C’est le désespérant dénouement de cette affaire dont nous avons régulièrement publié ici les péripéties [1], nous engageant dans le soutien à la cause des religieuses [2]. Le juge Kottayam G. Gopakumar vient de prononcer l’acquittement de l’évêque Franco Mulakkal de Jalandhar dans l’affaire historique du viol d’une religieuse, déclarant que l’accusation n’avait pas réussi à prouver les charges retenues contre lui.
L’acquittement a été prononcé au motif que les infractions ne pouvaient être prouvées au-delà de tout doute raisonnable.
Nous publions ici la présentation et l’analyse qu’en fait la théologienne indienne Virginia Saldanha, membre de Sisters in Solidarity (Sœurs en solidarité) et du Mouvement indien des femmes chrétiennes.
Le verdict dans l’affaire Mulakkal rend les religieuses plus vulnérables aux abus sexuels commis par le clergé
L’acquittement de l’évêque Franco Mulakkal de Jalandhar dans l’affaire de viol déposée contre lui par l’ancienne supérieure générale de la congrégation diocésaine des Missionnaires de Jésus en juin 2018 a choqué non seulement ses partisans, mais de nombreuses féministes et d’autres bien-pensants du pays.
Sisters in Solidarity, le groupe de femmes militantes, de religieuses et d’avocates qui accompagnent les sœurs, les soutenant de différentes manières jusqu’au bout, est pétrifié d’incrédulité. En examinant le jugement, il est clair que l’avocat de la défense de l’évêque, grassement payé, a utilisé habilement des détails techniques pour manipuler les faits et les preuves afin que le juge déclare finalement dans son ordonnance : « Lorsqu’il n’est pas possible de séparer le vrai du faux, lorsque le grain et l’ivraie sont inextricablement mélangés, la seule solution possible est de rejeter les preuves in toto ». Il a conclu : « Cette cour n’a pas pu se fier au témoignage solitaire de la PW1 [la religieuse plaignante] et déclarer l’accusé coupable des infractions qui lui sont reprochées ».
L’évêque a été accusé de séquestration, de viol, de relations sexuelles contre nature et d’intimidation criminelle à la suite de 13 incidents présumés survenus lors de ses visites à la pension du couvent entre 2014 et 2016, ce qui fait de lui le premier évêque catholique en Inde à être accusé et jugé pour le viol d’une religieuse. Le verdict a été rendu le 14 janvier par un tribunal d’instance du district de Kottayam, dans l’État du Kerala (sud-ouest de l’Inde), la juridiction la plus proche du lieu des crimes présumés.
Mulakkal est sorti du tribunal en jubilant, et a dit « Louons Dieu ! ». Quel Dieu accepterait ses louanges ? Je crois qu’il y avait des gens qui dansaient de joie, criant que l’Église avait gagné. Encore une fois, quelle Église ? Considérant que la religieuse survivante est issue de la même tradition religieuse, pensent-ils que Dieu favorise l’homme par rapport à la femme ? Ou que Dieu approuve la misogynie et la violence envers les femmes pour bénir l’accusé par un acquittement ?
Le Kerala étant un État à forte population catholique, où l’Église catholique tient le haut du pavé par son influence sociale et son poids politique, celle-ci exerce un pouvoir considérable. Il n’est pas surprenant que les pouvoirs en place l’aient emporté. Le patriarcat et la misogynie ont gagné.
Ce qui est choquant, c’est la raison de l’acquittement. Un officier de police senior, qui a dirigé l’enquête sur la plainte lorsqu’elle a été déposée en 2018, a déclaré qu’il était choqué par le verdict, car il avait construit un dossier en béton contre l’accusé.
Lors d’un talk-show télévisé, l’ancienne présidente de la Commission nationale pour les femmes en Inde a souligné que le jugement n’est pas fondé sur la lettre et l’esprit de la loi.
Les femmes sont profondément consternées, car un tel jugement dissuade toute autre religieuse de se manifester et de signaler un viol. Une religieuse m’a dit : « Maintenant, les femmes prendront garde de se manifester si elles n’ont pas de preuves solides ou elles seront encore plus humiliées si elles signalent un viol ». En plus de cela, l’accès d’un homme au pouvoir de l’argent est bien plus important que celui d’une femme.
Dans l’Église catholique, on fait aveuglément confiance au clergé et on l’admire en tant que représentant de Dieu. Ainsi, lorsqu’un prêtre – et plus encore un évêque – s’impose soudainement à une femme, celle-ci est prise par surprise et son esprit se vide. Elle ne sait pas comment traiter ce qui se passe, son esprit s’emballe et elle est également emplie de peur. Ayant été éduquée à croire que les femmes sont des tentatrices, elle se demande si elle n’a pas fait quelque chose pour provoquer l’abus.
Prenez le cas de cette religieuse relativement jeune, qui a rejoint le couvent depuis sa ville natale du Kerala. Elle s’est rendue à Jalandhar, à près de 3 000 km au nord de l’Inde, à l’âge de 15 ans, encouragée par un prêtre de ce diocèse venu chercher des « vocations ». Les femmes du Kerala sont élevées de manière très protégée, sans connaissance ni exposition à quoi que ce soit en matière de sexe. Elle croit qu’elle va être absolument en sécurité au couvent, protégée par son vœu de chasteté.
La différence de pouvoir entre une religieuse et son évêque est également un facteur important qui contribue à sa confusion dans le traitement de son expérience. Est-il possible pour une femme aussi naïve de se précipiter et de parler de son expérience ? Et encore moins de la rapporter ? Le facteur temps pour répondre peut-il même être pris en considération ?
