindre la ligne verticale de l’amour en tant que miséricorde infinie dépassant toutes les frontières humaines. Ceci doit demeurer, bien sûr, un idéal qu’il faut se garder d’ériger en « loi », c’est-à-dire une impulsion constamment provocante et prophétique.
« En ces temps où sévit le coronavirus, je ne peux m’empêcher de m’inquiéter d’une autre pandémie, celle du fondamentalisme et du sectarisme », dit Tomas HALIK. Et il ne cache pas son scepticisme : « Le dialogue œcuménique au sein de l’Église catholique est-il même possible ? Je trouve le dialogue interreligieux, et surtout le dialogue avec des personnes cultivées et sérieuses en dehors de l’Église, tellement plus facile que toute discussion avec des gens qui combinent la religion avec des démarches populistes et nationalistes… N’est-il pas temps d’abandonner les poursuites de l’œcuménisme de “tous les chrétiens” et de se concentrer plutôt sur l’approfondissement d’un œcuménisme fécond (partage, synergie et enrichissement mutuel) entre personnes avisées, aussi bien croyantes que non croyantes ? Certes, nous récitons le même Notre Père et le même Credo. Cependant, je crains que nous vivions dans des univers parallèles inconciliables. La différence se trouve dans le “cœur” des gens. »
Il est des différences que Tomas HALIK considère comme insurmontables. En effet, pour un grand nombre de chrétiens d’aujourd’hui, le contenu positif de la foi s’est vidé. Dans leur quête d’« identité chrétienne », ils sont conduits à s’engager dans des « guerres culturelles » contre les préservatifs, l’avortement, le mariage homosexuel, etc. Le Pape François dénonce en termes crus ce type de catholicisme en le qualifiant de réducteur et d’« obsession névrotique ». Selon HALIK, le Pape François, par sa compréhension de l’Évangile et son attitude envers la création et les personnes, montre de façon prophétique ce que demain nous appellerons le christianisme.
Traduction d’un article paru dans la revue basque HERRIA
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