Par Dorothy Fernandes
Le verdict d’acquittement de l’évêque Franco Mulakkal dans l’affaire très attendue de l’abus sexuel d’une religieuse [1] a déçu beaucoup d’entre nous, et nous a rendus méfiants. J’écris ces lignes pour de nombreuses raisons : tout d’abord, parce que j’ai suivi cette affaire à distance, et parce que je ressens le besoin de prendre la parole pour défendre nos sœurs, et de lancer un appel au réveil pour nous, les religieuses.
Ce qui m’a le plus peinée, c’est que certaines que je connais se sont réjouies du verdict d’acquittement d’un évêque qui a été accusé de rien de moins que de viol – et le pire, c’est qu’il se trouve être le patron de cette congrégation locale. Nous savons tous maintenant qu’à Kottayam, le juge G. Gopakumar de la Cour additionnelle de district et de session a acquitté Franco.
Certaines religieuses soulèvent des questions très naïves : Pourquoi s’est-elle tue pendant toutes ces années ? Pourquoi y a-t-il eu un tel retard dans la dénonciation du crime ? Je crains que ceux qui disent cela manquent d’empathie et ne peuvent pas imaginer le traumatisme qu’elle a vécu. En tant que religieuses, certaines pensent : « C’est un évêque – il ne peut évidemment pas l’avoir fait ! ». Attendez un peu, c’est aussi un être humain, un homme investi d’un pouvoir.
Pendant trop longtemps, nous, les femmes dans l’Église, avons accepté la domination et la hiérarchie et n’avons jamais remis cela en question en raison des processus de socialisation par lesquels nous sommes passées. Dès notre enfance et notre adolescence, on nous a appris à tout accepter sans poser de questions. Parce qu’« ils » savent et que vous ne savez pas ; cela est intériorisé et chaque institution de notre société a renforcé cette croyance.
Je sais qu’un très petit nombre de sœurs en Inde sont sorties des institutions et vivent ou travaillent avec ceux qui sont à la périphérie. Je vis seule depuis plus de deux décennies à Patna, et de nombreux prêtres qui me connaissent disent « tout le monde ne peut pas être comme vous. » Comme si trouver mon espace était si facile ! J’ai souvent été perçue comme « agressive », et mes réponses sont « assertives ». Donc – il semble que notre église institutionnelle ne veut pas de femmes assertives. Trop c’est trop ; le temps est venu pour les religieuses de rompre leur silence. Lorsque le Forum des religieux pour la justice et la paix (dont je suis l’animatrice nationale) l’a invitée à participer à un webinaire, Rebecca Mammen John, avocate principale à la Cour suprême de l’Inde qui travaille principalement dans le domaine de la défense pénale, a déclaré : « Le temps est venu de travailler à un changement structurel et systémique dans l’église. »
Mes années de travail avec les religieuses en Inde m’ont déçue, car la plupart d’entre nous semblent penser que « nous sommes bien comme nous sommes » et qu’« il ne faut pas nous déranger. » Ainsi, malheureusement, nous ne parvenons pas à assumer la responsabilité de nos actes et nous trouvons refuge dans le vœu d’obéissance – parce que la charge retombera sur notre supérieure. Pendant trop longtemps, nous avons vécu avec un déséquilibre de l’équation du pouvoir ; même la manière dont nous nous adressons à ceux qui ont l’autorité est toujours inégale. Une position d’autorité est simplement un rôle ou une responsabilité que nous sommes appelés à remplir ; ou – comme certains d’entre nous le diront – c’est un leadership de serviteur.
Nous devons revoir certaines des structures de l’Église. Malheureusement, chaque commission de l’Église en Inde est dirigée par un évêque, même la Commission des femmes. Le président suivant dans chaque diocèse a toujours été celui qui dira toujours « oui » à ceux qui ont l’autorité.
Pourquoi les religieuses choisissent-elles si souvent de s’adresser aux hommes pour obtenir des conseils et une orientation spirituelle ? D’ailleurs, lorsque nous vivons en communauté et que nous nous blessons et péchons les unes contre les autres, pourquoi le pardon dans les réunions communautaires ne suffirait-il pas – pourquoi devons-nous nous confesser à un prêtre ?
En tant que femmes, nous devons prendre conscience et tenir compte du fait que les femmes constituent la moitié des membres de l’Église. Le temps est venu pour l’Église en tant qu’institution de corriger elle-même les structures d’impunité qu’elle a mises en place. Nous devons adopter une position favorable aux victimes et veiller à ce que les survivantes obtiennent justice. Cas après cas, nous voyons les femmes perdre la lutte – nous ne voyons pas les femmes gagner la lutte.
Nous ne manquons pas de documents politiques, ce qui nous manque vraiment, ce sont des mécanismes pour rendre ces systèmes fonctionnels. Nous sommes arrivés à un moment où nous ne pouvons plus ménager la chèvre et le chou ; nous devons nous exprimer. Et quel meilleur moment pour le faire si ce n’est la période de l’année consacrée à la vie consacrée ?
Le Pape François nous a déjà donné le signal d’alarme pour nous opposer à l’Église lorsqu’elle nous traite injustement [2]. En tant que femmes de l’Église, rassemblons notre courage et soutenons-nous mutuellement pour réformer l’Église. Faisons en sorte qu’elle devienne l’Église de Jésus, et non une Église de lois et de règles qui parle de justice, mais agit de manière très injuste lorsqu’il s’agit de questions d’abus sexuels.
Notes :
[1] voir :– L’évêque Franco Mulakkal victorieux !
– Kerala : le procès de la honte – des religieuses en danger de mort
[2] https://www.globalsistersreport.org/news/news/news/fight-when-treated-unfairly-pope-tells-religious-consecrated-women