L’évêque a profité de sa position de pouvoir et d’autorité sur elle pour la mettre dans des situations qui lui permettaient de la violer facilement à plusieurs reprises. Elle a souffert d’une profonde détresse mentale, jusqu’à ce qu’elle se tourne vers un prêtre qui lui a donné le courage d’en parler. Le laps de temps qui s’est écoulé entre le viol et sa dénonciation a été utilisé contre elle, la laissant dévastée. Le viol n’est pas seulement une question de loi, mais aussi d’état mental de la victime. La femme est seule à savoir et comprendre ce qu’elle ressent.
La religieuse plaignante avait écrit des lettres à tous les évêques ayant autorité sur la juridiction du diocèse de Jalandhar, c’est-à-dire l’évêque métropolitain de Delhi, le président de la Conférence des évêques catholiques d’Inde, ainsi que le nonce apostolique en Inde, et n’a reçu aucune réponse. Elle s’est adressée au curé et à l’évêque du Kerala, où se trouve son couvent, mais n’a trouvé aucun soutien.
Sa situation n’est pas différente de celle de la majorité des femmes en Inde. C’est pourquoi les féministes se sont battues avec acharnement pour changer les lois concernant le viol. En vertu de ces lois strictes, Mulakkal pouvait être inculpé, mais son avocat astucieux a réussi à faire valoir que la loi ne pouvait pas s’appliquer dans ce cas. Il était opposé à un procureur général plutôt inexpérimenté, nommé par l’État pour défendre la religieuse. Où l’évêque a-t-il trouvé l’argent pour payer les honoraires exorbitants demandés par ces avocats experts ?
Dans l’Église, vers qui une femme peut-elle se tourner lorsque la direction est entièrement masculine, des hommes qui se protègent et se soutiennent mutuellement pour défendre les crimes de leurs frères prêtres ? La façon dont les dirigeants de l’Église ont traité cette femme a rendu la communauté catholique environnante hostile à son égard, à l’égard de ses compagnons de soutien et même de leurs familles.
Le fait que l’Église catholique ne dispose d’aucun mécanisme ni d’aucune structure pour traiter les plaintes d’abus de femmes au sein de l’institution est encore plus consternant. Et ce, en dépit de la loi sur la prévention du harcèlement sexuel sur le lieu de travail qui oblige chaque institution à se doter d’un comité interne des plaintes pour traiter les rapports de harcèlement sexuel des femmes sur le lieu de travail. L’Église est considérée comme le lieu de travail des religieuses.
En 1991, la Conférence des évêques catholiques de l’Inde a mis en place un Bureau des femmes pour l’émancipation des femmes dans le pays, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Église. Il a été transformé en commission indépendante pour lui donner une plus grande autonomie. J’ai été secrétaire administrative de la commission de 1998 à 2004. Pendant mon mandat, j’ai essayé de mettre en place des lignes directrices pour le fonctionnement de la commission, mais je me suis heurtée à la résistance des évêques qui n’ont cessé de me retarder.
Une religieuse, nommée à ma place, a suivi docilement les instructions des évêques. Au cours de son mandat, les évêques, en consultation avec un groupe de femmes, ont élaboré la célèbre politique d’égalité des sexes, qui reste un instrument mort-né. Aucun mécanisme n’a été créé pour sa mise en œuvre, pas plus qu’il n’y a eu d’évaluation périodique de sa mise en œuvre. Ainsi, en dépit de la politique de genre, les femmes ne disposent d’aucun mécanisme de recours en cas d’abus dans l’Église.
Depuis 2010, un groupe de femmes, principalement de l’archidiocèse de Bombay, s’occupe des cas d’abus dans l’Église. Une seule affaire comportant de multiples accusations a fait l’objet d’une enquête, mais les conclusions n’ont jamais été mises en œuvre. D’autres cas n’ont jamais fait l’objet d’une enquête et les victimes ont été réduites au silence. Dans un cas impliquant un diocèse du nord de l’Inde, la religieuse a quitté la congrégation par frustration parce qu’elle ne recevait de soutien ni de sa congrégation ni de l’évêque du diocèse. Le séminariste, qu’elle accusait de voyeurisme, n’a jamais été censuré. Au contraire, il a été récompensé en étant envoyé à Rome pour des études supérieures. Quel est le message pour sa future mission dans l’Église ?
Certains disent que le célibat forcé est la cause des abus, car il n’est pas naturel, mais maintenu pour des raisons économiques, donc l’Église se sent obligée de défendre l’abuseur, mais, ce faisant, elle compromet sa mission.
Si l’affaire Mulakkal avait abouti à une condamnation, un certain nombre de sœurs auraient peut-être eu le courage de se manifester et de dénoncer les abus.
Tant que le clergé continuera à jouir du pouvoir démesuré qui accompagne l’ordination, les personnes vulnérables au sein du peuple de Dieu continueront à subir des abus, et les religieuses, en particulier celles des congrégations diocésaines sur lesquelles l’évêque local a un contrôle total, sont parmi les plus vulnérables.
Si le prochain synode sur la synodalité dans l’Église ne s’attaque pas à cette grave anomalie dans ce qui est censé être une « responsabilité de service », l’Église ne fera que se précipiter vers un plus grand scandale au lieu de remplir sa mission de répandre le règne de Dieu dans le monde.
Notes :
[1]– Procès de l’évêque Franco Mulakkal dans l’affaire du viol d’une religieuse : nouveau rebondissement
– En Inde, l’Église catholique est confrontée à bien des problèmes…
– INDE : Une mort pas du tout « naturelle » vise les religieuses
– Inde. Un évêque jugé pour avoir violé une religieuse
– Kerala : conflits de pouvoir sur fond d’abus sexuels
[2] Communiqués :– Lettre de NSAE au pape François
– Soutien aux religieuses indiennes victimes de mauvais traitements