Comme son maître !
Par Christine Fontaine
La formation des disciples
« En ce temps-là Jésus disait à ses disciples… »
Jésus ne parle pas aux foules, mais à ceux qui le suivent depuis déjà un certain temps. Il leur dit : « Le disciple n’est pas au-dessus du maître ; mais une fois bien formé, chacun sera comme son maître. » Autrement dit Jésus parle à des personnes qu’il veut former et il leur parle de leur formation.
Dans cet évangile, Jésus parle donc à quiconque aujourd’hui veut être son disciple, qu’il soit prêtre ou laïc. Il veut assurer lui-même leur formation et, pour cela, il n’y va vraiment pas de main morte. Il les traite – il nous traite – d’aveugles qui prétendent conduire les autres alors que nous tombons et faisons tomber ceux qui nous suivent dans un trou. Il nous traite d’hypocrites qui prétendons enlever la paille de l’œil d’un frère sans voir la poutre qui est dans le nôtre. Il dénonce la déformation qui guette toute personne prétendant être son disciple. Pour nous bien former, il nous montre comment nous déformons son message.
La déformation des disciples
La position d’un disciple comporte deux faces : l’une tournée vers le maître dont il reçoit les enseignements, l’autre vers les foules auxquelles il aura à son tour à diffuser cet enseignement. Les disciples sont plus proches du maître que les foules puisque Jésus leur parle en particulier. Ils en connaissent normalement sur Jésus plus que les autres. Face à ses disciples, Jésus se reconnaît leur maître. Il est bien dans la position d’un enseignant qui veut instruire quelques-uns plus que la foule des autres. À ceux qu’il a choisis parmi tous les autres, il déclare : « Le disciple n’est pas au-dessus du maître ; mais une fois bien formé, chacun sera comme son maître. » La maîtrise qu’il désire exercer sur ses disciples a pour finalité que chacun devienne comme lui. Il désire que chacun de ses disciples découvre qu’il possède aux yeux du Père des cieux une égale dignité : celle d’être fils ou fille de Dieu autant que lui. La maîtrise de Jésus s’exerce pour susciter un peuple de frères dont l’esprit se diffuse à l’humanité entière.
Mais les disciples déforment l’enseignement du maître. Ils occupent la place de celui qui est censé diffuser son enseignement alors qu’ils le détournent à leur profit. En vérité, ils ont le désir caché de garder leur privilège d’être plus proches de Dieu que les autres. Ils ne veulent pas que tout un chacun en vienne à comprendre qu’il est leur égal devant Dieu. Ils veulent garder pour eux la supériorité. Ils ne sont disciples de Jésus que pour conserver entre eux leurs privilèges d’être les plus proches de Dieu. Jésus veut qu’ils soient les premiers à croire que tout homme a une égale dignité aux yeux du Père des cieux. Il veut que ses proches diffusent cet enseignement en parole et en actes. Les disciples semblent être d’accord alors qu’ils le refusent. À quoi servirions-nous, pensent-ils, si les autres se mettaient à connaître Dieu autant que nous ? Ils ne conçoivent pas de pouvoir devenir un parmi tous les autres. Pour eux, servir, c’est obliger les foules à reconnaître leur supériorité.
L’enseignement du maître est déformé, détourné de sa finalité. Non seulement, aveuglés par leur privilège d’être les premiers, ils tombent dans un trou, mais ils font tomber ceux qui les suivent. Ce sont des « hypocrites ». Le mot hypocrisie vient d’un terme grec dont l’un des sens est « jaloux » et un autre « dissimulateur ». Ils dissimulent, aux yeux des foules. Ils se dissimulent à eux-mêmes leur propre jalousie. Mais elle n’est pas cachée pour Jésus et, pour les sortir de leur aveuglement, il la leur dit explicitement.
La conversion des disciples
« L’homme bon tire le bien de son cœur qui est bon ; et l’homme mauvais tire le mal de son cœur qui est mauvais : car ce que dit la bouche, c’est ce qui sort du cœur. » Ce que dit la bouche de Jésus sort de son cœur qui assurément est bon. S’il dénonce ainsi le comportement de ses disciples, ce n’est pas pour les écraser, mais pour en former au moins quelques-uns à vivre en vérité ce qu’il enseigne, à devenir des « maîtres » en matière de fraternité.
L’enseignement de Jésus à ses disciples ne porte pas sur des concepts. Il ne cherche pas à faire d’eux des théologiens, des dogmaticiens ou des moralistes. Même s’il est utile qu’il en existe… lorsqu’ils sont bons… c’est-à-dire non seulement lorsqu’ils sont intelligents, mais lorsque leur cœur est bon ! Il cherche à faire de ses disciples les premiers par qui il veut engendrer une fraternité réelle et universelle. Il veut que, grâce à sa parole et à son enseignement, nous devenions capables de déceler en nous-mêmes notre jalousie et notre hypocrisie. Il veut que, bien formés par lui, nous soyons capables de les déceler chez les autres et mettions à notre tour en garde nos compagnons de route contre ce fléau dans l’Église.
La jalousie et la dissimulation quand elles s’emparent de ceux qui se prétendent disciples du Christ sont la poutre qui les rend aveugles et fait tomber l’Église. Tout le reste, tout ce qu’on peut regretter dans son propre comportement ou dénoncer chez un frère, n’est que de la paille. Cela peut certes brouiller la vue, mais, pour quelqu’un qui n’est pas orgueilleux, ce n’est jamais qu’un feu de paille qui se transformera toujours, par grâce, en feu de joie !